Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 10 décembre 2013 à 15h00
Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 — Article 2

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque nous débattons aujourd’hui de notre modèle d’armée pour les cinq prochaines années, je souhaitais profiter des travaux réalisés à l’Assemblée nationale sur le changement climatique pour aller plus loin, d’un point de vue tant militaire que diplomatique.

Alors que le rapport annexé entend s’inscrire dans une vision prospective, la France peine à se positionner sur l’émergence de nouveaux risques, au premier rang desquels figure le dérèglement climatique.

Ce dernier constitue un facteur d’instabilité à part entière, ayant des conséquences stratégiques majeures sur la sécurité des États et du système international. En effet, nul n’ignore que le dérèglement climatique accroît les stress hydriques, nourriciers, démographiques et redistribue les cartes de l’accès aux ressources. Il devient une source de tensions dans des zones déjà instables : le Soudan, le Nigeria, la Somalie, la mer de Chine méridionale, le Moyen-Orient et bien d’autres.

À l’occasion du sommet de l’Élysée, le Président de la République a lui-même reconnu qu’il y avait « urgence pour l’environnement et aussi pour la sécurité, car quand il y a des désordres climatiques, c’est aussi un facteur qui permet à des groupes d’utiliser la pauvreté, la misère, le désarroi, pour essayer de faire prévaloir leurs intérêts ».

C’est justement sur la base de la prééminence de ce lien entre dégradations socio-environnementales et conflits que la Green Defense promeut une redéfinition de la vision militaire classique. Elle prend le parti d’une approche préventive des conflits et, par là, cherche à donner à l’Europe de la défense une occasion de prendre chair.

Du fait de sa dimension globale, le dérèglement climatique doit être intégré au diagnostic stratégique de la France.

La pensée française reste dictée par une vision traditionnelle de la gestion des risques. En effet, si une approche globale existe, elle demeure cantonnée à une gestion post-conflit.

Pour ce qui nous concerne, notre réflexion s’appuie sur un constat simple : la nature des risques et des menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe et sur la France a fondamentalement changé. Ce que le Livre blanc appelle « menace de la faiblesse », incarnée par la faillite des États malien ou centrafricain, est à notre sens la menace principale, celle qui doit structurer notre outil de défense.

Ce sont ces crises qui, du fait du dérèglement climatique, accapareront demain les efforts de nos armées et de nos diplomates. En effet, une vision préventive des conflits passe également par une diplomatie adaptée.

Lors de la table ronde sur le braconnage organisée la semaine dernière, le Président de la République a rappelé la volonté de la France de prendre part à la lutte contre cette pratique et contre le trafic illégal de biodiversité. Un premier pas significatif consisterait ainsi à inclure une clause sur la protection de l’environnement dans les conventions de défense ratifiées par la France.

En effet, parmi les trafics illégaux, celui qui porte sur les espèces protégées est le troisième au monde par les sommes en jeu, représentant près de 20 milliards de dollars chaque année. Alors que ces activités criminelles alimentent directement des réseaux mafieux et terroristes, la lutte menée contre elles constitue l'un des éléments clés de la prévention des conflits, notamment sur le continent africain.

Les États-Unis ont, dès les années 2000, élevé les mutations climatiques et leurs conséquences sur les sociétés au rang d’enjeu stratégique. Il s’agit, pour la France, de ne pas accuser de retard ! Si une réflexion sur la sécurité environnementale a été amorcée au niveau de l’état-major français, et je m’en réjouis, l’effort ne doit pas s’arrêter là.

Posons-nous la question de l’efficacité de la dissuasion face à un stress hydrique ou nourricier. Interrogeons-nous sur la capacité, pour un quelconque pays, de sécuriser ses approvisionnements sans assurer d’abord la paix mondiale qui soutient son économie.

Ainsi, il nous paraît primordial, pour la France, de dresser une feuille de route précise pour les prochaines années.

Cela me conduira, monsieur le ministre, à vous soumettre deux questions.

Faisant écho aux récentes déclarations du Président de la République, il semble nécessaire de reconnaître le dérèglement climatique comme un risque stratégique à part entière. Quelle en sera la traduction concrète pour notre modèle d’armée dans les années à venir ?

D’un point de vue diplomatico-militaire, quelle solution proposez-vous pour intégrer une clause sur la protection de l’environnement dans l’ensemble de nos futurs traités bilatéraux de défense ? §

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