Intervention de Yamina Benguigui

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 5 décembre 2013 : 1ère réunion
Violences à l'égard des femmes dans les territoires en conflit — Audition de Mme Yamina Benguigui ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères chargée de la francophonie

Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie :

Le thème des violences faites aux femmes est au coeur de l'action que je mène depuis le début de la mandature. En juillet 2012, je me suis rendue en République démocratique du Congo (RDC) pour préparer le sommet des chefs d'État et de gouvernement de la Francophonie, à Kinshasa. Un groupe de femmes venues de l'est du pays m'a interpellée sur un drame qui avait eu lieu au Nord Kivu, celui des viols massifs planifiés et perpétrés par des groupes rebelles armés, n'épargnant ni les bébés de quelques mois, ni les femmes de plus de soixante-dix ans. Ces escadrons de violeurs porteurs du sida étaient payés pour le propager en toute impunité. Le viol massif commandité est un phénomène structurel en République démocratique du Congo, qui a été amplifié par des conflits vieux de quinze ans.

L'objectif des commanditaires est triple et devient lisible lorsque l'on superpose trois cartes, celle des groupes ethniques, celle des ressources minières et agricoles et celle de la densité des populations présentes dans les espaces concernés. Le premier objectif est la dépossession des zones minières et des autres ressources agricoles et forestières au profit des groupes combattants venus d'Ouganda, du Rwanda et du Burundi. Le second objectif est la destruction des communautés des deux provinces du Kivu. Le dernier objectif est le déplacement des communautés ethniques au profit d'autres communautés, préparant ainsi la reconfiguration démographique et politique de zones entières.

Le viol de guerre est un acte de barbarie. La profanation des vagins est une arme de destruction massive des femmes et des filles. Dans toutes les guerres oubliées de la planète, des vagins sont massacrés. En propageant le sida, les viols à grande échelle génèrent une contamination dévastatrice, nouvelle arme de guerre biologique. Le viol devient un instrument de génocide. Il est une technique rustique d'extermination à moindre coût et de nettoyage ethnique. Les petites filles sont transformées en poupées de sang. Les nouveaux seigneurs de la guerre deviennent des monstres pédophiles. Les viols de guerre sont une arme redoutable pour l'extermination des femmes, violées et tuées dans le silence.

Ce jour-là, dans le plus grand pays francophone, des femmes congolaises faisaient devant moi, en français, le récit des violences qu'elles avaient subies dans leur chair. L'indignation et la colère que j'ai senti monter en moi ont porté la question du droit des femmes francophones au coeur de mon action politique dans ce tout nouveau ministère de la Francophonie.

Tout s'est enchaîné très vite : dans la nuit, 300 viols avaient eu lieu, encore, au Nord-Kivu. J'appelle MM. Fabius et Hollande pour que la France demande une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée à la situation à l'est de la RDC. Le jeudi 2 août 2012, le Conseil lance un avertissement aux rebelles du M-23, leur demande de cesser leur avancée vers Goma et condamne les pays qui les soutiennent. Le mercredi 26 septembre 2012, dans mon discours lors de la réunion de haut niveau sur la RDC à l'Assemblée générale des Nations-Unies à New-York, je demande un élargissement du mandat de la MONUSCO pour protéger les civils. Le président Kagamé, furieux, s'est levé et a jeté sa chaise à mes pieds. L'aurait-il fait si j'avais été un homme ? Dès mon arrivée à Kinshasa, le 5 juillet 2012, j'avais reçu des menaces de mort, ma famille également. Le ministre de l'Intérieur les a jugées suffisamment sérieuses pour me donner une escorte, ce qui est une première pour un ministre délégué ! Malgré le geste du président Kagamé, j'ai continué.

J'ai proposé au président Hollande de mettre la question des droits des femmes au coeur de la relance de la francophonie en organisant le premier Forum mondial des femmes francophones : le 13 octobre 2012, à Kinshasa, à la clôture du Sommet de la francophonie, le président de la République en annonça la tenue pour le 20 mars 2013. Le 15 octobre 2012, je me suis rendue à Goma pour apporter une aide humanitaire de la France au Programme alimentaire mondial et à l'hôpital « Heal Africa », où nous avons pu faire vacciner quelque 1 200 bébés atteints du VIH. Je suis allée au camp de Kanyarushinia, qui regroupe environ 70 000 femmes et enfants déplacés, à cinq kilomètres de la ligne de front. Toutes les femmes de ce camp avaient été violées. Elles survivaient, avec les enfants, dans des conditions sanitaires intolérables. Elles avaient échoué là, bannies de leur famille parce que figures du déshonneur : à la destruction physique s'ajoute la stigmatisation sociale. Les conséquences sont irréversibles : séquelles psychologiques et psychiatriques, contamination par le VIH, et naissance de milliers d'enfants nés de ces viols. Un mois après, le mardi 20 novembre 2012, les rebelles du M-23 sont entrés dans Goma et ce camp a été entièrement vidé. Nous ignorons ce que sont devenues ces femmes.

La plupart ont été violées plusieurs fois, la peur est permanente, même sous la protection de la MONUSCO. J'ai rencontré des femmes qui avaient été violées dix-sept fois. J'ai vu une famille où toutes les femmes avaient été violées : la grand-mère, la mère de quarante ans, qui en est décédée, la fille de dix-huit ans, dont l'appareil génital a ensuite été fracassé et, sur son épaule, la fillette de 18 mois dont le bassin est entièrement détruit car elle a été violée par onze hommes - elle-même est née d'un viol.

Le mercredi 28 novembre 2012, la résolution 2078 est adoptée : les Nations-Unies condamnent le M-23 et exigent l'arrêt immédiat des violences. Dès le début du mois de décembre 2012, j'ai multiplié les entretiens avec M. Ladsous, secrétaire général adjoint des Nations-Unies chargé des opérations de maintien de la paix, et Mme Zerrougui, représentante spéciale du secrétaire général des Nations-Unies pour les enfants dans les conflits armés. Le 25 décembre 2012, Mme Trierweiler publie avec moi-même, et avec M. Chirac, M. Muhammad Ali et M. Kofi Annan, une tribune dans le journal « Le Monde » pour alerter l'opinion publique sur cette tragédie : « Au Kivu, on viole et on massacre dans le silence ».

Le 20 mars 2013, le premier Forum mondial des femmes francophones fut consacré aux violences faites aux femmes, notamment en RDC. Il réunit à Paris, en partenariat avec l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), l'ONU-femmes et l'Unesco, plus de 700 participantes venues des 77 pays de l'espace francophone : militantes, enseignantes, artistes, intellectuelles, chefs d'entreprises se succédèrent à la tribune pour témoigner devant ministres, parlementaires, représentants de la société civile, ainsi que le secrétaire général de la Francophonie, M. Abdou Diouf, Mme Irina Bokova, M. Fabius et Mme Bachelet. La parole ainsi libérée a révélé l'urgence d'un statut des femmes francophones, car dans l'espace francophone - Mali, République Centrafricaine (RCA=, Égypte, Tunisie... - les conflits visent systématiquement les femmes. Les participantes ont appelé le président de la République, qui les a reçues à l'Élysée, à créer immédiatement un réseau des femmes francophones.

Le 28 mars 2013, le Conseil de sécurité de l'ONU a élargi le mandat de la MONUSCO, l'a prorogé et a doté la mission d'une brigade d'intervention plus offensive pour combattre les rebelles du M-23. En avril 2013, j'ai alerté le président Macky Sall - le prochain sommet des chefs d'État aura lieu à Dakar en 2014 - sur la nécessité de traiter au plus haut niveau des droits des femmes francophones. Je lui ai proposé d'en faire un axe majeur de ce sommet.

Le 7 juillet 2013, je suis retournée à Goma avec Mme Trierweiler. Je suis allée à l'hôpital de Panzi, au Kivu, pour m'entretenir avec le docteur Mukwege et apporter deux tonnes de médicaments. J'ai signé une convention de financement de 200 000 euros au profit de la fondation de l'hôpital Panzi. Du 22 au 28 septembre 2013, en marge de l'Assemblée générale des Nations-Unies, j'ai réuni un groupe d'experts afin d'inscrire le droit des femmes à l'agenda de la francophonie. J'ai posé les bases d'une deuxième édition du Forum des femmes francophones. Le 11 octobre 2013, le site internet « Terriennes » de TV5 Monde fut dédié à ce forum. Le 25 octobre 2013, le réseau des femmes francophones fut lancé par le secrétaire général de l'OIF, M. Abdou Diouf.

Le 8 novembre 2013, à la conférence ministérielle de la francophonie, le Sénégal a annoncé que le sommet de Dakar aurait pour thème : « Femmes et jeunes : vecteurs de paix, acteurs de développement ». Ce sera la première fois qu'un sommet de chefs d'État sera consacré aux femmes. Fidèle à ma méthode, de toujours demander un peu plus que ce qu'on m'accorde, j'ai suggéré ce jour-là qu'une déclaration solennelle et spécifique sur les droits des femmes soit élaborée et annexée aux conclusions de ce sommet.

La semaine dernière, j'étais à Kinshasa pour préparer avec la RDC la deuxième édition du Forum mondial des femmes francophones, qui réunira plus de 1 000 femmes francophones les 3 et 4 mars 2014 autour du thème « Les femmes, actrices du développement ». Les conclusions de ce sommet nourriront le sommet de novembre 2014.

J'ai eu à coeur d'inscrire dans l'action de mon ministère la défense des valeurs d'humanité et de solidarité francophones, le respect du droit des femmes francophones et la lutte contre les violences dont elles sont victimes. Il y a deux jours, des miliciens anti-balaka en Centrafrique ont attaqué un campement de Peuls à 90 kilomètres au nord de Bangui. Parmi les victimes, il y a de nombreuses femmes et de nombreux enfants.

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