Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’ensemble des intervenants, je veux rendre hommage à nos deux soldats du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres, tués hier soir en République centrafricaine, et présenter nos condoléances à leurs familles et à leurs camarades.
Ces morts pour la France, pour la paix et la sécurité internationale viennent nous rappeler l’abnégation nécessaire au métier militaire, puisque celui-ci implique l’acceptation du sacrifice de sa vie. Nous exprimons notre peine profonde et notre solidarité sans faille avec nos troupes.
Comme au Mali en 2012, notre pays se trouve en pointe en République centrafricaine. Devant la dégradation insupportable de la situation humanitaire, l’alerte a été donnée par le Président de la République lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, dès le 24 septembre dernier.
Il a fallu deux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Pendant les deux mois et demi de négociation nécessaires, des massacres ont été perpétrés et la dimension confessionnelle des affrontements a parfois pris le dessus.
L’adoption rapide de la résolution, jeudi dernier, ne doit pas nous faire oublier les difficultés de sa négociation. Celles-ci me permettent d’ailleurs une nouvelle fois de saluer l’extrême compétence de notre diplomatie, qui a su rassembler et convaincre. À présent, ce sont nos soldats qui sont sur le terrain, et nous leur redisons toute la confiance et l’estime de notre commission et du Sénat tout entier pour leur dévouement et l’extraordinaire professionnalisme dont ils font preuve dans des conditions particulièrement difficiles.
Ma première remarque porte sur la notion de responsabilité de protéger, qui appartient au premier chef aux dirigeants politiques et, en cas de défaillance, à la communauté internationale tout entière au travers de l’ONU, de son Conseil de sécurité. Hors cas de légitime défense, l’ONU a en effet seule la légitimité de l’emploi de la coercition sous chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Certains y opposent le principe de souveraineté des États, qui est, d’ailleurs, le fondement même de l’ONU. Je ne vois aucune contradiction entre ces deux notions. Du reste, l’utilisation de la force n’est que le stade ultime de la démarche d’application du principe de responsabilité de protéger.
Toutefois, la souveraineté ne peut justifier qu’un gouvernement massacre sa population ou qu’il laisse se perpétrer des massacres quand l’État lui-même disparaît. Ceux qui prétendent que c’est aux peuples de choisir leurs dirigeants et de les renvoyer le cas échéant feraient bien parfois de réfléchir aux exemples récents, dont nous débattons aujourd’hui.
Outre l’urgence humanitaire, qui selon moi justifierait à elle seule notre action et qui est l’honneur de la France en République centrafricaine, comme elle le fut en Libye, quelles sont nos motivations pour intervenir ? J’en vois trois.
La première raison est que nous ne voulons pas laisser la crise dégénérer avec un État qui n’a plus d’État que le nom. Par contagion, la situation pourrait devenir extrêmement difficile et dangereuse dans l’ensemble de la région. Si elle se poursuivait, cette déstabilisation de la Centrafrique serait de nature à compromettre la paix et la sécurité dans toute la région, d’avoir des conséquences extrêmement importantes sur les perspectives de développement de toute la zone et même du continent. Cette zone de non-droit attirerait certainement un certain nombre de groupes terroristes et criminels dont elle deviendrait ou pourrait devenir le sanctuaire. Après l’Afghanistan, la Somalie, le Yémen et le Mali, cela aurait pu être le cas de la République centrafricaine.
J’en viens à la deuxième raison de notre intervention. Par le désordre et l’insécurité qu’elles entretiennent, les bandes armées de toute nature, qu’il convient de désarmer – c’est une tache extrêmement délicate, urgente et immense –, permettent de masquer la présence d’éléments terroristes comme ceux de Boko Haram et de l’Armée de Résistance du Seigneur, en anglais la LRA, évoquée par François Rebsamen précédemment.
Ces éléments terroristes sont des menaces directes contre les intérêts de l’Europe et du monde. Dans une autre zone, le même phénomène peut être constaté : la progression de la piraterie dans le golfe de Guinée, dont l’activité demande à être éradiquée, conduit aux mêmes effets. Ce sujet fera l’objet des travaux de notre commission en 2014.
J’ajoute que la dérive en conflit confessionnel doit impérativement être évitée et enrayée. C’est la troisième raison de l’intervention de la communauté internationale. Le rapport présenté le 18 décembre par le secrétaire général des Nations unies mettait en exergue le « niveau alarmant de violences intercommunautaires » et les affrontements confessionnels entre chrétiens et musulmans. Il soulignait la crainte que les affrontements ne « dégénèrent en conflit religieux et ethnique à l’échelle du pays avec le risque d’aboutir à une spirale incontrôlable débouchant sur des atrocités ».
L’adoption des résolutions 2121 et 2127 montre que l’identification de ces menaces – la déstabilisation régionale, le risque de création d’un foyer de tous les trafics et la dérive en conflit religieux – a été partagée par la communauté internationale. Je me félicite en particulier du soutien unanime des Africains eux-mêmes et de leurs organisations régionales, dont, en tout premier lieu, l’Union africaine. Ce soutien devrait être relevé par ceux qui, comme de nouveaux cabris, agitent le souvenir de la Françafrique, que ce soit dans le débat politique intérieur ou chez certains de nos meilleurs alliés.
La doctrine fixée par le Président de la République est claire : il ne doit pas y avoir d’ingérence politique et il faut que notre action se produise à la demande et aux côtés des Africains, non en substitution à eux. C’est une différence fondamentale de la situation en Centrafrique.
L’une des conclusions du sommet de l’Élysée a été de souligner l’importance du développement des capacités africaines de réaction aux crises, afin que le continent prenne en charge dès que possible sa propre sécurité. La France « s’est engagée à soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la force africaine en attente et de sa capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le sommet de l’Union africaine en mai 2013 ».
Cet apport de notre pays me permet d’aborder le second point de mon intervention.
Juste après la clôture de notre débat, nous examinerons en deuxième lecture la loi de programmation militaire. Comme je suis un esprit cohérent – tout au moins, j’estime l’être, et vous me direz plus tard ce que vous en pensez, mes chers collègues