Le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, adopté par l'Assemblée nationale le 27 novembre dernier, est le premier texte législatif de grande ampleur dans le domaine de la politique de la ville depuis dix ans.
Dès 1991, la loi d'orientation pour la ville a posé les principes de cette politique. Celle du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville a défini, à l'intérieur des zones urbaines sensibles créées l'année précédente, des zones de redynamisation urbaine et des zones franches urbaines, plusieurs fois reconduites par la suite. Avec la loi du 1er août 2003, c'est le lancement du programme national de rénovation urbaine ou PNRU, avant que soient lancés en 2007 les contrats urbains de cohésion sociale.
Des dispositifs de natures différentes - exonérations fiscales ou sociales, subventions pour travaux, contractualisation, crédits spécifiques ou de droit commun... - se sont ainsi superposés au cours des années sur des périmètres variables, sans que tous démontrent leur efficacité.
Aussi, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) comme la Cour des comptes dressent-ils un bilan contrasté de la politique de la ville. Si la rénovation urbaine a transformé certains quartiers, les écarts de développement demeurent et les taux de chômage des quartiers défavorisés, bien souvent, ne se sont pas rapprochés de ceux des autres quartiers.
Peut-être a-t-on assigné des objectif trop larges à une politique dont les crédits, même en y incluant ceux de la rénovation urbaine, demeurent modestes au regard de l'ampleur de la tâche. Une politique de la ville ne saurait compenser les insuffisances des autres politiques ni résoudre, à elle seule, les handicaps dont souffrent ces quartiers, qu'il s'agisse de l'isolement par rapport aux réseaux de transport, du manque de services publics ou de l'insuffisance des moyens scolaires.
Il faut toutefois distinguer les points positifs. Des améliorations concernant la petite délinquance et les incivilités. Surtout, le programme national de rénovation urbaine ou PNRU rend aux logements, comme aux abords des immeubles et aux espaces publics, une dignité qui est essentielle au vivre-ensemble. Cette dimension est difficile à mesurer dans des statistiques, mais les enquêtes auprès des habitants montrent un taux de satisfaction très élevé à l'issue des travaux : la majorité d'entre eux considère que la vie a évolué en bien dans leur quartier. Les habitants qui résident à proximité de ces quartiers approuvent aussi très majoritairement la rénovation urbaine.
Il est donc important de préserver et de poursuivre cette politique tout en corrigeant ses défauts : c'est, je crois, ce que propose ce projet de loi.
Un mot sur la méthode : il faut saluer la concertation importante, même si elle n'a pas forcément fait la une des médias, organisée par le ministre auprès de l'ensemble des acteurs de la politique de la ville. J'y ai été personnellement associé. Nul doute que cette concertation est l'une des raisons du soutien, dans l'ensemble, très large constaté auprès de ces acteurs au cours des auditions que j'ai conduites. Personne ne remet en cause les grandes orientations, même si des divergences de vue existent sur les modalités de mise en oeuvre.
Le projet de loi tente donc de répondre aux principales critiques adressées à la politique de la ville au cours de ces quinze ou vingt dernières années.
Première critique : la multiplicité des zonages, source de complexité pour les professionnels et les élus, pour ne pas dire d'obscurité lorsque les critères manquaient d'objectivité. Le texte propose de définir un niveau unique de zonage, les « quartiers prioritaires de la politique de la ville », en fonction d'un critère simple et objectif : les écarts de revenu entre les quartiers concernés et une double référence, à la fois nationale et au niveau de l'agglomération. Les moyens seront recentrés sur les quartiers qui en ont le plus besoin. Comme l'a fait observer la Cour des comptes, la France compte actuellement près de 2 500 zones prioritaires, contre 392 en Allemagne, 40 aux Pays-Bas, 39 en Grande-Bretagne et 17 en Espagne.
Le critère unique est objectif et englobant, comme l'ont montré les études universitaires. La comparaison avec les niveaux national et local permet d'identifier des territoires urbains en situation de ségrégation.
Deuxième critique : la mise en retrait des politiques de droit commun. Trop souvent les crédits accordés à la politique de la ville ont laissé croire que les politiques de droit commun pouvaient s'engager un peu moins dans les quartiers. Or ces crédits n'ont jamais eu pour objectif de remplacer l'action des politiques d'éducation, de transport, de sécurité, d'emploi... mais au contraire de les compléter pour réduire les inégalités d'accès des populations de ces quartiers aux services publics dans leur ensemble. Le projet de loi prévoit, dans le cadre de la politique de la ville, qu'un contrat unique mobilisera et rendra lisible l'ensemble des moyens consacrés à ces quartiers. Le contrat unique réconciliera ainsi l'urbain et l'humain, qui ont été artificiellement séparés.
Troisième critique : la politique de la ville, trop souvent, ne s'est pas faite au niveau de la ville, mais au niveau de la commune. La plupart des agglomérations urbaines sont constituées de plusieurs communes, avec parfois des écarts de développement importants. L'intercommunalité, qui est le cadre institutionnel le plus proche de la ville telle qu'elle est vécue par les habitants, doit être le lieu de mise en place d'une solidarité effective. C'est ce que propose le projet de loi en prévoyant notamment que les contrats de ville seront conclus au niveau intercommunal, ce qui n'empêche pas le maire d'en être le maître d'oeuvre au niveau communal.
Quatrième critique : la rénovation urbaine, voire la politique de la ville dans son ensemble, se serait faite sans les principaux intéressés, les habitants eux-mêmes. La remarque m'en a souvent été faite, même si les pratiques locales ont varié selon l'engagement des élus. Certes, les habitants n'ont pas les compétences techniques d'un aménageur, mais ils ont une connaissance intime des lieux, par leur pratique quotidienne, et des solutions, qui doivent être mieux prises en compte pour la réussite même des projets. Leur implication doit avoir lieu dès la conception et pas seulement par des réunions d'information organisées une fois que le projet est déjà validé. Il est proposé ici de créer des conseils citoyens qui émanent des habitants et leur permettront, de manière plus efficace et constructive que les procédures actuelles, de faire remonter leurs préoccupations et leurs propositions.
Le projet de loi décline ces grandes orientations en trois titres.
Le titre Ier comprend des dispositions générales ou de programmation. Il s'agit surtout des grands principes de la politique de la ville, ainsi que du PNRU.
L'article 1er pose le cadre de la politique de la ville, définie comme une politique de cohésion urbaine et de solidarité, nationale et locale, envers les quartiers défavorisés. Il institue l'Observatoire national de la politique de la ville qui remplacera l'ONZUS et le comité d'évaluation et de suivi de l'ANRU.
Les députés ont introduit la notion de « co-construction », sur laquelle doit s'appuyer la politique de la ville. Cette évolution me paraît particulièrement importante et innovante. La co-construction s'appuie sur les conseils citoyens dont nous parlerons plus loin ; je vous proposerai qu'elle s'appuie également sur la co-formation, c'est-à-dire la possibilité pour les professionnels et les élus de s'appuyer aussi sur les connaissances et les solutions réunies par les habitants eux-mêmes. Ces conseils devront donner la parole aux habitants et non à ceux qui trop souvent s'expriment en leur nom dans les réunions publiques. Enfin la co-construction n'est pas la codécision : la décision finale reviendra toujours aux élus locaux.
Les députés ont également, dans un article additionnel 1er bis, ajouté le lieu de résidence parmi les critères de discrimination qui peuvent faire l'objet d'une sanction pénale.
L'article 2 prolonge de deux ans le programme national de rénovation urbaine et décide le lancement d'un nouveau programme national de renouvellement urbain. Il complète également les missions et le financement de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Les députés ont inséré un article 2 bis qui affirme le principe de la concertation autour des projets de renouvellement urbain ainsi que, concernant les locataires, lors des opérations d'amélioration ou de construction-démolition de logements sociaux.
Enfin, l'article 3 prévoit la définition, dans un rapport, des conditions dans lesquelles sera instituée une dotation « politique de la ville » (DPV) qui remplacera l'actuelle dotation de développement urbain (DDU).
Le titre II est consacré à la réforme du zonage et à la gouvernance territoriale de la politique de la ville.
L'article 4 prévoit que les nouveaux quartiers prioritaires seront caractérisés par un nombre minimum d'habitants - car on reste bien en territoire urbain - et un écart de revenu de ces habitants par rapport à une double référence : à la fois nationale et locale. Cette double référence est essentielle : la politique de la ville s'adresse à des quartiers en situation de ségrégation urbaine, qui doivent donc bénéficier aussi bien d'une solidarité locale, de la part des communes voisines plus favorisées, que nationale.
Ce critère unique a été critiqué, mais j'ai pu constater pendant les travaux préparatoires à l'élaboration du projet de loi qu'il résumait efficacement les critères traditionnellement utilisés. De plus, il est objectif et facilitera les mises à jour ultérieures de la carte des quartiers prioritaires. Si ce critère permet d'identifier des quartiers auxquels on ne s'attendait pas forcément, à Amiens, Auch ou Guéret, c'est qu'il y avait dans ces quartiers des difficultés qui justifient effectivement un recours aux outils de la politique de la ville. A l'inverse, certains quartiers sortiront de la politique de la ville : il faut s'en réjouir car c'est un signe d'amélioration de leur situation !
L'article 5, qui est aussi l'un des axes essentiels de la réforme, concerne les nouveaux contrats de ville. Ils vont remplacer les contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) avec une double ambition : rassembler l'ensemble des dispositifs qui contribuent à améliorer la situation des quartiers - aussi bien les moyens des politiques dites de droit commun que les crédits et outils spécifiques de la politique de la ville ; et mettre en oeuvre cette politique au niveau le plus pertinent qui est celui de l'intercommunalité.
Les députés ont inséré un article 5 bis qui prévoit l'instauration de conseils citoyens : émanant des habitants et non des pouvoirs publics, ces conseils doivent être le lieu qui permettra le développement d'une parole des habitants à la fois plus riche et mieux informée que dans les procédures actuelles. Ces conseils devront être associés aux contrats de ville dès leur élaboration. Je vous proposerai de les dénommer « coordination citoyenne de quartier » afin de marquer leur ancrage du côté des habitants, associations et acteurs locaux.
Je vous soumettrai un amendement de clarification de l'article 5 ter, qui favorise la coordination au niveau intercommunal des politiques d'attributions des logements sociaux en vue de favoriser la mixité sociale et de contribuer à la réduction des inégalités entre les territoires.
L'article 5 quater introduit le principe d'une Fondation des quartiers. Cette proposition me paraît particulièrement intéressante pour faciliter la conduite de projets issus de l'initiative des habitants, dans le respect des principes républicains. La création de cette fondation a été proposée par le rapport Bacqué-Mechmache, demandé par le ministre délégué chargé de la ville pour améliorer les dispositifs de participation et favoriser le développement du « pouvoir d'agir » des citoyens.
Je serai plus bref sur les articles suivants qui sont souvent des articles de conséquence des grands choix effectués dans les premiers articles du texte.
L'article 6, qui prévoyait la prise en compte de la politique dans les contrats de développement territorial (CDT) du Grand Paris, a été supprimé au motif que cela venait un peu tard, certains CDT ayant déjà été signés et d'autres étant bien avancés. Quant à l'article 7, il prévoit simplement la communication par les collectivités au nouvel Observatoire des données nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
L'article 8 précise et formalise l'attribution de la compétence « politique de la ville » aux différents niveaux de collectivité : compétence obligatoire pour les communautés urbaines et les communautés d'agglomération, compétence optionnelle pour les communautés de communes. Je vous proposerai de faire les mêmes modifications pour les métropoles - une coordination technique sera certainement nécessaire avec le projet de loi sur les métropoles.
Un mécanisme de solidarité devra être instauré dans les grands EPCI en application de l'article 9. Le texte d'origine prévoyait l'obligation de mettre en place la dotation de solidarité communautaire, mais les députés ont prévu la possibilité de définir plutôt un pacte financier et fiscal de solidarité, qui peut avoir une portée plus large.
Les quartiers qui sortent de la géographie prioritaire bénéficieront, grâce à l'article 9 bis, d'un dispositif de veille active, passant notamment par la possibilité de conclure des contrats de ville.
L'article 9 ter, pour sa part, prévoit la dissolution de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), car elle est regroupée avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) et le secrétariat général du Comité interministériel des villes au sein d'un Commissariat général à l'égalité des territoires.
Le titre III contient des dispositions diverses, finales et transitoires.
L'article 10 assure la continuité des modes de financements entre le PNRU 1 et le nouveau PNRU.
On peut noter également - un amendement porte sur ce point - que le dispositif d'exonération du paiement d'un surloyer, pour les locataires de logements sociaux qui dépassent le plafond de ressources, sera pérennisé dans les ZUS pour les locataires qui en bénéficient déjà.
En revanche, la suppression des zones de redynamisation urbaine (ZRU) et des avantages qui leur sont attachés est entérinée par les articles 11 et 12.
Les articles 12 bis et 12 ter tirent les conséquences du projet de loi pour certains organismes publics, tandis que les articles 13 et 14 en adaptent les dispositions aux spécificités des collectivités de Saint-Martin et de la Polynésie française. L'article 15 réalise les coordinations juridiques nécessaires pour transférer aux nouveaux quartiers prioritaires les dispositions législatives relatives aux ZUS et les articles 16, 17 et 18 contiennent d'autres dispositions d'adaptation, d'abrogation ou relatives à l'entrée en vigueur de certaines dispositions du projet de loi.
Il faut enfin mentionner l'article 16 bis, dans lequel les députés ont souhaité demander la remise d'un rapport sur la création d'emplois et d'entreprises dans les quartiers.
Je vous proposerai par ailleurs un nombre assez élevé d'amendements qui tendent soit à clarifier l'organisation du texte, soit à effectuer des coordinations rendues nécessaires par les modifications effectuées à l'Assemblée nationale. Une loi qui simplifie le droit est souvent, par elle-même, complexe parce qu'elle doit effectuer un grand nombre de coordinations juridiques.
Le dispositif proposé par le projet de loi est en effet remarquablement clair en lui-même : un seul zonage, une meilleure articulation des différentes politiques au sein des contrats de ville, un pilotage intercommunal et la poursuite du programme « phare » de la politique de la ville, à savoir le programme de renouvellement urbain.
C'est ce texte que je propose à notre commission d'améliorer encore pour le soumettre à l'examen du Sénat.