La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui porte sur un sujet qui concerne la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap, le stationnement. Déposée par Didier Guillaume, particulièrement sensibilisé à cette question dans le cadre de ses fonctions locales, et par l'ensemble du groupe socialiste, elle vise à permettre aux titulaires de la carte de stationnement pour personnes handicapées un accès gratuit et sans limitation de durée aux places de stationnement réservées à leur effet. Aussi s'inscrit-elle dans la continuité de la démarche volontariste du Gouvernement, impulsée par Marie-Arlette Carlotti, ministre chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, pour donner un second souffle à la politique d'accessibilité universelle.
La loi du 11 février 2005 dite « loi Handicap » reconnaît l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap. La possibilité de se déplacer est une condition indispensable de leur participation aux activités sociales, professionnelles, éducatives, culturelles, sportives, autrement dit, de leur inclusion dans la société.
Il existe aujourd'hui trois cartes spécifiquement délivrées aux personnes en situation de handicap afin de faciliter leurs déplacements. La carte d'invalidité est attribuée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) à toute personne dont le taux d'incapacité permanente est au moins de 80 %. Elle donne droit à une priorité d'accès aux places assises dans les transports en commun et les espaces publics, à une priorité dans les files d'attente des lieux publics, et à diverses réductions tarifaires dans les transports. La carte de priorité est accordée par la CDAPH à toute personne dont le taux d'incapacité rendant la position debout pénible est inférieur à 80 %. Elle permet d'obtenir une priorité d'accès aux places assises dans les transports en commun et les espaces publics, ainsi qu'une priorité dans les files d'attente.
Enfin, la carte de stationnement, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, est attribuée à toute personne atteinte d'un handicap qui réduit de manière importante et durable sa capacité et son autonomie de déplacement à pied ou qui impose qu'elle soit accompagnée par une tierce personne dans ses déplacements. La demande de carte de stationnement, qui doit être adressée à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), est instruite par le médecin de l'équipe pluridisciplinaire. La carte est, le cas échéant, délivrée par le préfet pour une durée déterminée - ne pouvant être inférieure à un an - ou à titre définitif. Elle permet à son titulaire ou à la tierce personne l'accompagnant d'utiliser, dans les lieux de stationnement ouverts au public, les places réservées et aménagées à cet effet. Elle doit être apposée derrière le pare-brise du véhicule, de manière à être visible par les agents habilités à constater les infractions à la réglementation du stationnement, et retirée dès lors que la personne en situation de handicap n'utilise plus le véhicule.
La politique de stationnement réservé et adapté relève de la compétence des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale (Epci). La réglementation précise qu'au moins 2 % des places de stationnement situées sur les voies ouvertes à la circulation publique et 2 % des places des parcs de stationnement des établissements recevant du public (ERP) doivent être réservées aux titulaires de la carte de stationnement. La gestion de ces places est traitée par deux documents de planification. Le plan de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics (Pave), rendu obligatoire par la loi de 2005, dresse un état des lieux de l'accessibilité et fixe un programme de travaux dans le but de l'améliorer. Le plan de déplacements urbains (PDU) détermine l'organisation des transports, de la circulation et du stationnement. Le Pave, quand il existe, fait partie intégrante du PDU, ce qui permet d'assurer la cohérence entre les deux documents. Le seul fait de réserver une place de stationnement aux personnes en situation de handicap n'est toutefois pas suffisant pour que celle-ci soit concrètement utilisable par tous les titulaires de la carte de stationnement. Les places réservées doivent ainsi respecter des dispositions techniques très précises comme une largeur minimale de 3,3 mètres, une pente inférieure à 2 % ou un sol non meuble et non glissant.
La politique tarifaire du stationnement et l'éventuelle exonération de certaines catégories d'usagers sont également de la responsabilité des communes ou des Epci. Le code général des collectivités territoriales prévoit en effet que le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'Epci peut décider de moduler le tarif en fonction de la durée du stationnement, prévoir une tranche horaire gratuite et accorder une tarification spécifique pour certaines catégories d'usagers comme les personnes en situation de handicap. Par parallélisme, le code de l'action sociale et des familles permet aux titulaires de la carte de stationnement pour personnes handicapées de bénéficier des dispositions spécifiques qui peuvent être prises à leur égard par les autorités compétentes en matière de circulation et de stationnement. Lorsque les places de stationnement sont payantes, la réglementation impose que les parcmètres ou horodateurs soient installés au plus près des places réservées et adaptées.
Combien de communes ont recours à une tarification spécifique pour les personnes en situation de handicap ? L'association des paralysés de France (APF) a référencé une centaine de villes ayant instauré la gratuité du stationnement sur les emplacements réservés, sans prétendre toutefois à l'exhaustivité. Y figurent notamment Saint-Brieuc, Lille, Paris, Dijon, Grenoble, Nice, Toulouse, Bordeaux ou Saint-Etienne. Cela prouve qu'une réelle dynamique en faveur de l'accessibilité est en marche localement.
J'en viens au contenu proprement dit de la proposition de loi. Partant du constat que le stationnement des personnes en situation de handicap est un élément important de leur accessibilité à la Cité, elle vise à généraliser l'accès gratuit et sans limitation de durée aux places de stationnement réservées. La raison en est simple : ne pas soumettre une personne ayant des difficultés de déplacement aux mêmes contraintes que les autres automobilistes comme retourner à son véhicule garé sur une place réservée pour recharger un horodateur ou modifier un temps de stationnement sur un disque.
Pour ce faire, la proposition de loi introduit deux modifications à l'article L. 241-3-2 du code de l'action sociale et des familles. La première pose un principe d'exonération des titulaires de la carte de stationnement tant du paiement d'une redevance que de la limitation de la durée du stationnement sur les places réservées. La seconde prévoit que, pour les parcs de stationnement à usage public gérés en délégation de service public (DSP) - c'est-à-dire les parkings publics -, un avenant au contrat est conclu dans les trois ans afin de satisfaire ce principe.
A l'heure où l'accessibilité universelle a été identifiée comme l'une des cinq priorités de la politique du handicap lors du comité interministériel du 25 septembre dernier, cette proposition de loi permet de franchir un pas supplémentaire vers une société inclusive. Je tiens donc ici à remercier son auteur pour en avoir pris l'initiative.
Mais puisque notre objectif, depuis la loi de 2005, est bien de favoriser une participation sociale, pleine et entière, de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Il arrive en effet qu'une personne en situation de handicap doive stationner en dehors des places réservées, soit parce que celles-ci sont déjà toutes occupées, soit parce qu'il n'en existe pas à proximité du lieu où elle se rend. Dès lors, cette personne se retrouve confrontée aux mêmes contraintes liées au paiement et à la limitation de la durée du stationnement que celles évoquées précédemment.
Aussi, Didier Guillaume et moi-même sommes convaincus que nous pouvons aller encore plus loin en étendant, pour les titulaires de la carte de stationnement, le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement à toutes les places, qu'elles soient réservées ou non. Tel sera le sens de l'amendement que je vous présenterai tout à l'heure, qui prévoit toutefois une entrée en vigueur différée de deux mois suivant la date de promulgation de la loi afin de laisser le temps aux autorités compétentes d'intégrer cette nouvelle règle dans leur politique de stationnement.
J'indique, par ailleurs, que la ville de Saint-Etienne, dont j'ai auditionné le maire, notre collègue Maurice Vincent, semble pionnière dans ce domaine puisqu'elle a mis en place, pour les personnes en situation de handicap, la gratuité et la non-limitation de la durée du stationnement sur l'ensemble des places dès 1988.
Bien sûr, j'entends déjà certaines voix poser la question de l'incidence financière d'une telle mesure pour les collectivités. Etant moi-même maire, je n'y suis évidemment pas indifférent. C'est pourquoi j'ai demandé aux services du ministère de chiffrer la perte de recettes afférente. Cet exercice s'avère très délicat, d'une part, parce que le nombre de cartes de stationnement actuellement en circulation n'est pas précisément connu - il est estimé à 1,5 million -, d'autre part, parce que les règles applicables en matière de redevance diffèrent d'une commune à l'autre. Qui plus est, le montant des recettes annuelles de stationnement sur voirie varie, selon les sources, entre 400 millions et 540 millions d'euros. Dans ces conditions, tout chiffrage serait très approximatif.
Je suis, par ailleurs, conscient que la non-limitation de la durée du stationnement pour les titulaires de la carte pourrait donner lieu à des pratiques abusives se traduisant par un stationnement d'une durée manifestement excessive, ce qui, de fait, pénaliserait les autres usagers, qu'ils soient en situation de handicap ou non. Pour éviter ce phénomène dit des « voitures ventouses », il me semble nécessaire de prévoir que les autorités compétentes aient la possibilité de fixer une durée maximale de stationnement, qui ne pourra toutefois être inférieure à douze heures afin de ne pas retomber dans les travers actuels d'une durée limitée à quelques heures seulement. Cet ajout a, je pense, le mérite de prévenir les dérives, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales.
La rédaction actuelle de la proposition de loi soulève un dernier inconvénient. L'obligation de conclure dans les trois ans un avenant aux contrats de DSP relatifs à la gestion des parkings publics risque en effet de bouleverser l'économie des contrats en cours du fait de la perte de recettes induite par la mise en oeuvre du principe de gratuité. Une telle disposition est source de contentieux puisqu'en application de la jurisprudence, un avenant peut être entaché d'illégalité s'il modifie un élément substantiel du contrat initial, ce qui est le cas lorsqu'il y a une diminution de recettes. Aussi, pour éviter tout risque juridique, je vous proposerai que le principe de gratuité et de non-limitation de la durée du stationnement ne s'applique, pour les parcs de stationnement actuellement gérés en DSP, qu'à compter du renouvellement des contrats.
En conclusion, je souhaite insister sur le fait que cette proposition de loi ne prétend pas résoudre l'ensemble des difficultés posées par la carte de stationnement. Ainsi, le quota de places réservées apparaît nettement insuffisant au regard de l'augmentation régulière du nombre de titulaires de la carte due notamment au vieillissement de la population. Les consultations actuellement en cours sur le dossier de l'accessibilité, sous l'égide de notre collègue Claire-Lise Campion, devraient aborder cette question sensible - car aux conséquences importantes pour les communes - au début de l'année prochaine. Par ailleurs, une recrudescence des pratiques abusives et frauduleuses, phénomène dont il est délicat de mesurer précisément l'ampleur, est clairement constatée tant par les MDPH que par les titulaires eux-mêmes. Une réflexion est actuellement menée dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP) en vue de sécuriser l'utilisation de cette carte et permettre un meilleur contrôle de l'identité de ses bénéficiaires.
L'objectif de cette proposition de loi est autre : il s'agit de faciliter la vie quotidienne de nos concitoyennes et concitoyens en situation de handicap en leur permettant de se stationner gratuitement et sans limitation de durée. Elle est donc porteuse d'une avancée majeure pour ces personnes, mais aussi pour l'ensemble de notre société car, je le rappelle, l'accessibilité est l'affaire de tous. Aussi suis-je convaincu que ce texte peut fédérer l'ensemble des groupes de notre assemblée.