Intervention de Jacques Mézard

Commission des affaires économiques — Réunion du 18 décembre 2013 : 1ère réunion

Photo de Jacques MézardJacques Mézard, rapporteur :

Je souhaite tout d'abord vous remercier de m'accueillir ce matin au sein de votre commission ainsi que le président Raoul pour m'avoir confié la charge d'être le rapporteur de ce groupe de travail.

En effet, l'article 8 du projet de loi Alur posait certains problèmes. Je l'avais qualifié, pour ma part, de communiqué de presse : dans sa rédaction, il était essentiellement une déclaration de principe.

Le groupe de travail a donc entendu, dans des délais très brefs du fait de l'accélération du calendrier d'examen du projet de loi, les acteurs concernés et nous avons essayé de dessiner le cadre de ce que devrait être le cadre de la garantie universelle des loyers (GUL).

Nous avons élaboré neuf conclusions, validées par une majorité des membres du groupe de travail.

Le premier point auquel le groupe de travail s'est intéressé est le principe même de la garantie universelle des loyers et il a dressé trois constats.

Tout d'abord, le risque de l'impayé de loyers constitue une vraie préoccupation pour les propriétaires, alors même que, statistiquement, les impayés ne représentent qu'un peu plus de 2 % du montant total des loyers du parc privé.

Cette préoccupation s'explique notamment par le profil des bailleurs : plus des deux tiers des « multipropriétaires » ne possèdent qu'un logement en plus de leur résidence principale ; 15 % des propriétaires bailleurs sont des retraités relativement modestes.

Ensuite, cette préoccupation constitue un frein important à l'accès au logement dans le parc privé, notamment pour les plus précaires.

Cela conduit au renforcement des exigences des bailleurs. 77 % des propriétaires exigent de leur locataire une caution, ce qui crée une forte discrimination entre les locataires selon leur milieu social, leurs relations ou leur environnement familial. La crainte de l'impayé conduit également de nombreux propriétaires à ne pas mettre leur bien en location.

Cette situation n'est pas sans impact du point de vue économique et sur le marché de l'emploi : une étude du CREDOC a ainsi montré que, entre 2007 et 2012, 500 000 personnes ont dû refuser un emploi du fait de l'impossibilité de disposer d'un logement accessible.

Enfin, les pouvoirs publics ont cherché à mettre en place des dispositifs pour sécuriser le bailleur et le conduire à accepter des locataires avec des taux d'effort importants. Il s'agit des dispositifs de garantie des risques locatifs (GRL). Or, un constat est partagé par tous : ces dispositifs n'ont pas atteint leurs objectifs. On compte aujourd'hui à peine 250 000 contrats de GRL, qui n'est distribuée que par trois assureurs.

Cet échec peut s'expliquer par plusieurs éléments, tels que la concurrence de la garantie loyer impayé (GLI), comme le Sénat en avait fait le constat en 2010 en adoptant un amendement de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe visant à rapprocher la GLI et la GRL, la sélectivité des bailleurs qui privilégient la caution ou encore la lourdeur du dispositif, que les professionnels ont mis en avant lors de leur audition par le groupe de travail.

En s'appuyant sur ces trois constats, le groupe de travail estime donc que la garantie universelle des loyers (GUL) est une mesure indispensable pour faciliter l'accès au parc privé - qui est son objectif premier - grâce à une plus grande sécurisation du bailleur face aux impayés.

Dans ces conditions, quel doit être le sens de l'universalité du dispositif ? L'universalité peut en effet être entendue de deux façons : soit la garantie peut être proposée à tous, soit la garantie doit s'appliquer obligatoirement à tous.

Au cours de ces auditions, nous avons constaté que l'ensemble des acteurs, tant l'Association pour l'accès aux garanties locatives (APAGL) que les assureurs, ont souligné que l'échec de la GRL s'explique par son caractère facultatif.

Certains ont évoqué la possibilité d'un dispositif ciblé sur certains publics : une telle disposition conduirait aux yeux du groupe de travail à stigmatiser certaines populations et reproduirait les dérives de la GRL.

Le groupe de travail juge donc que pour atteindre ses objectifs, la GUL doit être un dispositif applicable à tous les baux du parc privé.

Le caractère obligatoire de la GUL nous a amenés à nous interroger sur l'avenir de la caution, qui constitue l'autre forme de sécurisation des bailleurs. Il s'agit d'une problématique clé, sachant que juridiquement, voire constitutionnellement, on peut se demander si la suppression de la caution peut être envisagée : j'ai pour ma part des doutes, mais je n'ai pas de certitude.

L'institution de la GUL doit conduire, pour le groupe de travail, à la disparition de la caution. Je crois que si la caution était maintenue, la portée et l'intérêt de la GUL seraient largement amoindris.

J'en viens à une question centrale qui avait donné lieu à plusieurs amendements à l'occasion de la première lecture au Sénat : la GUL doit-elle être un dispositif de garantie publique ou une assurance obligatoire ?

Le groupe de travail estime qu'un dispositif d'assurance obligatoire n'est pas réaliste. Tout d'abord, en raison de la sélectivité intrinsèque d'un dispositif assurantiel : les assureurs auraient inévitablement tendance à majorer la prime d'assurance en cas de risque aggravé, ce qui est contradictoire avec l'objectif de renforcement de l'accès au parc privé. Ensuite, un tel dispositif pèserait sur les locataires qui auraient automatiquement à leur charge, de façon indirecte, la prime d'assurance. Enfin, un système d'assurance obligatoire avec des tarifs encadrés poserait certainement problème au regard du droit européen.

Le groupe de travail juge également qu'un dispositif d'aides publiques non encadré présente un fort risque de dérapages en matière de coûts, ce qui est inconcevable dans le contexte budgétaire actuel.

Il appelle donc à une association entre les secteurs public et privé par un dispositif à deux étages : une « garantie socle » publique universelle et une assurance complémentaire facultative.

Cinquième point essentiel : comment financer le dispositif ?

Il a été un temps envisagé de financer la GUL par une nouvelle taxe sur les loyers pesant sur les locataires et sur les bailleurs. Le groupe de travail a écarté cette piste, pour plusieurs raisons : l'ensemble des acteurs y est opposé et une telle taxe pourrait freiner le retour des investisseurs institutionnels sur le marché de l'immobilier ; un problème juridique a été soulevé au cours de nos auditions : il paraît difficile de recouvrer les sommes en cas d'impayés auprès d'un locataire qui aurait acquitté une contribution ; enfin, le locataire subirait une forme de double peine en payant sa part de la contribution et en assumant la part du bailleur par un relèvement du loyer.

Pour le groupe de travail, la GUL doit donc être financée par des crédits budgétaires ainsi que par des crédits d'Action logement et une piste de financement peut être suggérée. Le coût pour l'État de l'ensemble des dispositifs fiscaux en matière d'investissement locatif qui ont été supprimés mais continuent toujours à peser sur les comptes publics, à savoir le « Besson », le « Périssol », le « Borloo », le « Robien » et le « Scellier », doit passer entre 2014 et 2020, de 1,4 milliard d'euros à 800 millions d'euros. L'économie réalisée pourrait être orientée prioritairement sur le financement de la GUL.

Le groupe de travail a tenté ensuite de définir les principales caractéristiques de la « garantie socle » publique, avec deux objectifs : assurer la meilleure couverture pour le maximum de publics et éviter un coût astronomique pour les finances publiques.

Trois caractéristiques peuvent être alors précisées :

- la garantie doit être plafonnée s'agissant du montant de loyer : dans les « zones tendues », il convient de plafonner le loyer garanti au niveau du loyer médian de référence institué dans le cadre du dispositif d'encadrement des loyers ; dans les « zones non tendues » - il est à mes yeux impensable qu'un tel dispositif ne s'applique pas sur tout le territoire, car il y a des problèmes de logement et, notamment, des logements vacants dans ces zones -, il convient de réfléchir à un dispositif similaire, par exemple en instituant un plafond de loyer garanti qui pourrait être fixé par voie réglementaire ;

- la garantie doit ensuite être limitée dans le temps et une durée de 18 mois a été proposée ;

- enfin, le groupe de travail s'est interrogé sur la question du taux d'effort maximal pour être éligible à la GUL : s'il est inimaginable de fixer un taux d'effort du locataire inférieur à 40 %, une question s'est posée pour les publics dont le taux d'effort est situé entre 40 et 50 %. Relevant que 20 % des locataires du parc privé ont un taux d'effort supérieur à 40 %, le groupe de travail a jugé que la garantie doit couvrir l'ensemble des locataires jusqu'à un taux d'effort pouvant atteindre 50 %. Par ailleurs, pour les publics précaires, comme les jeunes, il convient que, par exception, la garantie publique couvre 100 % du loyer.

Le groupe de travail s'est ensuite intéressé à la gouvernance de la GUL, sujet qui a donné lieu, lui aussi, à des discussions à l'occasion de l'examen du projet de loi Alur.

Pour nous, la gouvernance doit être confiée à un établissement public, notamment parce que le caractère public de cette institution justifie le recours au Trésor public pour le recouvrement des impayés. Pour autant, l'établissement public doit rester très « léger », ses missions étant limitées à des fonctions de pilotage, de régulation et d'agrément des organismes gérant la garantie sur le terrain.

Au sein de cet établissement, le conseil d'administration doit comprendre des représentants des « financeurs », à savoir l'État et Action logement, un comité d'orientation, regroupant l'ensemble des acteurs concernés.

Huitième sujet traité par le groupe de travail : la question des dérives et du risque de déresponsabilisation des acteurs que j'avais moi-même évoquée à l'occasion de la discussion du projet de loi.

L'institution de la GUL ne peut conduire à la consécration d'un droit au maintien dans les lieux d'un locataire qui ne paie pas ses loyers. Ma conviction est qu'il faut être très ferme sur cette question. La GUL ne peut en aucune manière consacrer un « permis de ne pas payer ».

Afin de responsabiliser les locataires il faut maintenir la disposition introduite par le Sénat, à l'initiative de notre collègue Claude Dilain, rapporteur sur le projet de loi, qui prévoit le recours au Trésor public pour assurer le recouvrement des impayés de loyer.

Du côté des bailleurs, la responsabilisation doit passer par une obligation de déclaration rapide de tout impayé de loyer. Le dispositif doit permettre d'apporter une réponse rapide et adaptée à chaque situation.

Dernier point : le calendrier de mise en place de la GUL. L'article 8 du projet de loi Alur prévoit à l'heure actuelle que la garantie s'applique aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2016. Nous proposons également que le dispositif s'applique progressivement, c'est-à-dire au flux des nouveaux contrats. Cela permettra notamment de procéder aux ajustements qui pourraient s'avérer nécessaires.

Voilà donc, Monsieur le Président, mes chers collègues, les neuf conclusions auxquelles le groupe de travail a abouti. Nous souhaitons que le Sénat puisse faire des propositions en seconde lecture sur cette base.

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