Intervention de Vincent Monadé

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 3 décembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Vincent Monadé président du centre national du livre cnl

Vincent Monadé :

S'agissant du projet de loi relatif à la consommation, la création d'un médiateur du livre répond à une demande ancienne du Syndicat de la librairie française (SLF), du Conseil permanent des écrivains et, dans une moindre mesure, des éditeurs, apparue avec la concurrence des multinationales américaines. Tout le monde a alors compris qu'il n'était plus possible de jouer les uns contre les autres, le véritable adversaire étant ailleurs.

Aujourd'hui, la loi Lang est très claire en matière de vente de livres d'occasion : il est possible de solder un livre après deux ans de parution et six mois de stock. Pour le reste, le livre d'occasion demeure dans un flou juridique total. J'invite d'ailleurs votre assemblée, si elle en a un jour l'opportunité, à se pencher sur ce sujet. Pour le coup, la loi Lang ne pouvait prévoir l'émergence d'acteurs comme Amazon ou autres grands sites. Or, on peut acheter des livres et les mettre en vente comme des occasions, sans qu'aucun dispositif ne s'y oppose. En recevant des services de presse ou en récupérant des livres par d'autres systèmes, on viole donc l'esprit de la loi, mais non sa lettre. Le médiateur du livre pourrait rappeler la lettre et l'esprit de la loi. Selon moi, le médiateur du livre et les conseillers livre et lecture des DRAC sont des éléments essentiels pour protéger la chaîne de pratiques déloyales.

La question n'est pas de savoir si on doit ou non accepter la présence d'Amazon sur le marché du livre. La concurrence doit bien sûr s'exercer, mais lorsqu'un poids lourd boxe contre un poids mouche, on peut espérer que le premier ne soit pas dopé ! Or, le non-paiement d'impôts et l'optimisation fiscale mettent les libraires en situation de concurrence déloyale.

Monsieur Le Scouarnec, je ne puis répondre à votre question. Il y a deux ans, le directeur général du SLF estimait qu'il se créait autant de librairies qu'il en disparaissait chaque année. C'était alors vrai. Le CNL est en train de mettre en place un observatoire de la librairie, qui disposera de chiffres nationaux, que je pourrai rendre publics. À ce stade, nous ne connaissons pas la réalité du marché concernant la masse des librairies. Nous avons, comme vous, la conviction que des librairies ferment, mais nous ne savons pas combien ouvrent. La réforme des codes de la Nomenclature d'activités française (NAF) a été, de ce point de vue, un élément essentiel : enfin les librairies se déclarent comme telles, et non plus comme boucheries-charcuteries, ce qui a été le cas en Ile-de-France durant toute une période.

Nous savons, en revanche, que le e-commerce représente aujourd'hui 17 % du marché du livre, dont 70 % pour Amazon.

Par ailleurs, la part des grandes surfaces spécialisées baisse fortement, tandis que celle des grandes surfaces alimentaires se stabilise à la baisse. Les libraires se maintiennent autour de 20 % du marché. C'est la preuve que ce réseau résiste à Amazon, grâce à une offre qualitative forte, que n'ont pas les grands intervenants du Net.

S'agissant de la question de M. Leleux sur l'extraterritorialité, je ne saurais vous dire à quel point cet amendement a été le bienvenu. Le reste l'est également, le Sénat, dans sa grande sagesse, ayant estimé trop facile d'être basé au Luxembourg pour s'exonérer de la loi sur le prix unique du livre, même numérique.

Aujourd'hui, le livre numérique représente 1,3 % du marché. Il faut toutefois que tout le monde applique les mêmes règles. La loi sur le prix unique du livre numérique, dans sa version incluant l'amendement concernant l'extraterritorialité, a permis que les éditeurs soient aujourd'hui prêts à entrer sur ce nouveau marché.

Amazon, aux Etats-Unis, a engagé un bras de fer avec les éditeurs et leur impose ses tarifs sur les fichiers numériques. Les éditeurs éprouvent beaucoup de difficultés à résister, sauf pour ce qui concerne quelques très grands écrivains. Ce sont eux qui ont imposé que le prix du dernier ouvrage de Dan Brown en numérique soit fixé à 9,99 dollars, alors qu'il était prévu qu'il soit plus cher.

Le site 1001libraires.com a été créé trop tard. Seule la FNAC a résisté à Amazon, grâce à une image de marque remarquable et à une capacité financière, en tant que réseau, à gérer ses magasins comme des entrepôts. Je l'ai dit, le marché du livre, en France, représente 4,1 milliards d'euros. Amazon, il y a deux ans, atteignait 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires. L'erreur du portail des libraires indépendants a été de vouloir concurrencer Amazon sur son propre terrain, en créant des entrepôts, qui génèrent des coûts de gestion très élevés mais aussi des coûts de stockage et de personnels, alors que les librairies françaises constituent en elles-mêmes un entrepôt infiniment plus grand que ce qu'Amazon peut faire.

Aujourd'hui, les libraires l'ont compris. Ils ont décidé de créer des sites très réactifs, auxquels chacun est libre d'adhérer. Il en existe trois : Parislibrairies.fr, qui est remarquable ; Leslibraires.fr, porté par Charles Kermarec et la librairie Dialogues à Brest ; Librest.com, portée par un groupe de libraires de l'Est de Paris.

Ce phénomène permet de mettre les librairies en avant et d'utiliser les stocks. Reste un problème dont les libraires vont devoir s'occuper - je le dis d'autant que cela ne fera pas l'unanimité dans la profession : Amazon a réussi à habituer le client à recevoir le livre chez lui, service qui n'existait pas auparavant. Si la proposition de loi est essentielle pour faire respecter la concurrence, l'usage est établi : ce n'est pas parce qu'Amazon ne pourra plus, demain, proposer des livres moins chers, que l'usage cessera, parce qu'il procure plus de confort au consommateur.

Or, il existe une possibilité pour les libraires de proposer ce service, en faisant en sorte que le livre commandé par le client au libraire lui soit envoyé directement par le distributeur. À ce stade, les libraires y demeurent rétifs, du fait du partage de la valeur avec le distributeur. L'idée est néanmoins attrayante et j'espère pouvoir la faire avancer. Si le distributeur envoie le livre chez le client, celui-ci ne s'apercevra pas de l'identité du livreur. Il passera toujours par son libraire et recevra son livre dans les mêmes délais que ceux proposés par Amazon.

Des progrès ont déjà été accomplis, qu'il faut désormais approfondir. Grâce à l'émergence de ces nouveaux concurrents, la chaîne du livre pense désormais collectivement, comme dans le cas de la loi sur les livres indisponibles, ou des dispositifs de librairies en réseau. Un dispositif d'accord sur le numérique, mis en place sous l'égide du professeur Pierre Sirinelli, portant sur la rémunération de l'auteur, doit être sous peu transcrit dans la loi. C'est la première fois, à ma connaissance, qu'auteurs et éditeurs s'entendent sur un champ d'une telle ampleur et en partagent la valeur.

Monsieur Assouline, je suis ravi que l'Allemagne se range à notre position, permettant ainsi de lever le blocage sur la loi sur la TVA du numérique. Cette question est centrale si l'on veut développer un marché du livre numérique et que les acteurs en vivent. La Commission européenne, comme à chaque fois qu'elle est face à deux grands pays, cédera si l'Allemagne nous rejoint. La France a donc porté très haut, avec raison, le fanal du livre.

Monsieur Boyer, la lecture est le grand oublié des politiques publiques. Nous sommes très efficaces pour ce qui concerne le soutien aux professionnels, mais nous ne savons pas promouvoir la lecture. Nous savons soutenir la chaîne de vente du livre, mais nous ne savons pas travailler avec le lecteur.

J'ai donc décidé de réfléchir à une fête nationale du livre, comme il en existait autrefois, portée par le CNL, sous l'égide du ministère de la culture et de la communication. La fête du livre a toujours été traitée du point de vue des éditeurs et des libraires, jamais du point de vue du lecteur. Certaines expériences locales se sont révélées intéressantes, et pourraient peut-être être généralisées, mais il faut, pour ce faire, placer le lecteur au coeur de la fête. Il va donc falloir penser quelque chose de nouveau. L'impact commercial ne doit pas être immédiat, mais différé. Si on crée des lecteurs, on génèrera du flux dans les librairies.

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