Quand on siège dans cet hémicycle, ou dans celui de l’Assemblée nationale, on n’imagine peut-être pas l’impact que cette unanimité peut avoir sur nos armées. C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je voulais vous en remercier.
Cette position, en outre, nous donne plus de force sur le plan international, mais aussi européen – certains orateurs en ont fait mention –, pour montrer notre détermination, notre singularité et notre puissance. En effet, qui, en Europe, peut intervenir comme nous le faisons au Mali et en Centrafrique ?
Je vous remercie donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de la qualité de vos propos, et je me félicite du large consensus dont ils témoignent.
Je tenais également à vous dire à quel point j’ai été touché par l’hommage rendu aux soldats de première classe Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio. J’y suis d’autant plus sensible que je les ai croisés il y a dix jours, à Libreville, pour préparer l’intervention. Quelques jours auparavant, j’avais également rencontré leurs camarades à ce que l’on appelle le « 8 », c'est-à-dire le 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, ou RPIMa, de Castres. Ce régiment d’élite, à la longue histoire, très intégré dans la population, est aujourd’hui en deuil.
Ces deux soldats participaient aux premières missions de désarmement, que nous avons décidé de mettre en œuvre depuis hier matin. En effet, la principale mission de nos forces et de la future Mission internationale de stabilisation de la Centrafrique, la MISCA, est le désarmement. Ce n’est pas chose aisée. On a pu considérer – certains articles de presse allaient dans ce sens – qu’il s’agissait d’une opération de police. Ce n’est pas le cas : c’est une opération de guerre.
L’intervention de nos forces n’est ni simple ni calme. Elle comporte des risques, demande une vigilance extrême et suppose d’être menée jusqu’au bout. Il faut désarmer toutes les milices, celles de la Séléka comme de l’anti-Balaka, et confisquer et détruire toutes les armes. Il faut faire en sorte que se constitue, par la suite, une armée digne de ce nom, l’état actuel des Forces armées centrafricaines, les FACA, étant proche du néant. Ce processus ressemblera alors un peu à celui qui est en cours au Mali.
Plusieurs orateurs, entre autres M. Rebsamen et M. le président de la commission des affaires étrangères, ont soulevé les deux enjeux principaux de cette intervention : la Centrafrique fait face à un chaos humanitaire et à un effondrement sécuritaire. Les deux sont liés. C’est par solidarité, par une espèce de devoir, qui nous vient de notre responsabilité dans la région, mais aussi à cause du risque sécuritaire, que nous devons intervenir.
Ce risque ne concerne pas que la région, que les voisins de la République centrafricaine ; il touche également l’Europe et la France. Laisser le désordre et le non-droit s’installer dans cet État, c’est, du fait de sa situation géographique et de son histoire, ouvrir la porte à tous les terrorismes et à toutes les formes de trafic. Certains orateurs ont cité les tentations que pourraient éprouver des mouvements comme la LRA, Boko Haram ou d’autres encore si nous n’intervenions pas. L’état de non-droit prévaudrait, et un creuset de tous les dangers se formerait. Il faut le faire comprendre à la population française : en intervenant, nous assurons aussi notre propre sécurité.
Certains orateurs, notamment Mme Demessine, s’interrogeaient sur les objectifs de notre intervention. Je le rappelle, nous sommes mandatés par la résolution du Conseil de sécurité. C’est bien cet organe qui nous amène à intervenir, c’est lui qui nous incite à utiliser la force, si nécessaire. Les objectifs fixés par ce mandat sont d’une très grande clarté.
Il nous faut, tout d’abord, assurer un minimum de sécurité. C’est ce vers quoi nous tendons à travers le désarmement, afin que la population puisse recommencer à vivre librement.
Il nous faut, ensuite, assurer une présence humanitaire significative. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas possible aujourd’hui : des gens sont assassinés aux portes des hôpitaux.
Il nous faut, en outre, aider la MISCA à se déployer. Je ne crois pas qu’il faille juger de manière hâtive les forces africaines et considérer qu’elles ne pourraient pas intervenir. Certains pays, j’en conviens, disposent d’armées plus ou moins bien structurées. Néanmoins, les forces présentes – j’ai indiqué dans mon propos initial qu’elles comptent de 2 500 à 3 000 soldats –, qui composent ce que nous appellerons à compter du 19 décembre prochain la MISCA sont suffisamment organisées pour pouvoir réagir, intervenir et contribuer au désarmement.
Avec les troupes qui les rejoindront plus tard, elles seront également en mesure d’assurer la sécurité dans le pays. Je vous le rappelle, en effet, à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée samedi après-midi, après le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de la zone ont décidé de faire passer le nombre de soldats composant la future MISCA de 3 000 à 6 000, voire 6 500.
Il nous faut, enfin – le mandat des Nations unies l’indique –, permettre qu’un processus électoral soit lancé et que la transition s’achève au plus vite. Je le signale à M. Bockel, qui m’a interrogé sur ce point, cela signifie qu’elle doit avoir lieu avant la fin de l’année 2014. L’échéance initiale, fixée par la feuille de route de Libreville, rectifiée par celle de N’Djamena et validée par l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement de la zone était le début de l’année 2015. Toutefois, les mêmes chefs d’État et de gouvernement ont estimé, samedi dernier, qu’il fallait aller plus vite.
Cela supposera la constitution de documents d’état civil et la création de cartes d’électeur ; tout un processus, en somme, qui devra être accompagné par les Nations unies et l’Union européenne, pour que la démocratie revienne. Je suis convaincu que des élites s’affirmeront pour permettre ce processus. La tâche est difficile, mais elle est incontournable et elle devra être accomplie au cours de l’année 2014.
Des précisions m’ont été demandées sur le calendrier. Nous l’avons indiqué, et le Président de la République l’a répété, l’opération, pour la France, sera forte et rapide. Bien sûr, on ne peut pas donner le jour et l’heure auxquels l’intervention se terminera, cinq jours seulement après son début ! Le gouvernement qui le ferait serait irresponsable. Je puis simplement vous dire une chose : notre volonté est que notre action soit forte et rapide et se fasse sur la base des objectifs que j’ai mentionnés.
Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous étions déjà présents à Bangui, dans le cadre de l’opération Boali, à la suite du coup d’État de 2003, perpétré par le président Bozizé. Cette mission, beaucoup plus contrainte et restreinte, consistait à sécuriser l’aéroport, protéger les ressortissants français et apporter un soutien logistique – modeste – à la Force multinationale d’Afrique centrale, la FOMAC, qui venait d’être mise en place.
Nous avons dit que l’intervention serait d’environ six mois. Elle durera peut-être un peu plus, peut-être un peu moins ; je ne m’enfermerai pas dans un tel type de raisonnement. Le principe, c’est que l’opération doit être menée rapidement. Son point de départ, incontournable, est le désarmement. Voilà notre mission principale.
Il a été fait état du rôle de l’Europe dans cette affaire. Je voudrais faire observer, en premier lieu, que le mandat des Nations unies s’adresse aux Africains, soutenus par la France. J’indique, en second lieu, que cela n’empêche pas les pays européens de nous aider. C’est d’ailleurs ce que font certains d’entre eux.
Il est encore un peu trop tôt pour dresser la liste exhaustive de toutes les participations. Il a été fait mention des soutiens britannique et allemand. Je sais que la Belgique s’interroge également sur une aide éventuelle. Depuis deux jours, d’autres pays européens nous ont fait savoir qu’ils étaient tout à fait disposés à nous apporter un soutien logistique. C’est indispensable, pour nous comme pour les Africains. En effet, faire passer les forces de la MISCA de 3 000 à 6 000 soldats requiert toute une logistique de transport. Certains pays européens sont même disposés à aller plus loin. J’espère qu’ils seront au rendez-vous. Nous aurons l’occasion de le vérifier dans les jours qui viennent.
Les différentes interventions sur ce sujet m’amènent néanmoins à vous faire part d’une réflexion. Avec ce qui vient de se passer, il est, je pense, indispensable que l’Europe s’interroge sur les groupements tactiques.
Logiquement, dans une crise de ce type, le groupement tactique de permanence devrait être mobilisé. Les groupements tactiques ont été créés pour cela, mais ils n’ont jamais servi ! Vous le savez, ils sont placés en alerte deux par deux, tous les six mois. Aujourd’hui, ce sont les Britanniques et les Lituaniens. À partir du 1er janvier prochain, ce seront les Grecs et les Bulgares et, à partir du 1er juillet prochain, les Belges et les Danois. Des régiments sont placés en alerte, des unités prédisposées à intervenir. Elles ne le font jamais, pourtant, car le lieu de la décision politique nécessaire à leur mobilisation et à leur action fait défaut.
À mon sens, l’opération en Centrafrique, avec ses deux composantes humanitaire et sécuritaire, est l’occasion de se poser la question du bon usage du groupement tactique. Je souhaite que la France interpelle ses amis européens et les incite à réfléchir à cette question.
Je voudrais aussi répondre à M. Rebsamen, qui a proposé que la part du budget de la défense ne soit pas comprise dans le calcul des déficits budgétaires nationaux par la Commission. À titre personnel, cela me convient bien ! Néanmoins, je ne suis pas sûr que l’on puisse y arriver rapidement.
Je ferai néanmoins observer que le projet de loi de programmation militaire, que nous allons examiner en deuxième lecture dans quelques instants, compte quelques initiatives en la matière. La commission des affaires étrangères du Sénat et la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale ont en effet proposé d’accroître la solidarité au plan européen, dans le cadre du mécanisme Athéna, en faisant en sorte qu’une partie des dépenses liées aux opérations militaires soit prise en charge par l’Union européenne. À mon sens, il s’agit d’un biais pertinent, pour assurer, dans ce type d’intervention, une véritable solidarité à l’échelle européenne.
J’en viens à la transition, qui a fait l’objet de quelques questions – pardonnez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de passer d’un sujet à l’autre, mais j’essaie de répondre à tous les orateurs.
Je le rappelle, une feuille de route a été adoptée. Le chef de l’État et le Premier ministre actuels sont des autorités de transition. Ils ont, en principe, renoncé à être candidats lors des prochaines échéances électorales. Le dispositif s’apparente ainsi à celui qui a cours au Mali. Nous souhaitons que ces autorités, notamment le chef de l’État par intérim, Michel Djotodia, qui sont les seules à être reconnues actuellement, puissent faire appliquer le processus de désarmement et le cantonnement. Tel sera, j’en suis convaincu, le message que leur transmettra ce soir le Président de la République. En effet, ce point est incontournable : s’il reste encore un minimum d’autorité, autant s’en servir pour cantonner et désarmer !
Cette évolution ne peut bien évidemment se faire sans une perspective de développement. Mme Demessine a eu raison de beaucoup insister sur la question de l’approche globale. À l’instar de ce qui s’est passé pour le Mali, une conférence des donateurs sera mise en place pour la République centrafricaine au début de l’année prochaine.