Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de mes nombreux déplacements à l’étranger, à la rencontre des communautés françaises expatriées, j’observe dans certains pays la réalité de l’évasion fiscale.
Je précise d’emblée que, malheureusement, un amalgame est très souvent pratiqué entre évadés fiscaux et expatriés, dont le départ est motivé par l’exercice ou la recherche d’un emploi à l’étranger. Je peux d’ailleurs témoigner que tous les expatriés ne roulent pas sur l’or, tant s’en faut !
L’évasion fiscale est une notion assez stigmatisante, qui ne reflète qu’une partie de la réalité. Il existe certes des personnes possédant de très gros patrimoines qui choisissent de s’installer dans un paradis fiscal. Si cette attitude est condamnable, elle peut toutefois se comprendre, en raison du matraquage fiscal pratiqué en France aujourd’hui. §
Pour autant, l’érosion de la base fiscale et les témoignages d’avocats fiscalistes, notamment, nous donnent à penser que cet exil fiscal s’est accéléré au cours des dernières années.
À ce sujet, je tiens à saluer la pugnacité du président de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, qui, à force d’insistance, est parvenu à obtenir de la Direction générale des finances publiques des données très instructives et édifiantes sur les départs à l’étranger de gros contribuables.
Ces données ne couvrent que la période courant jusqu’en 2011. Les chiffres pour l’année 2012 ne pourront être connus qu’au second semestre de 2014, mais la dynamique est engagée. Espérons que la communication établie entre l’administration et le Parlement perdurera et permettra de mesurer avec plus de précision la tendance actuelle, qui a une incidence importante sur nos recettes publiques.
L’Assemblée des Français de l’étranger, présidée de droit par le ministre des affaires étrangères, a en effet constaté qu’il était le plus souvent impossible de connaître le montant des prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers et les plus-values immobilières de source française des non-résidents fiscaux, de même que la répartition entre non-résidents fiscaux, quelle que soit leur origine.
Pour mémoire, les revenus de location d’immeubles et les plus-values immobilières des non-résidents fiscaux sont désormais soumis aux prélèvements sociaux, en sus des droits d’enregistrement.
Le Sénat, quant à lui, s’intéresse depuis longtemps à l’évasion des capitaux. Le débat d’aujourd’hui s’inscrit donc dans la continuité de celui que nous avions eu en octobre 2012, à la suite de la publication du rapport de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.
Ce rapport fut le fruit d’un travail collectif de près de six mois, réunissant des sénateurs de toutes tendances politiques. Le rapport de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières présente, quant à lui, une analyse effectuée sous un angle différent.
Cette analyse de la complexité des circuits bancaires et de l’opacité des pratiques financières permettra de mieux cerner les limites légales de l’optimisation fiscale. Autrement dit, la question à laquelle ces rapports parlementaires visent à répondre est la suivante : y a-t-il une incitation à la fraude ?
Les grandes banques ont toutes, en effet, des filiales dans les paradis fiscaux. Quel est, par ailleurs, le rôle des multiples intervenants : avocats fiscalistes, assureurs, conseillers, sociétés financières, etc. ?
Par exemple, le shadow banking est un système parallèle qui regroupe des acteurs exemptés des disciplines s’appliquant aux banques. Il peut s’agir, pêle-mêle, de sociétés financières, de véhicules de titrisation, de fonds monétaires, de courtiers en valeurs mobilières, de hedge funds, parmi bien d’autres entités encore. Ce système représenterait près de la moitié du secteur bancaire régulé, soit 51 trillions de dollars en 2011….
Néanmoins, la lutte contre la fraude fiscale doit faire l’objet d’un travail en profondeur, transpartisan et étranger à toute volonté de récupération politique, à l’image de celui du Sénat.
Ainsi, soucieux de limiter l’onde de choc et le discrédit jeté sur la classe politique, le groupe UMP n’a pas approuvé la réaction à chaud du Gouvernement au lendemain de l’affaire Cahuzac et des dégâts qu’elle a occasionnés dans l’opinion. La censure, hier, par le Conseil constitutionnel de plusieurs articles de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale est l’illustration la plus fragrante des travers de la démarche du Gouvernement, monsieur le ministre.
Pour sa part, le rapport de la commission d’enquête est le fruit d’un travail plus réfléchi, qui a abouti à un certain nombre de propositions auxquelles je souscris bien entendu très largement.
Je partage l’idée d’améliorer la prévention par un renforcement de la transparence, mais aussi et surtout par une harmonisation fiscale à l’échelon européen, absolument nécessaire. Il convient également de renforcer la répression.
Au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger, nous avons depuis longtemps reconnu la nécessité d’adopter certaines mesures, parmi lesquelles le renforcement de la coopération et de l’harmonisation fiscale, en particulier en Europe, l’amélioration de la surveillance fiscale des opérations de cession, d’acquisition et de fusion, l’adoption d’une approche pragmatique de la problématique, au spectre très large, des prix de transfert.
À travers l’ensemble des propositions allant dans le sens indiqué, le rapport de la commission d’enquête, adopté à l’unanimité, démontre une fois encore la qualité du travail sénatorial. Je souhaite remercier le président de la commission d’enquête, François Pillet, et le rapporteur, Éric Bocquet, d’avoir su travailler dans un climat constructif, en dépit de la diversité de leurs opinions, pour aboutir à un rapport objectif, dont, je l’espère ardemment, les propositions permettront de faire œuvre utile.