Intervention de André Trillard

Réunion du 10 décembre 2013 à 15h00
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Adoption définitive en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de André TrillardAndré Trillard :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, la France est engagée militairement sur un nouveau théâtre d’opérations. C’est tout naturellement que mes premières pensées vont à nos soldats, dont nous connaissons l’engagement et le professionnalisme. Je tiens à saluer tout particulièrement le courage et le sacrifice de nos deux soldats tombés au combat.

Je ne reviendrai pas sur le détail des crédits alloués à chaque programme, car certains de mes collègues le feront mieux que moi : je pense à Jacques Gautier et à Xavier Pintat, qui n’ont pas ménagé leur peine pour que cette loi de programmation militaire puisse s’éloigner du scénario du pire, ou du moins pire !

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, elle non plus, n’a pas ménagé ses efforts, multipliant les publications et les signaux d’alerte adressés au Gouvernement. Je songe là notamment à la conférence de presse organisée le 13 mars dernier sur l’initiative du président de la commission, Jean-Louis Carrère, au cours de laquelle celui-ci a affirmé à juste titre : « Je pourrais reprendre à mon compte la célèbre apostrophe de Danton en 1792 en disant qu’aujourd’hui ″la patrie est en danger″, car sa défense l’est. Je suis en effet convaincu que notre sécurité serait compromise si les mesures de réduction de l’effort de défense qui sont envisagées étaient adoptées. C’est tout le sens de la démarche de rassemblement du Sénat que nous avons entreprise. »

Pour ces propos, pour votre pugnacité, pour cette démarche collective de responsabilité sénatoriale, je souhaite vous remercier, monsieur le président de la commission.

Il reste que, sept mois plus tard, les chiffres ont parlé d’eux-mêmes. Oui, monsieur le ministre, il est bien dommage que les travaux du Sénat ne vous aient pas plus inspiré, vous-même, ou plutôt votre collègue du budget, pour que soient alloués de réels moyens à la défense nationale.

Après plus d’une année de mobilisation, force est de constater que le résultat est assez décevant : en effet, entre la publication du Livre blanc et le vote auquel nous procéderons dans quelques instants, la seule constance gouvernementale réside dans la communication.

Je ne reviendrai pas sur les modifications et autres reports de crédits, car la défense n’est pas faite seulement de chiffres et de programmes.

Dans le même temps, nous avons assisté à une surenchère strictement verbale en faveur de la puissance technologique. En réduisant les budgets, on voudrait nous faire croire que l’on peut s’engager sur des théâtres d’opérations avec moins d’hommes, à condition qu’ils soient suréquipés. Mais nous devons avoir les moyens de les soutenir tactiquement et logistiquement !

Personne ne reviendra sur la priorité absolue que nous devons accorder aux drones, mais la technologie n’est rien si le professionnalisme et la réactivité des hommes ne sont pas au rendez-vous.

La défense, ce sont d’abord et avant tout des femmes et des hommes dont l’engagement pour la nation dépasse de loin les politiques partisanes et appelle le respect. Ce respect et cette gratitude doivent trouver d’autres formes d’expression que celle du recueillement devant les monuments aux morts ! Il revient aux parlementaires que nous sommes d’inscrire dans la loi les conditions de cette reconnaissance et de la traduire dans les réalités et les contingences du quotidien.

Aussi, lorsque nous apprenons que le paiement des indemnités de service en campagne de 2013 ne pourra être effectué qu’en 2014, notre devoir est de réagir. Qu’en serait-il si cette situation se produisait pour d’autres corps de fonctionnaires ?

Nous devons prendre la mesure des changements structurels et identitaires auxquels nos armées sont confrontées. Le turnover issu de la professionnalisation a introduit une distorsion entre les officiers supérieurs aux longues carrières et les soldats engagés aux contrats courts. Cela implique une gestion des ressources humaines novatrice pour, d’une part, fidéliser les sous-officiers et, d’autre part, « dépyramider ».

Nous ne pouvons, par ailleurs, attendre de nos soldats qu’ils soient motivés, bien formés et prêts aux sacrifices avec toujours moins de moyens et des matériels vieillissants.

Dans cet environnement où la confiance n’est plus et où les hommes s’angoissent face à la déliquescence de leur outil de travail, monsieur le ministre, vous avez accepté, à l’Assemblée nationale la création d’une section consacrée au dialogue social. Il est nécessaire que les militaires puissent obtenir un relais et une véritable prise en compte des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien, face aux difficultés spécifiques de leur méfier. À cet égard, il importerait que soit créée par le ministère de la défense une cellule d’écoute ou d’échange afin d’entendre et de gérer ce malaise. Mais ce malaise ne sera pas réglé avec cette « arme d’apparat » qu’est le dialogue social et que l’on appelle dans la société civile, le syndicalisme.

Oui, les militaires ont besoin d’un espace de parole, mais uniquement au sein des armées et pour elles. Si vous ne préservez pas cette spécificité, c’en sera fini des armées en tant qu’institution.

Si des officiers sont sortis de leur réserve pour nous alerter quant à leur situation, c’est d’abord et avant tout parce qu’ils souhaitent plus de moyens pour exercer leur mission.

J’aborderai un dernier point qui me semble important. Les contraintes économiques ont vu naître une compétition militaire et industrielle pour les dotations publiques, ainsi qu’une concurrence de plus en plus ouverte entre les trois armes. Cela est dangereux pour l’institution, pour son fonctionnement et pour sa cohésion. Au sein de nos hémicycles, tel paraît soutenir plus l’armée de terre, tel autre défendrait l’armée de l’air ou la marine...

Représentants de la nation, nous devons nous garder de ces tentations et avoir pour seuls objectifs l’unité et la puissance de nos armées. Le chef de l’État et vous-même, monsieur le ministre, en êtes les premiers garants. Car la responsabilité des politiques tient à la globalité et à la hauteur de vue.

Ayant épuisé mon temps de parole et soucieux de respecter la demande de Mme la présidente, j’ajouterai simplement que, en toute conscience, je voterai contre ce projet de loi de programmation militaire. §

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