Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 5 décembre 2013 à 9h30
Rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur :

Des moyens d’enquête supplémentaires ont été accordés au contrôle fiscal. Sans doute faudra-t-il en doter également l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en s’inspirant du régime prévu pour l’AMF, l’Autorité des marchés financiers.

Mais, plus que de nouvelles normes, c’est à un fonctionnement efficace des services et à leur bonne application qu’il faut s’attacher. Plus de cohésion et plus de fermeté ! Un certain nombre de dispositifs légaux sont désamorcés par des choix condamnables. Pourquoi adopter une doctrine si restrictive de détermination des États non coopératifs, dont témoigne encore la liste dernièrement arrêtée, qu’elle neutralise les régimes pénalisant les paradis fiscaux ? N’est-ce pas adresser un blanc-seing au développement de la finance offshore ? Pourquoi estimer que la Suisse, avec son secret bancaire, est un État impeccable en matière de lutte anti-blanchiment, quand de nombreuses affaires démontrent tout le contraire ? Est-il réellement acceptable que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution soit liée par le secret professionnel à l’égard des services fiscaux quand elle exerce des responsabilités importantes dans le combat contre le blanchiment, notamment de fraude fiscale ? Pourquoi refuser au contrôle fiscal d’interroger TRACFIN sur des signalements dont cet organisme pourrait disposer ? C’est là une situation véritablement kafkaïenne, puisque, dans le même temps, les cas sensibles sont naturellement signalés au ministre, lequel, supérieur hiérarchique de la DGFIP, la direction générale des finances publiques, se trouve forcé à un clivage dangereux et qu’on devine pouvoir être particulièrement inconfortable en certaines circonstances. Toujours à propos de TRACFIN, ne devrait-on pas, en cohérence avec l’arrêt Talmon, lui ouvrir la faculté de saisir l’autorité judiciaire en cas de soupçons de blanchiment de fraude fiscale, plutôt que le lui interdire ?

Au-delà de ces différents aspects, il nous faut tendre vers une action opérationnelle beaucoup plus claire et résolue. Les moyens ne sont pas à la hauteur des missions. Les différentes affaires survenues ces dernières années ont absorbé une proportion considérable des ressources des services. Nous l’avons constaté. Et nous nous interrogeons sur l’adéquation des capacités de traitement des dossiers de régularisation, qui semblent devoir être dépassées en l’état des forces.

Quant au contrôle fiscal ordinaire, les moyens du contrôle d’entités, dont certaines comptent un total de bilan équivalent au PIB de notre pays, sont-ils vraiment au niveau ? De même, TRACFIN tend à être submergé par les signalements, ce qui conduit à des apurements sauvages de dossiers. Et que dire des moyens de la justice et des services d’enquête ? Combien de dossiers sont-ils abandonnés ? Je m’interroge par exemple sur le devenir des documents confiés par l’ACPR au service de la douane judiciaire concernant les personnes impliquées dans l’affaire UBS. Pouvez-vous nous informer, monsieur le ministre, des diligences effectuées et de leurs suites, au-delà de celles, connues, qui concernent les mises en examen des établissements eux-mêmes?

On observe une insuffisance de moyens, mais aussi, parfois, une insuffisance de fermeté. Est-il vraiment inaccessible aux autorités de contrôle prudentiel, comme elles l’indiquent, de connaître finement les opérations des banques dans des juridictions où elles sont exemptes de contrôles locaux dignes de ce nom ? Peut-on se satisfaire que la seule obligation pesant sur elles, quand les mœurs locales leur interdisent de répondre aux exigences de la lutte contre le blanchiment, soit d’en informer les autorités françaises, qui doivent tout de même le savoir déjà ? Celles-ci, qui concèdent ne recourir qu’à un contrôle sur base sociale consolidée, nécessairement aveugle aux échanges intragroupes, ne devraient-elles pas mieux sanctionner les situations où le contrôle de la maison mère est manifestement défaillant ? Pourquoi, loin d’aboutir à ce résultat, un examen par la commission des sanctions de l’ACPR peut-il permettre à une grande banque française d’échapper à des griefs de ce type, au motif de l’absence d’un accord formel de coopération entre l’ACPR et son homologue, malgré le consentement ponctuel donné par celui-ci ?

La commission d’enquête a pu également relever que les contrôles effectués dans l’affaire UBS avaient été, de la part de l’ACPR, pour le moins poussifs. Je n’ai pas trouvé trace d’importants éléments de cette affaire dans les documents dont j’ai pris connaissance et par lesquels l’administration tient le fichier des personnes soupçonnées de dissimuler des avoirs à l’étranger. Il est vrai que ce fichier ne comporte pas davantage la mention de personnes dont il est avéré aujourd'hui, de leur propre aveu, qu’elles se trouvent dans cette situation.

Par ailleurs, quand sanctionnera-t-on certaines professions du chiffre et du droit, qui ne jouent pas le jeu des signalements à TRACFIN, puisque ni la loi ni la pédagogie ne semblent suffire ? Quand s’inquiétera-t-on réellement de la faible vigueur du dispositif quand des personnes politiquement exposées sont en cause ?

Je conclurai moi aussi sur la question du verrou de Bercy, ministère qui n’est malheureusement pas directement représenté ce matin, ce que je déplore. J’ai la conviction que cette anomalie, attribut d’une sorte de raison d’État fiscale, devra un jour céder.

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