Intervention de Yannick Vaugrenard

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 26 novembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. étienne Pinte président du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale

Photo de Yannick VaugrenardYannick Vaugrenard, rapporteur, et :

M. Pierre Bernard-Reymond. - Cela va venir !

Étienne Pinte. - Peut-être, mais, pendant des années, les Allemands ont été plus compétitifs que nous, en partie grâce à la pauvreté et à des salariés sous-payés.

Il me revient à ce propos l'anecdote suivante. Lorsque Ben Ali a quitté la Tunisie, je fus envoyé avec Christine Lagarde pour renouer avec les nouvelles autorités tunisiennes. Le Premier ministre de l'époque nous avait alors interrogés sur la volonté de la France de respecter l'engagement qu'elle avait pris de promouvoir l'immigration circulaire : il s'agit d'accueillir sur son sol des hommes et des femmes, notamment des étudiants, en vue de les former dans le cadre d'un contrat de cinq ans, pour que ceux-ci puissent, une fois revenus dans leur pays, lui faire bénéficier de l'expérience ainsi acquise.

Rentrant à Paris, j'apprends que l'Allemagne a besoin, pour des raisons démographiques, de 200 000 immigrés chaque année afin de poursuivre sa croissance et son développement économique. J'appelle alors l'ambassadeur d'Allemagne, que je connais bien, pour lui demander si son pays peut faire une petite place à nos amis tunisiens. Il me répond que son pays fait suffisamment d'efforts en Tunisie même, précisant qu'il cible, en matière d'immigration, les Turcs et les Polonais. L'Allemagne choisit donc en quelque sorte ses immigrés, naturellement selon des critères spécifiques, notamment en termes de profession et de formation. C'est dire à quel point nos pratiques, nos normes sont différentes.

D'où l'impossibilité d'avoir, sur le plan européen, une politique commune sur l'immigration, les sans-papiers, le statut de réfugiés politiques. Sur des sujets aussi sensibles, chacun entend garder ses prérogatives.

La France est, après les États-Unis, le pays qui reçoit chaque année le plus de demandes de statut de réfugié politique : plus de 60 000 demandes, parmi lesquelles seules 15 % à 20 % sont satisfaites. Dans la mesure où il faut au moins deux ans pour prendre une décision définitive, il est évident qu'entre-temps ceux dont le statut n'est finalement pas reconnu se sont insérés, ont appris la langue, ont scolarisé leurs enfants, se sont même parfois mariés. Nous nous retrouvons donc dans des situations terriblement difficiles.

Tant qu'il n'y aura pas un minimum de coopération européenne dans des matières aussi sensibles que celle-là, nous ne nous en sortirons pas. Il n'y a pas de solidarité européenne sur le plan social, sur le plan humain.

Quant aux problèmes psychiatriques et à la lutte contre les maladies mentales, ceux-ci constituaient l'un des thèmes du rapport sur l'hébergement d'urgence et l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées que j'avais rendu à François Fillon en 2008. Je participerai d'ailleurs à une réunion, lundi 2 décembre prochain, au ministère, sur les permanences d'accès aux soins de santé psychiatriques, ou Pass psychiatriques, qui faisaient l'objet de l'une des mesures que j'avais alors proposées.

Par ailleurs, il est certaines poches de pauvreté à ne pas oublier. Ainsi, les sortants de prison ne bénéficient, pour la plupart, d'aucun accompagnement social. Les agents de probation et d'insertion ont jusqu'à cent quarante dossiers à traiter et donnent la priorité à ceux qui sortent après de longues peines. Les personnes condamnées à de courtes peines sont en quelque sorte laissées pour compte. Aujourd'hui, 25 % de ceux qui sortent de prison n'ont pas de structures d'accueil, ni d'ordre familial, ni d'ordre amical, ni d'ordre associatif. Autrement dit, s'ils ne sont pas pris en main, c'est la rue qui les attend et/ou la récidive.

Pour conclure, je rappellerai que, chaque année, sont publiées ce que j'appellerai des vraies bibles en matière de pauvreté et d'exclusion. Il s'agit, entre autres, des rapports du Secours catholique, de la Fondation Abbé-Pierre, lequel paraît en général au mois de janvier, de Médecins du Monde. Les données sont actualisées chaque année et vous avez là un panorama de la pauvreté et de l'exclusion très éclectique.

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