Intervention de Yannick Vaugrenard

Réunion du 9 décembre 2013 à 16h00
Simplification et sécurisation de la vie des entreprises — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques mots pour vous résumer l’avis de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi qui concerne le volet consacré aux entreprises du « choc de simplification ».

Je rappelle toutefois que les entreprises ne sont pas les seules à souhaiter un allégement des charges administratives ou de « l’impôt papier », comme l’appellent certains. Les citoyens partagent en effet ce souhait, bien que, par ailleurs, ils n’hésitent pas à se tourner, de façon parfaitement légitime, vers les pouvoirs publics pour réclamer parfois plus de normes. Le Gouvernement, dont la tâche n’est donc, ici encore, pas facile, a cependant bien pris en compte cette aspiration à la simplicité, et le Parlement vient d’adopter la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.

En outre, madame la ministre déléguée, je le redis ici, au Sénat, nos collectivités territoriales luttent quotidiennement contre la lenteur et les engrenages des procédures. Chacun s’accorde à constater les difficultés, mais les solutions à y apporter ne sont pas simples, comme en témoigne la navette parlementaire sur la proposition de loi d’origine sénatoriale relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, aujourd’hui en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Nous appelons le Gouvernement à tenir compte de ces difficultés en encourageant, en particulier, l’administration de l’État à faciliter la vie sur l’ensemble de nos territoires.

Après ces observations, j’en reviens à l’analyse spécifique de ce projet de loi d’habilitation consacré aux entreprises.

Sur le fond, le principal message de la commission des affaires économiques est que l’approche adoptée par le Gouvernement est de nature à redonner vigueur et crédibilité à la démarche de simplification souhaitée pas tous. De manière plus précise, nous insistons sur l’objectif qui consiste à faire progresser notre pays en termes de « compétitivité-temps ».

En effet, depuis les années 1950, on répète le mot « simplification » et on prend des mesures censées aller dans ce sens. Cependant, personne n’a pu limiter la profusion des normes. Tous les domaines sont concernés, mais aussi l’ensemble des pays, comme en témoigne la multiplication des règles édictées par l’Organisation mondiale du commerce. Le processus de simplification a bien failli, au cours des années récentes, être lui-même emporté par cette tendance inflationniste.

Si nous parvenons enfin à réduire ce foisonnement, tant mieux ! Mais si tel n’est pas le cas immédiatement, le présent projet de loi d’habilitation contient des palliatifs essentiels pour gérer la complexité ainsi que l’instabilité de façon plus simple et plus rapide pour l’usager.

J’observe que les industriels ont été confrontés à un défi un peu similaire à celui du législateur : les objets que nous utilisons sont de plus en plus complexes, mais leur maniement a été simplifié afin de le mettre à la portée de tous. Il y a encore trente ans, il fallait communiquer avec un ordinateur en « langage machine », et non par un simple « clic » ou en effleurant un écran. Les logiciels permettent ainsi de traiter beaucoup d’informations en peu de temps. L’e-administration est susceptible de permettre, selon les estimations, 15 milliards d’euros d’économies budgétaires pour l’État et un allégement de 25 % de la charge administrative pour les entreprises.

C’est dans cette direction que se sont orientées les bonnes pratiques suivies chez nos voisins européens en matière de réduction de la charge administrative et de généralisation de l’administration électronique.

C’est aussi le premier axe fondamental du présent projet de loi avec, par exemple, la facturation électronique, prévue à l’article 1er. Rappelons que l’État traite manuellement des quantités énormes de papier correspondant à plus de 4 millions de factures par an, dont certaines atteignent des centaines de pages.

Il nous faut cependant, au nom du réalisme, tenir compte de l’actualité récente aux États-Unis : elle montre que la réussite de l’e-administration ne va pas de soi, même dans ce pays pionnier en matière de technologies de l’information. La saturation des sites internet publics a en effet fragilisé le lancement du vaste programme, dit « Obamacare », de généralisation de la couverture maladie.

C’est pourquoi la commission des affaires économiques attache une grande importance au maintien des dispositions du projet de loi qui prévoient l’extension progressive de l’obligation d’utilisation des outils de l’e-administration ainsi qu’un traitement particulier des très petites entreprises, qui n’auraient pas, sinon, les moyens d’intégrer les normes techniques. Bien entendu, le choc de simplification ne doit pas entraîner de surcoût pour les entreprises.

Deuxième axe du projet de loi, l’expérimentation du « certificat de projet », prévue par les articles 13 et 14, offre des perspectives stables aux opérateurs, sans pour autant brider le Parlement dans ses initiatives visant au perfectionnement du droit. Le texte s’attaque donc à la principale hantise des porteurs de projets, qui est l’instabilité des normes plus encore que leur complexité.

Les grands axes de ce projet de loi emportent donc l’adhésion, d’autant plus que ce dernier a été construit sur la base d’une consultation au cours de laquelle non seulement les administrations, mais aussi et surtout les entreprises ont pu directement exprimer des besoins précis.

Cette adhésion est d’autant plus nécessaire que la simplification de la vie des entreprises ne relève pas seulement des normes législatives ou réglementaires, mais aussi des comportements. Il a été constaté, par exemple, que certaines administrations ou certains greffes des tribunaux de commerce n’avaient pas toujours des pratiques homogènes sur l’ensemble du territoire. Ainsi, des justificatifs sont parfois demandés sans que la réglementation le prévoie. De ce point de vue, il est essentiel que le Gouvernement et le Parlement diffusent ensemble un message de simplification générale de la vie des entreprises à destination de la société française et de son administration.

Je ferai cependant, au nom de la commission des affaires économiques, deux observations qui concernent le recours aux ordonnances.

À force de contester ce recours par principe, on en vient à oublier que le Parlement, à condition que le Gouvernement ne s’y oppose pas, conserve juridiquement certains moyens d’action, y compris celui de modifier le contenu des ordonnances au moment de la ratification, ou même en dehors de son processus normal.

Il reste qu’il nous paraît essentiel aujourd’hui de franchir un nouveau pas dans l’association du Parlement au processus d’élaboration des ordonnances, sans pour autant changer la donne constitutionnelle, mais en perfectionnant les pratiques existantes.

J’ai exploré, au cours des auditions, deux pistes à cet égard : soit le projet d’ordonnance fait l’objet d’une consultation publique ouverte à tous, et le Parlement doit s’y voir reconnaître un accès privilégié ; soit aucune consultation publique n’est organisée, et les commissions parlementaires doivent être destinataires des projets d’ordonnance afin de pouvoir émettre des avis. Lors de votre intervention, madame la ministre déléguée, vous avez été tout à fait rassurante sur cette question. J’ajoute que, partout en Europe, là où la simplification progresse, le Parlement y est étroitement associé.

Nous soulignons également la nécessité de respecter le rythme des réformes prévu aux articles 18 et 19 du projet de loi et, si possible, de l’accélérer. En effet, si ce rythme n’était pas plus rapide que celui de la procédure législative de droit commun, la raison d’être de l’habilitation, qui est de répondre à une urgence économique, en serait fragilisée.

Je voudrais, enfin, rappeler les points précis sur lesquels la commission des affaires économiques a souhaité insister.

Je commencerai par évoquer les amendements qui ont été intégrés dans le texte issu des travaux de la commission des lois, lequel nous sert de base de discussion.

Ils concernent, tout d’abord, le volet de l’article 3 consacré au périmètre du régime des conventions réglementées. Le projet de loi, par souci de simplicité, vise à placer en dehors de ce régime strict les conventions qui ne présentent pas, en principe, de risque d’abus. Il s’agit de celles qui sont, par exemple, conclues entre une société mère et sa filiale à 100 % qui forment un ensemble solidaire. Inversement, la commission a souhaité renforcer les moyens de contrôle des conventions présentant un risque plus sérieux de détournement.

L’article 10, quant à lui, prévoit la modernisation de la gouvernance et la clarification juridique de la gestion des participations de l’État. Au terme d’une analyse attentive, j’en suis arrivé à deux conclusions principales, qui ont été approuvées par la commission des affaires économiques.

Tout d’abord, il nous a semblé inopportun, en dépit de la précision insuffisante du dispositif de cet article, de risquer d’entraver la tâche du Gouvernement en détaillant et en compliquant le texte. Cette préférence pour la simplicité ne conduit cependant pas le législateur à signer une sorte de « chèque en blanc », puisque l’exposé des motifs ainsi que les débats parlementaires sont pris en compte par le Conseil constitutionnel lorsqu’il statue sur la précision de l’habilitation.

Or cet exposé des motifs reprend, presque mot pour mot, l’une des principales recommandations faites par notre commission à l’occasion de l’examen des crédits de l’État actionnaire : il s’agit de donner à l’État une plus grande souplesse de nomination au sein des conseils d’administration et de désigner des représentants de l’État issus d’un vivier plus étendu qu’aujourd’hui. Toutefois, pour traduire cette seule intention, le Gouvernement devra modifier au moins quatre lois.

En revanche, la commission a estimé souhaitable, plutôt que d’allonger le texte, de délimiter l’habilitation par une borne très claire en précisant qu’elle n’autorise pas le Gouvernement à diminuer le niveau de contrôle de l’État actionnaire dans les entreprises stratégiques relevant de son périmètre. Ce point est d’ailleurs parfaitement consensuel, puisque l’article 10 a effectivement pour objet la clarification et la modernisation du droit applicable aux participations de l’État, et non pas la modification des seuils de contrôle.

J’en viens à l’amendement écarté, pour des raisons juridiques, par la commission des lois, que je vous présenterai lors de la discussion de l’article 1er. Il s’agit de renforcer les garanties permettant de s’assurer que la simplification de certaines obligations des employeurs en matière d’affichage s’effectuera dans le strict respect des droits des salariés et au terme d’une procédure consultative, sous l’égide du ministère en charge du travail.

Pour la commission des affaires économiques, l’objet de cet amendement est avant tout d’adresser un message général visant à rassurer les salariés, en soulignant que les mesures de simplification ne doivent en aucun cas porter atteinte à leurs droits, en particulier ceux à l’information.

J’en termine avec une observation de droit comparé de la simplification.

Nous devons à l’expérience belge de simplification l’invention du concept « Dites-le nous une fois » qui a été repris en France et mérite d’être généralisé à l’ensemble de notre territoire. Je signale que nos voisins pratiquent également le « test Kafka », qui a été qualifié de particulièrement novateur par la Banque mondiale. Très concrètement, ce test permet d’évaluer l’impact d’une nouvelle réglementation sur les charges administratives à l’aide d’un questionnaire précis concernant le nombre et la périodicité des formalités et obligations induites par les normes envisagées. Je me demande simplement s’il ne pourrait pas être incorporé dans les études d’impact qui accompagnent obligatoirement les projets de loi depuis la dernière réforme de nos institutions.

En fin de compte, ce qui nous frappe surtout dans ce projet de loi, c’est sa nécessité. Nous devons améliorer notre « compétitivité-temps », alléger la charge administrative à la fois pour les entreprises et pour l’État, réduire le coût et la pénibilité des traitements papier et clarifier notre droit.

Pour ce qui concerne le recours aux ordonnances, notre « fibre parlementaire » nous conduit tout naturellement à exprimer certaines réserves. Je rappelle cependant que 331 ordonnances ont été publiées entre le début de 2005 et la fin de 2012, soit environ 41 par an, contre 21 en 2013. À l’évidence, ces chiffres traduisent plutôt un ralentissement, contrairement à ce que l’on entend dire ici ou là.

La priorité est donc de faire face à l’urgence économique, à l’importance de l’enjeu, qui se chiffre à plus d’un point de produit intérieur brut, et à la nécessité de rejoindre le peloton de tête des pays européens en matière de simplification. Ces ordonnances, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vont y contribuer. C’est pourquoi la commission des affaires économiques est très favorable à l’adoption de ce projet de loi d’habilitation.

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