Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen en seconde lecture de la loi de programmation militaire 2014-2019 prend bien sûr un relief tout particulier avec le sommet franco-africain pour la paix et la sécurité en Afrique qui a eu lieu en cette fin de semaine, et la résolution de l’ONU, sur notre intervention militaire en République centrafricaine
Ces deux événements illustrent concrètement notre discussion de cet après-midi, puisque nous examinons les moyens, les grandes orientations et les enjeux qui sont ceux de notre défense pour les six années à venir.
Lors de l’examen en première lecture, notre groupe vous avait clairement fait part, monsieur le ministre, de notre opposition à certaines de vos conceptions stratégiques. Celles-ci ne correspondent pas à notre conception d’une défense nationale progressiste qui permette à la fois de défendre les intérêts de notre pays et de son peuple, de promouvoir nos valeurs et de mettre en œuvre une politique étrangère d’influence favorisant l’émergence d’un monde plus juste et plus solidaire et faisant progresser la paix et le désarmement.
Nous avions également relevé qu’il n’y avait pas de différence assez nettement affirmée avec la politique menée par le précédent Président de la République, voire qu’il y avait une certaine continuité.
Nous avions ainsi pris les exemples de la pleine réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN ou de l’ouverture d’une nouvelle base à Abou Dhabi comme étant ceux de réorientations stratégiques majeures, qui traduisaient un alignement sur des positions atlantistes, sans débat national approfondi autre que parlementaire. C’est sans évoquer notre désaccord fondamental avec la conception de la dissuasion nucléaire qui est celle du Président de la République et avec la part budgétaire trop importante qui lui est accordée, au détriment de nos forces conventionnelles.
Ainsi, le texte de la loi de programmation militaire qui nous revient après son examen par l’Assemblée nationale n’est pas de nature à nous faire changer d’appréciation sur ces aspects de notre politique de défense.
Cela dit, un raisonnement mécanique, voire simpliste, aurait pu nous amener à penser que la loi de programmation militaire étant, comme son nom l’évoque en partie, la traduction financière et budgétaire des grandes orientations de la politique de défense proposées par le Gouvernement, nous devrions la rejeter en bloc parce que nous en repoussons certains aspects. Notre démarche et la réalité des choses sont plus complexes.
Nous sommes fermement attachés à un certain nombre de principes, en particulier au fait que nos forces armées sont celles de notre République. Nous estimons que notre outil de défense doit pouvoir disposer des moyens garantissant son efficacité et sa crédibilité pour assurer les missions qui lui sont confiées au nom de notre pays.
C’est la raison pour laquelle nous avons reconnu, monsieur le ministre, que dans un budget contraint, en préservant un plancher minimum de ressources, vous aviez tenu le pari de résoudre une difficile équation, celle de maintenir, malgré tout, notre niveau stratégique et notre statut international, en conservant la crédibilité de la dissuasion nucléaire – bien que nous ne partagions pas votre conception –, en continuant d’assurer la protection du territoire et en réduisant quelque peu nos capacités d’intervention hors du territoire national ; tout cela afin de garantir notre autonomie stratégique et notre autonomie financière, qui sont des éléments fondamentaux de la souveraineté nationale.
En matière budgétaire, nos collègues à l’Assemblée nationale n’ont pas réellement modifié l’équilibre général de la loi. Ils ont maintenu l’intégralité des garanties qui avaient été introduites ici, en particulier les clauses de sauvegarde, celles de « revoyure » et de « retour à meilleure fortune », ou bien encore les dispositions relatives au contrôle parlementaire de l’exécution. Ces éléments ont fait l’objet d’une très forte mobilisation de la part de notre commission et de son président.
En outre, je note avec satisfaction la majoration de 500 millions d’euros des ressources exceptionnelles afin de garantir le financement des premiers programmes d’équipement inscrits dans la loi.
De la même façon, à la suite de l’amputation de 650 millions d’euros de crédits d’équipement dans le projet de budget rectificatif pour 2013, vous avez pris l’engagement, en le faisant inscrire dans la loi, que toutes les opérations d’investissement prévues seraient réalisées. Dont acte.
Enfin, pour ce qui concerne le surcoût des opérations extérieures qui, comme on l’a vu avec cette nouvelle intervention en République centrafricaine, pèse lourdement sur nos finances publiques au détriment d’autres priorités, vous avez heureusement obtenu qu’il soit financé par la solidarité interministérielle à hauteur de 578 millions d’euros.
Je note aussi votre volonté de demander, lors du prochain Conseil européen de défense, l’extension du mécanisme européen Athéna, qui permet le financement en commun d’une partie des dépenses relatives à des opérations militaires menées dans le cadre de l’Union européenne. Il faut toutefois prendre cette louable intention pour ce qu’elle est, car actuellement l’Union européenne est très loin d’avoir une politique commune de défense.
Enfin, le système d’indemnisation des victimes des essais nucléaires a aussi progressé, et vous y avez ajouté quelques dispositions. Toutefois, il en faudra d’autres pour que ce dispositif reconnaisse pleinement un droit à l’indemnisation de ces victimes qui, aujourd’hui, restent trop peu nombreuses à être reconnues en tant que telles. Il s’agit d’une première avancée, mais nous devons continuer de travailler.
Néanmoins, malgré tous les garde-fous budgétaires, j’ai encore, comme en première lecture, des doutes sur la cohérence capacitaire et la compatibilité entre les moyens alloués dans votre projet de loi et les ambitions stratégiques élevées qui sont affichées dans le Livre blanc.
Comment tout cela pourra-t-il réellement fonctionner avec un budget dont la stabilité repose en grande partie sur des choix dont je ne partage pas le bien-fondé ? Je pense en particulier à la poursuite de la diminution drastique des effectifs. Ces suppressions d’emplois, qui ne devraient principalement toucher que le soutien et l’administratif, ne peuvent être sans conséquence néfaste sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, qui risque d’être affaibli.
En outre, la disparition d’unités, de bases ou d’établissements a malheureusement toujours de graves répercussions sur la situation de nos territoires et de leurs populations.
Enfin, nous contestons toujours fortement la possibilité de cessions de participations de l’État dans nos industries pour compenser un manque de ressources. Vous connaissez notre position sur ce sujet. C’est une politique de Gribouille qui constitue, à nos yeux, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans des secteurs déterminants pour l’indépendance et la souveraineté nationale.
À ce propos, la façon dont le groupe EADS restructure ses activités de défense en sacrifiant ses salariés en vue de préserver la rentabilité financière du groupe illustre les dangers d’une telle démarche. En effet, si ce groupe se permet aujourd’hui de telles pratiques, c’est bien parce que l’État actionnaire s’est de lui-même considérablement affaibli dans la gouvernance de l’entreprise. Nous ne pouvons plus exercer aucune influence sur la stratégie industrielle, et il ne reste plus aujourd’hui au Gouvernement qu’à rappeler M. Enders à ses obligations d’accompagnement social.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai exposé les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen contestait certains choix effectués dans ce projet de loi de programmation militaire.
Toutefois, nous sommes conscients que ce texte traduit un équilibre fragile. En outre, il tente, dans une période complexe et pleine d’incertitudes, de sauvegarder une défense nationale qui soit, autant que faire se peut, stratégiquement autonome. En cherchant à sauvegarder cet outil, il s’agit de l’indépendance et de la souveraineté de notre pays. Nous y sommes, comme vous, monsieur le ministre, profondément attachés.
Enfin, les propos que vous avez tenus à l’instant, tout en réaffirmant vos convictions et celles du Gouvernement, réitèrent votre appui à l’ouverture d’un débat sur la dissuasion nucléaire, dans le cadre de la commission de la défense de l’Assemblée nationale.
Ainsi, malgré nos divergences et nos critiques de fond sur certaines orientations stratégiques, notre groupe maintiendra son abstention sur la loi de programmation militaire pour les années 2014-2019.