Intervention de Christian Babusiaux

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 26 novembre 2013 : 1ère réunion
Audition de Mm. Christian Babusiaux président de chambre et pierre jamet conseiller maître sur le rapport public thématique de la cour des comptes « l'organisation territoriale de l'etat »

Christian Babusiaux :

Les services de l'État n'ont plus guère de subventions à distribuer. Par exemple, il n'y a quasiment plus de budget sur le tourisme, plus de crédits industriels, domaine où l'essentiel des fonds distribués sont européens. Pour autant, les services ont pu, pendant un temps, offrir les services de personnels compétents.

Ce que peut apporter l'Etat, c'est la technicité. Or, des effectifs de plus en plus réduits privent les services déconcentrés de la ressource nécessaire en personnels très qualifiés. L'INSEE, par exemple, ne sera bientôt plus en mesure d'avoir une direction dans chaque région, faute de la technicité nécessaire. Il faut être réaliste.

Des problèmes de viabilité se posent, par ailleurs, du fait de l'existence de toutes petites unités. Prenons le cas de la Direction générale des finances publiques, qui emploie environ 120 000 personnes, mais au sein de laquelle 800 unités emploient moins de cinq personnes. Cette situation est problématique au regard de la technicité de certaines matières comme la comptabilité ou l'intercommunalité. Lorsqu'une unité compte cinq agents, il devient compliqué de gérer les problèmes liés aux congés maladie, à la formation, aux mutations...

Les services sont donc, à notre avis, en difficulté. De plus, des problèmes techniques se posent compte tenu de l'absence ou de l'incompatibilité des systèmes d'information. On a rassemblé des administrations sans unifier leurs systèmes d'informations ; ni les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ni les directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) n'ont un système d'informations uni. Cela fait surgir des problèmes de management car les responsables départementaux, régionaux, nationaux ont du mal à recueillir l'information souhaitée.

Nous faisons un quatrième constat lié à la baisse de la fonction de contrôle, dont on peut se demander si elle n'est pas l'une des raisons de certaines difficultés actuelles. Ce constat est vrai à tous les niveaux. Concernant le contrôle de légalité, par exemple, les effectifs ont fondu et la technicité a diminué. Beaucoup de collectivités sont aujourd'hui juridiquement plus équipées que les services préfectoraux. Il est vrai que la DGFip et la DGCL ont chacune des pôles spécialisés, mais très réduits. L'organisation du contrôle fiscal est restée inchangée jusqu'à une époque récente, alors que la nature de la fraude évoluait. On pourrait multiplier les exemples dans tous les domaines.

Enfin, je souhaiterais évoquer un dernier point, à savoir l'absence d'adaptation à la diversité des territoires. L'organisation est certes différente en Ile-de-France, avec la présence de Paris et des départements de la petite couronne, de même qu'elle est différente dans les départements d'Outre-mer, mais à part cela, quels que soient la taille du département ou du peuplement de la région, l'organisation de l'Etat est identique, malgré la différence des problématiques de terrain.

J'en viens maintenant aux orientations et recommandations proposées par la Cour des comptes. Nous en présentons pour chacune des composantes de l'Etat.

Il ne s'agit pas pour la Cour de retirer l'Etat des territoires. En revanche, pour un certain nombre de fonctions, on peut se demander quel est, aujourd'hui, l'apport de l'Etat. Quand il existe dans les DIRECCTE un fonctionnaire chargé du tourisme, et qu'il n'a plus de budget, quand un ou deux fonctionnaires s'occupent de commerce extérieur, quelle est leur plus-value ? Même en matière culturelle - même si bien sûr il y a le patrimoine -, dans la plupart des DRAC, trois ou quatre conseillers culturels s'occupent chacun d'un domaine : la musique, la danse, etc. Quelle est leur plus-value potentielle par rapport à l'action des collectivités territoriales en matière d'action culturelle ? Au vu de ces interrogations, le rapport préconise de tirer les conséquences de la décentralisation en faisant en sorte que l'Etat se recentre, compte tenu de la baisse de ses moyens, sur les secteurs où sa présence est vraiment nécessaire.

Il faut réajuster les cartes, notamment en matière de maintien de l'ordre, de police, de corps de contrôle, y compris à l'intérieur d'un même ministère : il est difficile, par exemple, de comprendre qu'il y ait 40 régions douanières alors qu'il y a 20 régions relevant de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il faut donc faire ce travail de mise en cohérence. Il convient de créer, ou plutôt de recréer des pôles de technicité, éventuellement au plan interdépartemental ou, dans certains cas, interrégional. Il est important de diversifier l'organisation. Par exemple, la cohésion sociale, aujourd'hui localisée au sein des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDSCPP), devrait, dans les départements les plus urbains, être rapprochée des directions départementales des territoires, pour ne pas séparer l'urbanisme, le logement et l'animation des quartiers.

Voilà quelques grands axes de nos recommandations. Nous préconisons que l'Etat essaie d'avoir une vue d'ensemble de son organisation, ce qu'il n'a pas réussi à faire jusqu'ici.

Il y a urgence, car chaque jour qui passe voit la situation se dégrader. La complexité de l'Etat territorial est un frein à l'efficacité de certaines politiques publiques. Sur des enjeux essentiels comme la politique de la ville, la cohésion sociale, ou encore l'emploi et la formation professionnelle, il y a trop de complexité à l'intérieur même de l'Etat entre ses opérateurs et ses services déconcentrés. Le statu quo est impossible.

En d'autres termes, il importe de reconstruire une cohérence car les problèmes sont aujourd'hui compliqués. Il faut des structures et des responsabilités claires.

Nous insistons également sur les ressources humaines et le management. L'Etat reconnaît lui-même que ces deux sujets ont été ignorés. Il n'y a eu aucune adaptation, sauf exception, aux nouvelles structures et aux nouvelles tâches. Les enjeux de mobilité des fonctionnaires entre les zones territoriales, enjeux de statut, de primes, de conditions d'emploi n'ont pas été traités : nous pensons qu'il y a de grands défis à relever en termes de ressources humaines.

La Cour a la conviction que l'Etat gagnerait en crédibilité s'il donnait au plan territorial l'exemple de ce qu'il faut faire pour se réformer.

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