Je suis ravi d'évoquer avec vous ce splendide sujet pour un pédopsychiatre. Lorsque nous recevons un petit enfant dans les hôpitaux, nous réalisons avec lui des activités semblables à celles des activités périscolaires : théâtre, sports collectifs ou individuels...
Nous travaillons avec les chronobiologistes. Un enfant en difficulté est le plus attentif le mercredi ou le jeudi matin à 11 heures. Or, les contrôles se font le lundi matin ! Plus un entretien se prolonge, plus les difficultés d'attention s'accroissent ; l'enfant refuse les questions, son image se délite dans l'esprit de l'adulte.
L'enfant en difficulté souffre d'un trouble de l'estime de soi, comme si échouer était pour lui un moyen de valider sa singularité.
L'école a une importance colossale, quel que soit le milieu de l'enfant. Oui, mais certains milieux connaissent ses codes, d'autres non. En ce sens, l'enfant reproduit les modèles sociaux de ses parents...
Il est fréquemment invoqué contre la réforme des rythmes scolaires des risques de fatigue accrue des enfants. Or la fatigue n'existe pas chez l'enfant - il est plus fatigant que fatigué. Comment interpréter les mots de l'enfant qui, interrogé par ses parents, répond qu'il est fatigué ? S'agit-il alors de dépression, d'identification aux adultes, d'adhésion aux valeurs de la famille? Un enfant de 3 ans a quatre minutes trente d'attention, ce qui crée une appétence particulière pour le changement d'activités. Comment l'accueillir en dispersant les figures identificatoires ? L'enseignant est d'abord celui qui aide l'enfant à se séparer de ses parents pour grandir. En outre, un enfant se développe mieux en collectivité qu'auprès de sa mère.
Quelle école, alors, pour le plus grand nombre ? Les 15 % qui échouent ont besoin de plus de temps. Les parents ont parfois du mal à accepter l'écart entre l'enfant tel qu'il est parfois et l'enfant tel qu'ils l'auraient désiré. Les enseignants doivent d'autant plus être formés que les familles privilégient la scolarité pour masquer la difficulté d'apprentissage de l'enfant. Un enfant en situation de handicap ne serait-il pas plus à l'aide dans des activités de danse ou de théâtre que dans une scolarité dans laquelle il échoue ? Un enfant trisomique peut apprendre, mais ses acquis sont lents et fragiles : à l'école, il y a du rythme, des exigences, du travail, ce qui demande de la volonté.
On demande aux enseignants d'être meilleurs que nous-mêmes. L'école doit être parfaite, et l'institutrice compétente dans son enseignement et dans tous les domaines. Pourquoi ne pas utiliser le trésor que constitue le vivier des enseignants à la retraite ? Ils pourraient être utiles pour donner une seconde chance aux enfants. Rien n'est fermé, tout se joue toujours. Voyez les écoles de la seconde chance !
Comment les pays qui font mieux que nous dans le classement Pisa s'y prennent-ils ? D'abord, la scolarité précoce n'est pas un standard. Alors même qu'ils disposent de moyens financiers moins importants, les Finlandais placent les personnels les plus qualifiés auprès des élèves les plus en difficulté. Lors de mes ateliers avec les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), je constate un fort désir d'apprendre parmi les personnels, à condition de libérer leur créativité. Cette réforme, après laquelle il faudra revoir le dogme du collège unique, rappelle qu'il faut égaliser les chances. Commençons pour cela par éviter le délitement précoce de l'estime de soi. Sachons pour cela écouter les oppositions : les maires se plaignent du coût ; les enseignants s'interrogent sur la formation des animateurs ; ceux-ci voudraient que ceux-là les respectent... Evaluons aussi le discours des enfants libéré de tout discours adulte. À la télévision, un enfant de 9 ans se plaignait d'être fatigué après un atelier de théâtre... en ajoutant que sa maman lui avait dit de le dire.
L'aménagement des rythmes nous renvoie à la fonction de l'école. Celle-ci n'est-elle qu'une institution verticale, une lourde machinerie ou bien est-elle centrée sur sa mission pédagogique ? L'école a changé, elle n'est plus celle des hussards de la République. Loin d'être un sanctuaire, elle ouvre au monde comme elle s'ouvre au monde.
Qu'il est grand, le désir d'école ! Chacun souhaite pour ses enfants les études qu'il n'a pas faites. Ce phénomène de compensation se vérifie dans tous les milieux. En revanche, 30 % des enfants adoptés par des parents de milieux privilégiés souffrent de troubles cognitifs, soit dix fois plus que la norme dans ces milieux.
Nous avons la journée la plus longue et les vacances les plus importantes : c'est incompatible avec l'apprentissage. Il est temps d'exporter nos loisirs en Chine pour être compétitifs... Dans le pays génial qui est le nôtre, les enfants, fatigués, deviennent plus pessimistes que ceux du Rwanda. Quelle est cette société qui met les enfants et les adolescents en situation de crainte ?
Tous les acteurs doivent travailler ensemble. L'alliance, voilà le maître-mot. Dépassons les corporatismes, les ruptures entre enseignants et animateurs, famille et école. Pourquoi un enfant qui a réussi ne pourrait-il pas aider un enfant en situation d'échec ? Sommes-nous à ce point hors de toute solidarité ? Le harcèlement est un exemple : le surpoids en est la principale cause, qui renvoie aux inégalités sociales. Les reproduire à l'école est désastreux.
Les activités périscolaires proposées varient bien sûr selon les lieux. Certes, Paris offre 7 500 possibilités. Mais à Paris peut-on à part au jardin du Luxembourg, bien sûr - greffer un citronnier ? Y récolter des olives ? Il faut repenser la place du monde professionnel à l'école, intégrer les métiers. C'est minimaliste ? Peut-être, mais peut-on se contenter d'idéaliser les joueurs de football qui ont battu l'équipe d'Ukraine ?
Fils de pauvres, je sais ce que je dois à mes instituteurs, qui m'ont d'ailleurs demandé de ne pas le devenir, de faire autre chose. J'aurais aimé faire de l'aviron, du théâtre, de la musique... Si ma grand-mère ne m'avait pas appris à faire des pâtes, j'aurais aimé que quelqu'un me le montre, et j'aurais adopté cette grand-mère. C'est pourquoi je suis favorable à cette réforme. Les rythmes scolaires sont comme une pâte que l'on pétrit. La mesure est indiscutable pour les enfants en difficulté ; elle facilitera l'intégration des handicapés et diminuera la pression sur les enseignants. Pourquoi ne pas envisager une formation commune entre enseignants, animateurs, parents et politiques ? Construisons une alliance ! N'est-ce pas la fonction sacrée du maire que de mener une politique de la petite enfance ?
À la commission de suivi des rythmes scolaires, nous découvrons chaque jour des témoignages de pistes nouvelles. Le maire d'un petit village a créé un atelier de rien : l'on y rêve, ce qui n'est pas rien - Proust et Bachelard passaient leur temps à rêver... Il faudrait ainsi des classes d'ennui dans les collèges. C'est facile ? Utile surtout !
Combien de fois n'avez-vous pas vu au restaurant un enfant jouer avec une tablette. Inutile d'incriminer le jeu : les parents ont trouvé ce moyen pour occuper un gamin instable. Sa fatigue tient-elle à la modification des rythmes ou à la tablette ? L'école ne me fatiguait pas, elle me passionnait. Quand Albert Camus a reçu le prix Nobel, il a écrit à son instituteur, M. Germain, qui lui a répondu qu'il était heureux chaque matin d'aller à l'école parce qu'il allait lire dans les yeux de son petit Albert la joie des découvertes qu'il lui proposait. Il y a du Camus en tout enfant de la République. Il y a des liens entre la pratique de la voile et la géométrie, le théâtre et l'affirmation de soi, etc... Lorsque des ateliers théâtre sont mis en place, les consultations chez le psychiatre diminuent.
Si créer des objets pour que les enfants apprennent est plutôt montessorien, Célestin Freinet, lui, utilise l'exposé oral devant les parents invités - tous les députés ont été délégués de classe. À la « maison de Solenn », où nous avions tout, les médecins prescrivaient également des soins culturels ; les adolescents privilégiaient une poétesse libanaise qui les faisaient écrire librement : Roméo et Juliette en hôpital de jour, en somme. La clef est de donner aux enfants plus de chance que nous n'en avons eu. Cette réforme serait plus efficace le samedi matin que le mercredi, mais il faut tenir compte des familles recomposées, des nouvelles familles : après tout, les hommes ont accepté leur féminité et sortent les poussettes, quel progrès !
Oui, cela demande de l'organisation, de la réflexion, de la souplesse. Bref, la rigueur est de mise : c'est l'école, en quelque sorte. Tout cela mérite un travail en alliance qui accroîtra la confiance dans l'école de notre pays. Est-il exagéré de demander aux professeurs de mon centre hospitalier universitaire (CHU) de consacrer cinq demi-journées à des exposés devant des classes ? Nous disposons des moyens, sachons les articuler. Dans le détail, des aménagements sont possibles, il est possible de modifier les ratios. Je crois à l'alliance et à la sécurité pour les familles si le débat s'apaise. Comment croire à une école où les enfants sont attaqués pour leur poids, pour leur sexe, pour leur morphologie, pour leur vêture, pour leur handicap ? Nous devons tous nous relever les manches.