Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réglementations pesant sur les entreprises de notre pays, dont 99 % sont des PME ou des TPE, sont toujours plus nombreuses et contraignantes.
Je crois que nous sommes tous d’accord dans cet hémicycle sur le constat d’une complexité administrative et juridique fortement dommageable à la vie économique, voire à la nécessaire respiration économique de notre pays. Dès lors, il est évident que toute volonté de simplifier et de sécuriser la vie des entreprises s’inscrit a priori dans une démarche éminemment louable, voire salutaire.
Pour autant, la question qui se pose ici est de savoir si, tant sur la forme que sur le fond, le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, tel qu’il nous est soumis, répond bien à cet objectif et est à même de faire œuvre utile.
Tout d’abord, sur la forme, le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution. C’est, en dix-huit mois, le troisième texte de la législature faisant usage de cette procédure, après la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les constructions de logements, et la loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.
Bien entendu, puisqu’elle est prévue par la Constitution, l’utilisation des ordonnances n’est pas en elle-même, contestable.
Pourtant, permettez-moi en premier lieu de m’interroger sur cette appétence récente pour cette procédure, alors que, sous d’autres gouvernements, l’opposition n’avait pas de mots assez durs pour décrier cette même méthode. Pour m’être penché sur les travaux de l’Assemblée nationale relatifs à ce projet de loi, je note d’ailleurs que tant le rapporteur socialiste de la commission des lois que le rapporteur, socialiste lui aussi, de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire se sont interrogés, de la même façon, sur le risque de dérive de ce recours aux ordonnances, qui constitue « un sujet délicat, toujours inconfortable pour les parlementaires », « d’autant plus contestable qu’un exercice de simplification n’est jamais dénué de risques », suscitant donc des « réserves » de la part de ces deux rapporteurs.
Pour éviter toute dérive, M. le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a ainsi été d’avis de soumettre à l’avenir ce recours aux ordonnances au respect de deux types de conditions.
Tout d’abord, le Gouvernement devrait indiquer avec précision la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances, et demander une habilitation temporaire, encadrée par un délai limite. Ces conditions me paraissent déjà posées par la Constitution. Ensuite, le recours aux ordonnances devrait être justifié par l’urgence et la technicité des mesures à adopter. Voyons donc, après notre éminent collègue de l’Assemblée nationale, ce qu’il en est de ces deux conditions.
S’agissant de l’urgence, il faut noter que ce texte fait l’objet de la procédure accélérée. Celle-ci pourrait effectivement, à elle seule, accréditer cette thèse de la nécessité de légiférer rapidement dans les dossiers concernés. Or cet argument ne tient pas, vous le savez bien, mes chers collègues, tant nous avons pris l’habitude d’examiner des textes en procédure accélérée.
De fait, force est de constater que, pour un grand nombre des dispositions concernées, voire leur totalité, l’urgence n’existe pas. Permettez-moi ainsi, à titre d’exemple, de m’interroger, à la suite du rapporteur de l’Assemblée nationale, sur l’urgence de procéder par ordonnances, alors que le projet de loi prévoit un délai d’habilitation de quinze mois pour l’article 12. Si le Gouvernement se donne plus d’un an à compter de la publication de la présente loi pour adopter l’ordonnance, ce délai n’aurait-il pas permis de procéder par la voie législative ordinaire ?
D’ailleurs, sans vouloir insister plus longuement sur ce point, quelle urgence peut-il bien y avoir à augmenter le nombre de notaires salariés, ou à instituer le salariat pour les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, comme le prévoient respectivement les articles 4 et 5 ?
En outre, je m’interroge également sur le respect de la deuxième condition, relative à la définition de la précision avec laquelle le périmètre d’intervention du Gouvernement doit être borné. Dans ce texte d’habilitation, le champ d’intervention du Gouvernement est bien souvent trop imprécis pour que le Parlement exerce effectivement son pouvoir d’appréciation, conformément à l’article 38 de la Constitution, même si Mme la ministre vient de nous annoncer que le Parlement serait associé à l’élaboration des ordonnances.
Ainsi, à titre d’exemple, en matière d’aménagement du territoire, l’alinéa 2 de l’article 13 autorise le représentant de l’État dans le département à délivrer à titre expérimental « aux porteurs de projets dont la mise en œuvre est soumise à certaines autorisations administratives relevant de sa compétence régies par les dispositions du code de l’environnement, du code forestier ou du code de l’urbanisme, un document dénommé : “certificat de projet” ». Or, aucun critère législatif d’octroi de ce « certificat de projet » n’est défini par le projet de loi, ce qui fait légitimement redouter des choix arbitraires à l’avenir.
De même à l’article 11, où un amendement du Gouvernement a été adopté afin de réformer les modalités de calcul et d’application du taux d’intérêt légal : force est de constater que les modalités de calcul de ce nouveau taux d’intérêt légal sont floues, ce que M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation a d’ailleurs avoué lors de la discussion du texte à l’Assemblée nationale, en précisant que « les consultations sur ce point ne sont pas tout à fait achevées » !
Enfin, que dire de l’article 14 qui crée, à titre expérimental, une procédure unique intégrée pour autoriser la construction d’installations classées pour la protection de l’environnement, au bénéfice des éoliennes principalement ?
Cette proposition fait écho à la proposition de loi « Brottes », qui voulait assouplir l’implantation des éoliennes terrestres et offshore dans les zones littorales, assouplissement auquel s’était opposé le Sénat. On le sait bien : tout assouplissement des mesures concernant l’implantation des éoliennes suscite de nombreuses interrogations, notamment au regard du patrimoine naturel et de l’aménagement du territoire ; il faut donc être très vigilant à cet égard.
On pourrait, sur ce plan, multiplier les exemples d’imprécision concernant l’action future du Gouvernement dans les ordonnances qu’il envisage de prendre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le rapporteur de la commission des lois, M. Mohamed Soilihi, a proposé différents amendements visant à améliorer le texte à cet égard. Nous verrons quel sort leur sera réservé tout à l’heure en séance...
Mais quittons maintenant les questions de forme pour en venir au fond ! Ce projet de loi d’habilitation répond-il aux objectifs de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises ?
En premier lieu, le moins que l’on puisse dire est qu’il « souffre d’une grande hétérogénéité de ses dispositions », comme l’a souligné le rapporteur de la commission des lois à l’Assemblée nationale. Celui-ci « déplore » ainsi, à juste titre selon moi, le « manque de cohérence de ses dispositions » et le fait qu’il « comporte […] de trop nombreuses dispositions ne relevant pas de la simplification de la vie des entreprises ». Il ajoute d’ailleurs que si « les habilitations proposées sur ces [derniers] sujets sont, certes, utiles et justifiées », « leur insertion dans le présent projet de loi affaiblit cependant sa cohérence et sa lisibilité ». Il affirme enfin – c’est la dernière citation que je livre à votre réflexion, mes chers collègues, et sans doute la meilleure ! – que « le caractère hétéroclite du texte va sans doute s’accroître à l’issue de nos travaux, compte tenu des amendements déposés par le Gouvernement, qui portent sur des sujets aussi variés que la caisse commune de sécurité sociale de la Lozère, le mode de calcul du taux d’intérêt légal ou le cadre juridique de la gestion d’actifs. »
Et de fait, nous y sommes bien arrivés : ce projet de loi constitue désormais un véritable patchwork qui comprend, certes, des dispositions de nature à simplifier la vie des entreprises, d’autres qui n’ont rien à voir avec cette simplification, et d’autres enfin qui vont bien au-delà de la seule simplification.
S’agissant des dispositions sans lien avec la vie des entreprises, on ne peut que regretter et dénoncer le fait qu’elles figurent dans un texte d’habilitation, d’une part, et qu’elles ratent leur cible, d’autre part – c’est le cas, notamment, des articles 5, 8, 11. Je ne sais d’ailleurs pas lequel de ces deux griefs est pire que l’autre…
En revanche – cela a été rappelé précédemment –, les mesures qui dépassent la simplification concernent des sujets d’importance, dont le Parlement devrait être saisi dans un travail législatif normal et qui mériteraient un vrai débat. C’est le cas particulièrement de l’article 2, qui réécrit presque totalement le droit des entreprises en difficulté, de l’article 10, relatif au renforcement de l’efficacité de la gestion des participations de l’État, ou encore des articles 11 et 12 concernant la mise en œuvre du droit de l’Union européenne.
« Force est de constater que de telles questions n’ont pas leur place dans un projet de loi de simplification. En procédant ainsi par ordonnance, vous privez les parlementaires de tout contrôle sur ces mesures qui, de toute évidence, outrepassent le cadre strict d’une entreprise de simplification » : mes chers collègues, ces paroles ne sont pas les miennes, mais celles de l’un de nos collègues députés ; je n’ai rien à leur ajouter !
Pour sa part, le groupe UMP est d’avis qu’il aurait été plus opportun d’associer étroitement le Parlement à la définition de toutes ces dispositions, afin de proposer de véritables mesures susceptibles de simplifier et sécuriser la vie des entreprises, comme c’est le cas par exemple au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où le rôle du Parlement a été renforcé dans le domaine de la simplification, avec la création de commissions spécifiques.
De fait, de nombreuses simplifications nécessaires ont tout simplement été oubliées par ce texte.
Je pense ainsi à la récurrente problématique du bulletin de paie, dont on sait qu’il se complexifie avec l’adoption de toute mesure sociale nouvelle. Je pense également à la réglementation de la création d’entreprise, qui reste particulièrement lourde, alors même que l’on aurait pu ici s’inspirer de celle qui régit l’auto-entrepreneur et, de façon générale, réfléchir aux modalités d’alignement du fonctionnement de beaucoup de PME sur ce dernier régime, dont la souplesse est largement reconnue.
De même, ce texte fait l’impasse sur la nécessaire simplification du code du travail qui, avec plus de dix mille articles, est trop souvent inadapté à la réalité du fonctionnement actuel des TPE et PME. On aurait ainsi pu réfléchir à un lissage des seuils d’effectifs au-delà desquels des règles spécifiques s’imposent à l’entreprise et freinent, on le sait bien, son initiative en termes d’embauches.
Manquent également des dispositions, tout aussi urgentes, destinées à faciliter l’accès de nos PME aux marchés publics, sur le modèle du Small Business Act américain. Répondre à un appel d’offres n’est effectivement pas chose facile pour de petites entreprises, et il serait utile d’améliorer rapidement la situation sur ce plan.
Enfin, tout particulièrement dans les circonstances économiques actuelles, il aurait fallu réfléchir de nouveau à l’urgente simplification du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Cette disposition, voulue par le Gouvernement et présentée comme une importante mesure de soutien à la compétitivité des entreprises, s’est effectivement avérée jusqu’ici trop complexe et trop aléatoire dans les retours concrets qu’elle offre aux entreprises, alors qu’une simple diminution des charges aurait suffi et aurait été, à notre sens, plus efficace.
In fine, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Gouvernement a annoncé vouloir provoquer un choc de simplification, pour le groupe UMP, ce texte ne contient pas les vraies mesures attendues par les professionnels, qui leur simplifieraient la vie au quotidien et leur permettraient de gagner en compétitivité.
Il s’agit au contraire d’un texte confus et complexe, presque à l’opposé de la volonté de simplification du Gouvernement, qui ne nous paraît pas pouvoir favoriser la croissance. En conclusion, c’est pour nous l’occasion ratée d’un véritable rendez-vous que nous aurions pu avoir avec les entreprises.