Le travail que nous avons mené avec mon collègue Pierre Jamet a été fondé sur environ un millier d'entretiens avec des usagers, des élus, des entreprises, des chambres de commerce et d'industrie, dans les quinze régions où nous nous sommes rendus. Ceci a conduit à l'élaboration du rapport publié en juillet 2013 sur l'organisation territoriale de l'État. Pour répondre immédiatement à votre dernière question, l'un de nos principaux constats est que l'État n'a pas assez réfléchi à son rôle au regard de la perspective de simplification de son organisation territoriale.
Ceci dit, notre souci était d'avoir une vue transversale des conséquences de l'évolution des services déconcentrés et d'en observer les effets sur le terrain. Il s'agit du premier travail de ce type mené par la Cour des comptes, englobant tous les services de l'État, à l'exception du ministère de la Défense.
Nous avons constaté un fort besoin de présence de l'État, de capacité d'arbitrage du préfet et d'améliorations en matière de simplicité et de technicité des interventions étatiques. Ce besoin d'un État simplificateur adapté à la diversité accrue des territoires et ayant tiré les conséquences de la décentralisation n'est pas satisfait à l'heure actuelle. En effet, les différentes réformes entreprises n'ont pas été à la hauteur des évolutions de la société et ont même fait naître des problèmes nouveaux.
L'État se présente sur le terrain comme un patchwork, fruit de réformes successives issues des différentes phases de la décentralisation. Ainsi les circonscriptions des différentes administrations ne coïncident-elles pas entre elles. Par exemple, la lutte contre le trafic des stupéfiants est compliquée par l'existence de circonscriptions ne coïncidant pas entre la police judiciaire et la gendarmerie. La carte des cours d'appel ne recouvre pas celle des régions administratives, ce qui crée des difficultés pour mener l'action pénale, car il existe des discordances entre la zone d'action des procureurs et celle des préfets. À cette disjonction des périmètres, regrettable alors que l'action publique comporte une large part de répression pénale, s'ajoute des complexités dans l'articulation, au sein de l'État, entre opérateurs et services déconcentrés. Il y a des réseaux distincts, pour lesquels existe la nécessité d'échelons de coordination.
Il existe également des problèmes de cohérence à l'intérieur même des services de l'État. Ainsi, les directions des affaires sanitaires et sociales sont souvent dirigées par un vétérinaire, ayant peu de compétences en matière d'action sociale.
À cela s'ajoute la décroissance des effectifs des services de l'État, ce qui les met en difficulté et pose le problème de la pérennité des compétences disponibles. Au 1er janvier 2010, on comptait 101 000 agents dans les services déconcentrés ; ils étaient 82 000 au 31 décembre 2012, et 80 000 en novembre 2013. Ces réductions d'emplois doivent se poursuivre, mais les schémas d'emploi pour 2014 et 2015 comportent des baisses d'effectifs non détaillées, ce qui ne permet pas aux agents d'anticiper les évolutions prochaines. Ces réductions touchent particulièrement les corps d'ingénieurs, notamment ceux des Ponts, ou les vétérinaires.