Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 décembre 2013 : 1ère réunion
Violences à l'égard des femmes dans les territoires en conflit — Table ronde des soignants et de l'aide humanitaire

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin, présidente :

Notre cycle d'auditions sur les violences faites aux femmes dans les zones de conflit a commencé le 21 novembre 2013, à une date proche du 25 novembre dédié aux violences faites aux femmes. Le rapport de synthèse sera rendu public le 18 décembre 2013, deux jours avant le vingtième anniversaire de la déclaration de l'Assemblée générale de l'ONU sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, qui constate la particulière vulnérabilité des femmes dans les zones de conflit armé.

Des représentants d'associations, d'organisations non gouvernementales (ONG) et des journalistes nous ont présenté un état des lieux de ces violences et ont commenté la constitution progressive du cadre juridique international qui proscrit ces violences. Des chercheurs, historiens et anthropologue, ont insisté sur le fait que les viols de guerre ne sont pas une fatalité. Des représentants du ministère de la Défense nous ont présenté l'application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations-Unies par la France et ses conséquences pour les troupes engagées sur les théâtres d'opérations extérieurs. Mme Yamina Benguigui, ministre déléguée à la Francophonie, nous a fait part de son engagement personnel au Congo. Écoutons maintenant le point de vue des soignants et des représentants des ONG qui interviennent auprès des victimes.

Dr Richard Beddock, vice-président exécutif de Gynécologie sans frontières (GSF). - Je suis gynécologue et obstétricien à l'hôpital des Diaconesses à Paris et vice-président de Gynécologie sans frontières.

Pour nous, accoucheurs qui nous occupons de la santé périnatale, les violences sexuelles lors des conflits armés sont l'extension d'un problème déjà existant, qui est au coeur de notre activité humanitaire : celui de la violence structurelle. Cette violence agit quand, sous la pression de contraintes extérieures, qu'elles soient familiales, religieuses, sociales, juridiques ou ethniques, une personne ne peut s'accomplir. Ce ne sont pas des paroles en l'air. Dans de nombreux pays, les femmes sont victimes, du fait de cet environnement, de leur vie de femme et en particulier de leur vie obstétricale. La mortalité maternelle est un exemple frappant, puisqu'elle tue mille femmes chaque jour ! En Haïti, le séisme du 12 janvier 2010 a fait 200 000 morts en 35 secondes. En comparaison, depuis qu'on mesure la mortalité maternelle, elle a les effets de deux séismes par an. On ne s'empare pas de ce problème de façon efficace. La diminution de la mortalité maternelle est beaucoup trop lente. En temps de conflit armé, cette situation empire. Il ne faut pas oublier de quelle situation on part. D'autant que les conflits se déroulent le plus souvent dans des pays où les problèmes de santé maternelle et infantile étaient déjà importants avant le déclenchement du conflit.

Dans la pratique, les spécialistes de la périnatalité interviennent dans des pays où la santé maternelle rencontrait déjà avant le conflit de nombreuses difficultés. La plupart du temps, les femmes y mènent leur grossesse sans suivi, ou avec un suivi chaotique, accouchent sans aide médicale ou presque. Au mieux, en situation de conflit, les accouchements sont réalisés comme en temps de paix. Les soins prodigués en santé maternelle et infantile se résument donc souvent au traitement des urgences vitales.

Les violences sexuelles sont aggravées, à notre époque, par le déplacement des zones de combat vers les lieux de vie des populations. Les conflits n'ont plus pour cadre des champs de bataille. Cela explique que les populations les plus vulnérables (femmes, enfants) en soient victimes. Cela rend d'ailleurs l'accès à ces populations plus difficile pour les soignants, et cela pose aussi un problème de sécurité pour les soignants. Les violences sexuelles sont indissociables d'un climat de « dé-répression » : les armes sont sorties et la certitude de l'impunité encourage les passages à l'acte. Le conflit armé crée ainsi un environnement spécifique. Enrôlement d'enfants-soldats - c'est l'un des combles des atrocités constatées dans les conflits actuels -, viols, grossesses forcées, infligées notamment pour provoquer la dilution ethnique : on écrase l'adversaire en diluant son identité. Le viol est aussi utilisé comme arme de guerre lorsqu'il y a transmission délibérée du Sida.

Gynécologie sans frontières est une ONG qui existe depuis 1995. Nous dispensons des soins de santé maternelle et infantile dans de nombreux pays. Ces dernières années, nous sommes intervenus au Kosovo, au Burundi ou en Jordanie, où nous avons ouvert une maternité dans un petit camp de réfugiés. Mille accouchements par an ont été pratiqués.

A quoi servons-nous ? A soigner, à assurer la sécurité des grossesses et des accouchements. Nous - obstétriciens, sages-femmes et infirmières - sommes autonomes dans ce domaine où nous détenons le savoir-faire. Les professionnels de santé périnatale font cruellement défaut dans le monde. C'est, à mon avis, un vrai drame. Les soignants accompagnent également les victimes dans leurs démarches de réparation. Enfin, ils contribuent à alimenter inlassablement le plaidoyer en faveur d'un meilleur accès aux soins et aux victimes. C'est la raison de ma présence aujourd'hui. Leurs moyens ? Leur stéthoscope et leur crayon. Il faut dénoncer cette situation inlassablement.

Nous attendons qu'un relais juridique et politique soit pris au plan supranational, pour prendre les problèmes à bras le corps et qu'il y ait des résultats effectifs. L'important est de changer les mentalités. Ainsi nous pourrons nous concentrer sur notre tâche et notre objectif : la réduction de la mortalité maternelle et infantile en dehors des conflits armés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion