Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 10 décembre 2013 à 15h00
Engagement des forces armées en république centrafricaine — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-Marie BockelJean-Marie Bockel :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je salue Jacques Legendre, dont les propos ont été à la fois forts, justes et émouvants.

L’intervention des forces armées françaises en République centrafricaine, en appui de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la MISCA, vient répondre à une situation de danger extrême pour les populations civiles, alors que les violences interethniques et interreligieuses menacent de plonger un peu plus le pays dans le chaos. Comme vous l’avez dit, monsieur le ministre de la défense, il y va aussi de notre sécurité.

Ainsi que nous l’avions fait lors de l’intervention au Mali et dans un esprit de responsabilité et d’union nationale, nous apportons notre soutien à la décision du Président de la République, qui s’inscrit dans la légalité internationale, conformément à la résolution 2127 des Nations unies.

Permettez-moi à mon tour de saluer la mémoire de nos deux soldats engagés dans l’opération Sangaris qui sont tombés au combat dans la nuit d’hier à aujourd’hui. J’associe à cet hommage ceux qui ont fait le sacrifice suprême lors de l’intervention au Mali, qui se poursuit toujours.

Si les objectifs de l’opération Sangaris ont d’ores et déjà été annoncés par le Président Hollande – désarmement des « milices et groupes armés », stabilisation du pays en vue d’« élections libres et pluralistes » –, nous attendons vos précisions, monsieur le ministre, non pas sur la situation d’aujourd'hui, sur laquelle vous avez été suffisamment précis, ni sur le format et la durée de l’intervention. En effet, comme vous l’avez dit ce matin à Matignon, il s’agit d’une opération complexe et on ne peut vous demander de nous dire précisément aujourd'hui ce qu’il en sera dans deux ou trois mois. En revanche, nous comptons sur vous pour nous informer et informer nos concitoyens tout au long de l’intervention et pour nous apporter au fur et à mesure des précisions sur le rôle qu’entend jouer la France dans le processus de stabilisation et de reconstruction du pays.

Quoi qu’il en soit, certains enjeux, d’ordre sécuritaire, politique ou humanitaire, sont d'ores et déjà perceptibles.

La priorité consiste évidemment à rétablir un climat de sécurité, sans lequel les efforts de reconstruction seront vains. La République centrafricaine est devenue depuis plusieurs mois une « zone grise », où prospèrent des bandes armées, avec pillages, exactions, viols et massacres.

Depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition de rebelles Séléka, la situation sécuritaire s’est dégradée à Bangui et dans le reste du pays, en raison d’affrontements opposant des éléments de la Séléka à des groupes d’autodéfense, laissant apparaître le spectre d’un génocide interreligieux. Oui, il était temps d’intervenir, et il fallait le faire dans le respect de la légalité internationale !

Néanmoins, le renforcement du dispositif militaire français ne saurait remplacer l’indispensable et nécessaire montée en puissance de la force africaine. Il y va de la responsabilité partagée des Africains face aux défis sécuritaires de la région.

Cette « africanisation » passe, bien sûr, par le renforcement de la MISCA, qui, à ce jour, mobilise environ 2 500 soldats sous la bannière de l’Union africaine, avec l’appui de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale. À l’issue du récent sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique, l’Union africaine a décidé de porter cette force intervenant en Centrafrique à 6 000 hommes, contre 3 600 initialement prévus. Je salue cette décision.

Cependant, des incertitudes persistent sur la capacité de cette force à se déployer rapidement et efficacement, quand on voit, par exemple, les difficultés que rencontre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, dont les contingents sont souvent sous-entraînés et sous-équipés. Plus généralement, force est de constater que la mutualisation par les États membres de l’Union africaine de leurs moyens civils, militaires et policiers pour participer à la résolution des conflits à l’échelle régionale reste encore balbutiante. Certes, la volonté existe – on a pu le constater récemment –, mais du chemin reste à parcourir.

Pourtant, la mise en place d’une véritable architecture de sécurité africaine, disposant d’une force de réaction rapide, demeure plus que jamais une nécessité, comme le souligne d'ailleurs le rapport que Jeanny Lorgeoux et moi-même venons de cosigner au nom de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La constitution d’une telle force africaine continue de rencontrer des problèmes d’interopérabilité et de financement, outre qu’elle souffre du manque de volonté politique de certains États. La France s’est d’ailleurs engagée ce week-end à former 20 000 soldats africains par an pour cette force, afin qu’elle soit opérationnelle dès 2015.

L’Europe devrait également prendre sa part à cet effort de soutien aux forces africaines, car les deux continents sont liés et les enjeux de sécurité ne connaissent pas de frontières, à l’image du terrorisme. Or, si nous saluons la prompte réaction de notre pays en RCA, nous ne pouvons que déplorer, une fois de plus, l’absence totale de décision européenne. Certes, l’Union européenne a salué le feu vert donné par l’ONU à une intervention des forces africaines et françaises, Catherine Ashton ayant même évoqué un soutien « substantiel » pour répondre à l’urgence et à la gravité de la situation. Mais que compte faire l’Europe de manière concrète pour nous soutenir militairement, logistiquement ou financièrement dans cette opération ?

Du côté des pays européens, le Royaume-Uni a proposé une « aide logistique limitée » à la France, mais, à notre connaissance, l’envoi de troupes britanniques ne semble pas pour le moment sur la table.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, ce matin, lors de la réunion à Matignon, le Premier ministre a fait savoir que d’autres pays européens s’étaient manifestés pour contribuer, à tout le moins, à ce soutien logistique. Vous avez évoqué, notamment, l’Allemagne et la Pologne. Nous verrons ce qu’il en adviendra, mais il serait évidemment positif que certains de ces pays puissent être présents d’une manière ou d’une autre sur le terrain, même de manière symbolique.

Aussi pourquoi ne pas plaider auprès de nos partenaires européens pour le déploiement du groupement tactique européen – le battlegroup –, dont l’objectif est justement de pouvoir participer rapidement à des opérations à l’étranger ? Créé en 2007, ce groupement n’a encore jamais été utilisé sur un théâtre d’opération. Or, au second semestre de 2013, il comprend environ 1 500 militaires, originaires de cinq pays, dont le Royaume-Uni, qui le dirige. Rêvons un peu : ce déploiement permettrait de mettre en pratique l’idée de défense européenne, à quelques jours du Conseil européen consacré à cette question.

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