Intervention de Jacques Chiron

Réunion du 5 décembre 2013 à 9h30
Rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières — Débat sur les conclusions d'une commission d'enquête

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission d’enquête sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux nous a permis de prolonger le travail du Sénat sur l’évasion fiscale, après une première commission d’enquête, en 2012, qui avait précisé l’ampleur de ce fléau tout en proposant de nombreux outils pour le maîtriser.

Au terme de six mois d’audition d’une cinquantaine de personnalités diverses issues des secteurs de la banque, de la finance, des institutions financières et de régulation, nous avons rendu en octobre dernier un rapport qui recense les opportunités d’évasion des capitaux offertes par le fonctionnement de la finance et formule trente-quatre propositions, une nouvelle fois adoptées à l’unanimité.

Je profite de l’occasion pour remercier M. le président de la commission d’enquête et M. le rapporteur d’avoir su écouter chacun d’entre nous. C’est ce qui a permis cette unanimité.

Ces propositions ont pour but de combler les lacunes dans la gouvernance des systèmes de contrôle existants, de développer la supervision des institutions et d’élargir le champ d’intervention des autorités judiciaires.

Comme l’intitulé de notre rapport le rappelle, notre objectif est de « mieux connaître pour mieux combattre ».

Notre première mission, pour être efficace face à l’opacité de la circulation des richesses, est donc de remporter la bataille de l’information.

La complexité des infrastructures financières et la fragmentation des espaces de souveraineté ne facilitent pas cette tâche, comme nous l’avons tous dit.

Par rapport à nos travaux de 2012, il était donc nécessaire d’affiner notre diagnostic et de porter une attention particulière sur les liens entre la finance, ses acteurs, ses produits et l’évasion des capitaux.

Parmi les trente-quatre propositions que nous formulons, je souhaiterais, comme je l’ai déjà fait lors du débat relatif aux conventions internationales, insister sur la proposition n° 18, celle qui consiste à instaurer en Europe un FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act.

Les mesures prises au niveau national sont indispensables, mais insuffisantes face à un phénomène financier qui dépasse largement les frontières.

Je salue néanmoins le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, que nous avons voté parallèlement à nos travaux. Il va permettre de renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption et la fraude, notamment en donnant des moyens supplémentaires à l’administration fiscale – même si certains, dont je fais partie, pensent qu’ils ne sont pas encore assez importants – et à l’autorité judiciaire, qui seront toutes deux dotées de nouveaux outils juridiques leur permettant de mieux détecter les anomalies et les fraudes potentielles, de surmonter l’hostilité ou l’inertie des acteurs récalcitrants et de sanctionner plus sévèrement.

La décision du Conseil constitutionnel, même si celui-ci a reconnu que le principe d’une amende calculée en pourcentage n’est pas en lui-même inconstitutionnel, affaiblit la lutte contre la fraude des personnes morales.

Cela étant, seule la généralisation à l’échelle européenne d’un dispositif efficace peut permettre de franchir une nouvelle étape décisive. En obligeant les banques ou les États à procéder à un échange automatique et exhaustif d’informations fiscales, sous peine d’une retenue à la source sur leurs flux financiers, nous pourrions réellement faire reculer le secret bancaire, tout en facilitant le travail de l’administration fiscale. En effet, cette dernière est parfois dépourvue devant le manque de collaboration de certains pays qui ne répondent pas à nos demandes de renseignements. À la suite des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons également appris que même certaines banques attendent la généralisation de l’échange automatique d’informations.

L’instauration d’un « FATCA européen » ne doit pas se limiter à la généralisation d’une clause d’échange automatique d’informations par le biais de la révision des directives européennes de 2003 sur l’épargne et de 2011 sur la coopération administrative. Au sein de la commission d’enquête, il est proposé d’aller plus loin et d’étendre la communication des informations bancaires à toutes les banques du monde présentes en Europe, sous peine d’une retenue à la source sur leur bénéfice.

Cet accord devra, cette fois, s’appliquer sans sursis, sans période dérogatoire et dans les mêmes termes par tous les États. La force de l’Union européenne à vingt-huit permettrait ensuite de négocier des conventions fiscales, notamment avec la Suisse, à la hauteur des standards internationaux, et non en ordre dispersé, à l’instar des accords Rubik bilatéraux.

L’Union européenne a jusqu’ici été trop tolérante à l’égard de pays qui bloquent les tentatives de levée du secret bancaire et qui sont, pour certains d’entre eux, des refuges accueillants pour les grands groupes industriels mettant en œuvre des stratégies d’optimisation fiscale. C’est notamment le cas du Luxembourg, concernant les leaders mondiaux de l’économie numérique, au titre tant de la TVA que de l’impôt sur les sociétés.

Je note néanmoins que, ces derniers mois, de très nombreux signaux encourageants sont apparus en termes d’évolution des mentalités et de coopération internationale. Sous l’effet de la crise financière et bancaire, qui a mis en évidence le caractère plus que jamais inadmissible de l’incivisme fiscal des particuliers et des entreprises, la lutte contre l’évasion fiscale internationale est, depuis plusieurs mois, inscrite à l’ordre du jour des principales instances de décision, aux échelles mondiale et européenne. En particulier, l’échec des accords Rubik montre que le seuil de tolérance aux pratiques d’opacité financière, notamment en Allemagne ou au Royaume-Uni, a largement baissé.

Les pays du G8, en juin dernier, tout comme ceux du G20, lors du sommet de Saint-Pétersbourg, début septembre, ont réaffirmé avec force leur souhait de mettre en place l’échange automatique d’informations fiscales. L’échéance de la fin de l’année 2015 est même régulièrement évoquée. Après les premières petites avancées de pays comme la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg concernant le secret bancaire ou la directive européenne sur l’épargne, c’est un nouveau pas en avant vers la transparence et l’équité fiscale qu’il nous faut forcer.

Par ailleurs, je me réjouis que le G20 ait pris en compte les recommandations de l’OCDE relatives à la taxation des multinationales, notamment celles du secteur du numérique, qui pour l’heure peuvent aisément se soustraire à l’impôt.

Enfin, l’Union européenne avance également à petits pas vers la révision de la directive sur l’épargne et a adopté une directive visant à renforcer la coopération administrative entre États, qui entrera bientôt en vigueur.

Confronté, comme la plupart de ses partenaires européens, à l’exigence de redresser ses comptes publics, notre pays a pris toute sa part dans ce mouvement pour faire revenir sur son territoire les ressources qui lui sont dues. Nos représentants ont exprimé, aux échelons européen et mondial, cette ambition de justice et d’équité qui peut permettre, à terme, de faire disparaître le secret bancaire et de faire reculer massivement les pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales.

Au plan interne, si le Gouvernement a mis en place soixante mesures fortes par le biais d’un projet de loi volontariste que nous avons voté, il faut également noter que la circulaire du mois de juin dernier prise par le ministre délégué chargé du budget, Bernard Cazeneuve, a permis, en quatre mois, une augmentation significative du nombre de dossiers de demande de régularisation. Ce sont ainsi près de 8 500 fraudeurs, d’après les derniers chiffres dont je dispose, qui se sont fait connaître auprès de l’administration fiscale, soit deux fois plus qu’au cours des quatre années précédentes. Cette évolution, conséquence directe de la mise en œuvre des mesures gouvernementales, traduit la peur qu’inspirent les pressions nationales et internationales et le resserrement des mailles du filet. Cela montre que la tendance s’inverse – sur ce point, je suis plus optimiste que les précédents orateurs –, que les efforts engagés insécurisent les fraudeurs et instillent le doute quant à l’intérêt du bénéfice escompté par rapport aux risques encourus.

Chers collègues, l’étau se resserre, mais la bataille est encore loin d’être gagnée. Un certain nombre des soixante et une propositions que nous avions formulées au sein de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, en 2012, ont été mises en œuvre ; d’autres sont à l’étude. Je souhaite que de nouveau notre voix soit entendue, que nos propositions trouvent une traduction dans la législation et dans nos appareils de contrôle. Le Sénat est pleinement dans son rôle de surveillance, de contrôle et d’évaluation en accomplissant cette mission au service du pays. Chacun de nos concitoyens appelle de ses vœux la justice fiscale et doit contribuer, en fonction de ses moyens, à la solidarité nationale.

En conclusion, je me réjouis de l’émergence d’un consensus national au-delà des sensibilités politiques, comme en témoigne l’adoption à l’unanimité des deux rapports, pour qu’enfin le monde de la finance soit mieux encadré. Nous ne réussirons à redresser nos comptes publics, à lutter contre l’évasion fiscale, le blanchiment et l’opacité du système financier que si nous sommes unis, prêts à soutenir les efforts de ceux qui, aux responsabilités, agissent, prêts à écouter ceux qui font des propositions utiles, notamment au Parlement, pour améliorer l’efficacité de nos dispositifs de lutte.

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