Intervention de Vincent Monadé

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Vincent Monadé président du centre national du livre cnl

Vincent Monadé, président du centre national du livre :

Le marché du livre physique, en France, représente 4,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires. C'est la première industrie culturelle de notre pays, ce que l'on oublie trop souvent. Le budget du Centre national du livre (CNL) s'élève à environ 43 millions d'euros. Au regard de ces proportions, il apparaît donc qu'il s'agit d'un marché très peu aidé par l'intervention publique.

La loi dite « Lang » du 10 août 1981 relative au prix du livre constitue le pilier des politiques publiques en faveur du livre, à laquelle tous les acteurs sont attachés. Elle a été récemment complétée par le dispositif émanant de Frédéric Mitterrand, à l'époque ministre de la culture, à la demande pressante de parlementaires, comme MM. Assouline, Legendre et Barnier, sur le prix unique du livre numérique, et par l'application du taux réduit de TVA (taxe sur la valeur ajoutée) à ce même livre numérique, encore en discussion au niveau européen.

Cette loi soutient l'ensemble de la chaîne du livre et a permis, en France, le maintien de la librairie. A contrario, en Angleterre, lorsque le « gentleman agreement » entre éditeurs et libraires sur le prix unique du livre est tombé, les librairies indépendantes ont commencé à disparaître, à tel point qu'aujourd'hui, le Gouvernement anglais, qui n'est pourtant pas réputé pour être extrêmement interventionniste, réfléchit à une loi sur le prix unique du livre.

Au début, le livre a plutôt bien résisté à la crise économique. Il s'agit en effet d'un produit refuge, extrêmement valorisé socialement. Depuis le mois de septembre 2013, les chiffres sont cependant très inquiétants. En novembre, les ventes enregistrent ainsi une diminution de 10 %, alors que l'e-commerce progresse parallèlement de 10 %. Je ne ferai pas, pour autant, d'association directe entre la progression de l'e-commerce et la dégradation du marché du livre.

Les réseaux de distribution physique comptent les grandes surfaces spécialisées (GSS), les grandes surfaces alimentaires, même si les ventes de livres tendent à y diminuer. Sur ce dernier secteur, les librairies de Paris résistent plutôt mieux, dans un marché qui a tendance à marquer des signes d'essoufflement. La période de Noël devient cruciale, le marché régulier devenant de plus en plus saisonnier, rythmé par quelques grands moments.

Le taux de rentabilité d'une librairie, d'après l'étude Xerfi, publiée lors des rencontres nationales de la librairie à Bordeaux en 2013, s'établit à 0,5 % en moyenne, ce qui est très faible et regroupe des situations très diverses - très grandes librairies de centre-ville qui, quand elles sont bien gérées, restent rentables, et petites librairies plus ou moins importantes de villes plus isolées, où la situation devient difficile, voire préoccupante.

La fermeture du réseau Chapitre constitue une véritable inquiétude. En effet, 55 librairies vont prochainement fermer, dont 25 à 30, selon les estimations du CNL, sont essentielles au maillage territorial. La société a déposé le bilan le 2 décembre ; elle est en liquidation, avec poursuite d'activité jusqu'au 7 janvier. Si des repreneurs, aujourd'hui rares, se manifestent, le juge peut toutefois décider, sans attendre le 7 janvier, de céder le fonds de commerce, le bail, le stock et le personnel à un repreneur libraire. Dans le cas contraire, un dépôt de bilan classique sera prononcé, accompagné d'un plan social. Les dossiers de reprise peuvent être déposés jusqu'au 20 décembre ; l'étude et la cessation, quant à elles, vont jusqu'au 7 janvier. La situation est particulièrement préoccupante pour certaines villes, comme Brive, Grenoble et Mulhouse où la libraire Chapitre représentait l'unique commerce de livres de taille importante.

La librairie est et doit rester un commerce : elle est et doit rester rentable. Les libraires ont horreur d'être considérés comme une espèce protégée. Ils gèrent des commerces, mènent des combats et ont la passion de leur métier.

Le CNL joue un rôle essentiel dans le cadre du « Plan Librairies » annoncé par la ministre de la culture et de la communication en juin dernier et doté de 11 millions d'euros. Dans ce cadre, l'Association pour le développement de la librairie de création (ADLEC), dans laquelle on trouve Hachette, Editis, Gallimard, Albin Michel, Actes Sud, et l'ensemble des grands éditeurs composant le Bureau du Syndicat national de l'édition (SNE), qui aide à la reprise et à la transmission des librairies, abondera de 4 millions d'euros supplémentaires son fonds destinés à des prêts. L'ADELC a la particularité de pouvoir entrer au capital des entreprises ; elle en sort au fur et à mesure des remboursements. Le fonds a donc vocation à se reconstituer, les remboursements s'étalant sur cinq ans ou plus.

Par ailleurs, une somme de 5 millions d'euros d'un nouveau dispositif d'aide à la trésorerie des librairies, qui paraît très intéressant sur le papier, sera confiée à l'Institut du financement pour le cinéma et les industries culturelles (IFSIC), banquier du cinéma et de la mode, qui a l'habitude des galeries et du marché de l'art, et qui finance les entreprises culturelles. Ce fonds va permettre aux libraires d'emprunter sur un an, la librairie étant une activité très saisonnière. Ce fonds ne peut intéresser une librairie que sur un an ou deux. Si l'une d'elle y fait appel régulièrement, c'est qu'elle a un véritable problème. Elle doit dès lors repenser la structure de son capital à travers un prêt plus classique, pour lequel le CNL prendra le relais.

Enfin, le prochain budget du CNL destiné à la librairie, que je présenterai au conseil d'administration le 9 décembre, s'élèvera à 3,96 millions d'euros et comptera 2 millions d'euros de plus en faveur des librairies, que j'entends orienter directement vers les territoires.

Plus largement, mon projet est d'ancrer plus fortement nos actions sur les territoires, le CNL ayant, à mon sens, trop perdu le contact avec les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et avec les conseillers livre et lecture.

Je souhaite ainsi mettre en place l'équivalent de la campagne que le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) mena, en son temps, avec les régions, intitulée : « Un euro pour deux euros ». De nombreuses régions soutiennent d'ores et déjà l'économie du livre et la librairie, maillon central de la chaîne. J'estime que nous avons intérêt à nous associer pour utiliser plus efficacement les crédits publics, ceux des collectivités ou ceux du CNL, en nous unissant pour porter l'effort où l'ADELC ne le porte pas, c'est-à-dire en faveur des plus petites libraires, également très importantes pour la présence du livre dans les territoires. Je pense à des librairies de petites villes, mais aussi aux librairies de Seine-Saint-Denis, ou de Seine-et-Marne, qui ont besoin d'être soutenues. Le Plan Librairie du CNL sera donc différent de celui de l'ADELC, et visera à passer des conventions territoriales.

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