Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite rendre hommage à mon tour aux deux soldats du 8e RPIMa de Castres, Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, morts hier soir à Bangui sous l’uniforme de l’armée française ; je salue leur courage et leur engagement.
Le vote de la résolution 2127 à l’ONU, puis l’engagement de nos troupes en soutien de leurs homologues d’Afrique centrale sont intervenus alors que se tenait le sommet franco-africain de l’Élysée consacré à la paix et à la sécurité. De plus, il est à noter que notre débat, qui se tient en application de l’article 35 de la Constitution, survient juste avant l’examen en seconde lecture par notre assemblée du projet de loi de programmation militaire et que se tiendra demain soir dans cet hémicycle un débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 décembre consacré justement à la politique de sécurité et de défense commune.
L’adoption à l’unanimité de cette résolution vient couronner, il faut le saluer, un patient travail de notre diplomatie pour convaincre les autres pays membres du Conseil de sécurité de la nécessité absolue d’accorder un mandat clair d’intervention, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations unies, à la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, ainsi qu’aux forces françaises. En effet, nous le savons, d’inquiétante, la situation au nord de l’Oubangui est devenue critique, puis dramatique.
D’aucuns – un peu rapidement ou par facilité – ont rapproché le cas centrafricain du scénario malien. Si l’on peut leur concéder quelques similitudes – effondrement de l’État, tensions régionales et religieuses –, nombreuses sont les dissemblances.
L’instabilité chronique, presque consubstantielle, de la République centrafricaine et la faiblesse, pour ne pas dire l’inexistence, de l’État sont avérées. Face à ce lent délitement, qui s’est accentué très fortement depuis une douzaine d’années, les pays de la région sont intervenus dans le cadre de la FOMUC, la force multinationale en Centrafrique, puis de la MICOPAX, la mission de consolidation de la paix en République centrafricaine. Ils ont été naturellement soutenus par la présence française, dont l’opération Boali se bornait à la sécurisation des ressortissants français et des points d’intérêt stratégiques.
Le coup de force – le coup d’État ! – de la Séléka le 24 mars 2013 a entraîné l’éclatement des accords de Libreville, l’exil du président Bozizé et la prise de pouvoir par les anciens rebelles. Comme à chaque fois en pareil cas, cet événement a exacerbé les tensions régionales et confessionnelles dans des proportions tragiques.
En effet, face aux composantes de la Séléka, principalement issues du nord du pays majoritairement musulman – nous retrouvons là un schéma auquel nous sommes malheureusement habitués dans nombre d’États africains –, des milices d’autodéfense dites « anti-balaka » se sont constituées, esquissant un scénario de guerre civile avec son cortège de massacres, d’horreurs et de populations déplacées. Une intervention rapide, afin de mettre un terme au cycle de la violence et de la cruauté, était devenue indispensable.
L’effondrement de l’État centrafricain laissait également craindre que ce territoire ne devienne une base de repli pour les nombreux groupes armés actifs dans les pays voisins – Soudan, Tchad, République démocratique du Congo, voire Nigeria – et ne devienne une source d’instabilité supplémentaire pour l’ensemble de la région.
Mes chers collègues, j’ai entendu certains responsables politiques français faire mine de s’interroger sur les objectifs et la stratégie du Gouvernement. Le mandat donné par la résolution 2127 à la MISCA et aux forces françaises est pourtant d’une grande clarté : il légitime et encadre cette intervention. Au reste, outre le volet sécuritaire, cette opération comporte un volet humanitaire et prévoit l’accompagnement du pays dans le rétablissement de ses institutions, notamment du processus électoral.
Nous le savons tous, cette intervention était très attendue, comme en témoignent l’accueil remarquable réservé à nos troupes par la population à leur arrivée à Bangui et le fait que de nombreux habitants se soient réfugiés autour de l’aéroport de la ville, où sont stationnés les premiers éléments de l’opération Sangaris.
S’agissant de la durée de notre engagement, la résolution 2127 accorde un mandat de douze mois, mais il est bien sûr souhaitable que les unités combattantes françaises laissent place, le plus tôt possible, à une force de maintien de la paix.
Des questions et des incertitudes demeurent cependant, notamment autour du « programme DDR » – désarmement, démobilisation et réintégration de la Séléka. II est en effet à craindre un repli de ces forces dans la partie septentrionale du pays, voire dans les pays limitrophes. La question de la place du président de facto et chef de la Séléka, Michel Djotodia, dans la transition politique doit également être éclaircie. Selon les accords de Libreville, ce dernier ne pourra se présenter lors des futures élections ; le Président de la République François Hollande s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet.
Le volontarisme de la France et son rôle moteur, tant diplomatiquement à l’ONU que sur le terrain avec le déploiement rapide de nos forces, méritent d’être soulignés. Les reconfigurations géopolitiques, notamment le repositionnement des États-Unis vers l’arc Asie-Pacifique, mettent notre pays en première ligne dans la résolution des crises africaines. En conséquence, comme le préconisait le Livre blanc de la défense, les priorités de la France ont été resserrées autour du Maghreb, de la Méditerranée orientale et de l’Afrique, notamment le Sahel.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le Gouvernement ait réaffirmé, notamment dans la loi de programmation militaire, sa volonté de conserver ses bases militaires prépositionnées notamment à Djibouti, au Sénégal ou au Gabon, auxquelles s’ajoutent les bases stationnées en outre-mer.
Je rappelle que des fermetures étaient envisagées par la précédente majorité. Vous avez bien fait de revenir sur cette décision, monsieur le ministre, ce maillage nous ayant permis de déployer nos forces à Bangui avec une rapidité digne d’être soulignée.
Cette relation particulière de la France à l’Afrique se manifesta aussi, mes chers collègues, lors du récent sommet de Paris, qui a réuni les chefs d’État et de Gouvernement de l’ensemble du continent. La disparition de Nelson Mandela alors que s’ouvrait ce sommet est venue nous rappeler que les valeurs de dévouement et d’humilité de ce grand homme constituent un exemple pour les dirigeants d’Afrique et du monde.
François Hollande l’a énoncé lors de son intervention : « Sans sécurité, pas de développement, sans développement, pas de sécurité. » La doctrine du Président de la République française en matière de politique africaine s’affine de jour en jour. Elle repose sur un règlement multilatéral des conflits avec l’Organisation des Nations unies, mais aussi sur l’implication des organisations régionales, ici la Communauté économique des États d’Afrique centrale, la CEEAC, et continentales, l’Union africaine.
La France, mes chers collègues, assume donc les responsabilités qui lui incombent, que cela plaise ou non, du fait de son statut de puissance et aussi – nous devons l’assumer – de son héritage historique. Ce sont donc de véritables partenariats qui se mettent en place, témoignant là encore d’un changement d’époque.
Dans la déclaration finale du sommet de l’Élysée, les dirigeants français et africains ont souhaité la création d’une force africaine de résolution des crises dès 2015. La France pourrait participer à la formation de cette force. Bien que des questions subsistent naturellement sur son financement, monsieur le ministre, elle permettrait en tout cas aux Africains d’assurer la sécurité de leur continent.
Mes chers collègues, je salue ici la volonté du Président de la République et du Gouvernement d’informer et d’associer les présidents des assemblées, les présidents des groupes politiques et des commissions des affaires étrangères et de la défense du Sénat et de l’Assemblée nationale. Ce débat doit nous permettre en outre de lever les dernières interrogations nées de notre intervention en République centrafricaine.
La première concerne nos capacités de projection. Dans le cadre de la loi de programmation militaire, les opérations de gestion des crises pourront être menées sur deux ou trois théâtres d’intervention et compter, me semble-t-il, monsieur le ministre, 6 000 à 7 000 hommes.
Aux 1 600 militaires qui seront mobilisés en République centrafricaine annoncés par le Président de la République s’ajoutent les 2 800 hommes présents au Mali. Nous nous approchons, il est vrai, de la limite de nos capacités d’intervention. Il convient néanmoins de souligner que nos armées peuvent également compter sur les 15 000 hommes du format « opération majeure de coercition en coalition » ou sur les forces prépositionnées.
Une autre interrogation majeure, déjà soulignée à cette tribune, concerne l’Union européenne, qui reste en retrait – comme d’habitude, serait-on tenté de dire –, même si la Commission européenne a annoncé la mise en place d’un pont aérien humanitaire entre Douala et Bangui.
Le Président de la République l’a déclaré, le Conseil européen du 20 décembre prochain sera l’occasion de parler de la création d’un fonds destiné à financer ce genre d’opération de résolution de crise. Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous le confirmer ?
Enfin, se pose la question du processus de construction de la paix et de la reconstruction – voire de la construction – d’un État et d’institutions démocratiques en Centrafrique. Cela passera, comme au Mali, par une indispensable réconciliation.
Ce qui se joue aujourd’hui en République centrafricaine, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est rien de moins que la sécurité et l’avenir d’une région, mais également d’un continent. L’engagement de nos troupes et de la MISCA doit permettre aux Centrafricains de redevenir maîtres de leur destin.
Pour les raisons que j’ai exposées, cette intervention est conforme au droit international et à notre Constitution. Elle est légitime et nécessaire. Le Président de la République a eu raison de la décider, et naturellement, monsieur le ministre, les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble du RDSE vous apportent un soutien franc et massif !