Intervention de Alain Delcamp

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 décembre 2013 : 1ère réunion
Haute autorité pour la transparence de la vie politique — Audition de M. Alain delCamp

Alain Delcamp :

Monsieur le président, chers membres de cette chère commission des lois, malgré l'accueil très aimable que vous me réservez, vous pouvez imaginer mon émotion au moment de me retrouver en ces lieux, mais de l'autre côté de la barrière. Compte tenu des années passées près de vous, c'est un très grand honneur. Je me réjouis de l'évolution institutionnelle qui a soumis les nominations importantes à une validation parlementaire j'y vois le signe d'un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement et une garantie pour la démocratie. Je me réjouis que cette audition soit publique et télévisée, ce qui valide les choix faits par les deux assemblées de se doter de moyens audiovisuels indépendants. Je mesure les risques de ce dispositif spécifique : pour la première fois, une nomination requerra une majorité positive des trois cinquièmes des suffrages exprimés, et non pas seulement une absence d'opposition à cette même majorité. Cela correspond à un choix qui vous est cher, Monsieur le Président, et que vous souhaiteriez voir étendu, point de vue que je partage. Cette inversion de position devant une instance que j'ai servie pendant vingt années est d'autant plus nécessaire que je me présente à vous, qui me connaissez encore, en insistant sur le système de valeurs qui est le mien et que j'ai conforté pendant ma carrière de fonctionnaire parlementaire.

J'ai grandi dans un milieu familial très classique, dans un département qui peut paraître reculé, le Cantal, très proche des racines de ce pays longtemps rural, ordonné autour de ses villages et dur au mal. L'Auvergne produit, comme le disait Alexandre Vialatte, des ministres, des fromages et des volcans. Jules Michelet voyait avec raison ses habitants comme « une race méridionale qui grelotte au vent du nord ». Dans ce pays à cheval sur la ligne de partage des eaux, originaire du côté qui descend en pente douce vers le Sud-Ouest, et non de celui qui domine la vallée du Rhône, je me sens du midi moins le quart. Je lui suis reconnaissant de cette architecture forte qu'il m'a donnée, confortée par l'éducation républicaine classique et sérieuse de ces grands lycées de la IIIème République construits comme des forteresses. J'ai découvert une forme d'injustice, des rivalités liées par exemple à la guerre scolaire. J'en ai conservé un sûr instinct de tolérance et un grand esprit d'indépendance, qui se trouvèrent renforcés par le climat que je découvrais au Sénat : le pluralisme abrité et garanti par l'esprit d'institution.

Le pluralisme était le fruit de la composition même du Sénat et du caractère de son mode de scrutin aujourd'hui mieux compris, si je me réfère à la dernière réforme que vous avez votée. L'esprit d'institution était la conscience d'une appartenance à une réalité singulière qui, si elle possédait des pouvoirs méconnus mais certains- l'égalité avec l'Assemblée nationale en matière constitutionnelle - paraissait sans doute à tort plus fragile et au moins inconsciemment tenue de justifier son existence. Ma rencontre avec le Sénat fut fortuite ; ce n'était pas une vocation. Tout au plus la combinaison de mes études à Paris depuis l'âge de dix-sept ans et le hasard d'un référendum perdu par le général de Gaulle. Le concours de recrutement d'administrateurs de 1969, le plus important depuis la guerre, fut le signe du retour de la confiance du Sénat en son avenir. De fait, l'inquiétude de ces années incertaines est restée lisible pendant très longtemps. Je fus sensible à la découverte de traditions politiques que je ne connaissais pas et qui avaient subsisté malgré le rouleau compresseur de la République nouvelle, aux nuances infinies des terroirs, à la singularité des itinéraires, aux solidarités d'appartenance. J'y ai découvert une institution en re-formation faisant, avec le président Poher, le pari de l'ouverture. Pas de nostalgie de la Troisième République, le même désir d'être apprécié que le Conseil de la République, qui avait conduit à la reconnaissance du bicamérisme en 1958.

Ma carrière, encouragée par la mobilité, m'a conduit à servir les deux versants de l'institution : l'ouverture et la permanence. L'ouverture, ce fut la diversité des activités, tant juridiques ou de conseil que d'administration humaine et gestionnaire. Ce furent aussi les voyages outre-mer et à l'étranger, l'accueil de délégations à Paris, la participation à des rencontres internationales, l'assistance à de multiples auditions, l'organisation de colloques. Le président Monory, avide de réformes, me projeta dans un domaine qui ne m'était pas familier, la communication, sujet moins d'apparence qu'on ne le dit, tant il fallut d'abord savoir quoi et comment communiquer avant de penser aux outils. Ce fut le temps de l'apparition d'internet, où le Sénat, grâce à son président d'alors, s'affirma comme un pionnier, de la création de la chaîne Public Sénat, des événements divers à Paris et en province, les expositions de photos sur les grilles, toutes initiatives amplifiées par le président Poncelet, qui contribuèrent à modifier l'image du Sénat et à surprendre.

La permanence, ce fut la participation au travail législatif, obscur, patient, continu, tenace, surtout en commission ou avant : incertitude de la navette, bonheur de la commission mixte paritaire lorsqu'elle réussit, témoignage de la nouvelle lecture, recours au Conseil constitutionnel. Autant d'efforts, d'énergie que de droit. Le Parlement est peut-être une des dernières institutions qui ne comptent pas leur temps, ce dont les citoyens n'ont pas conscience. Une institution très ancienne, mais en même temps si jeune, au regard de la connaissance qu'en ont nos concitoyens, et dont la nécessité résulte de la démocratie, du pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. La question de la médiatisation du Parlement demeure. Certains se demandent encore, à l'heure de ce que d'aucuns ont appelé à l'Assemblée nationale la « démocratie Paparazzi », si le gain de la fameuse transparence peut être mis en balance avec la volonté de dialogue et la recherche patiente de positions de conciliation qui constitue la raison d'être des assemblées et de celle-ci en particulier. Travail législatif dont on conserve trop souvent une image pointilliste, alors qu'il dissimule des enjeux concrets et démocratiques : l'affrontement parfaitement sain des opinions.

J'ai aussi participé à des travaux de contrôle, facilité par la position politique plus distanciée du Sénat, mais aussi par une conscience aiguë de la position des citoyens face à un État certes affaibli, mais à qui il convient toujours de faire contrepoids. J'ai eu la chance d'éprouver toutes les facettes de ce travail au sein d'une administration parlementaire, y compris la trésorerie ou le cabinet des questeurs, jusqu'à sa direction au plus haut niveau. Plusieurs présidents m'ont fait confiance ; ce furent des moments d'intimité rare, toujours marqués, qu'il s'agisse des présidents Poncelet, Monory ou Bel, par le souci de l'autonomie du Sénat mais aussi de son utilité au service de ceux qui l'avaient élu.

La question de la déontologie, au centre de la vie du fonctionnaire quel qu'il soit, prend au Parlement une importance renforcée, car s'exerçant non seulement envers l'employeur public mais aussi toutes les familles politiques, qu'il doit servir également. La déontologie est affaire de règles, mais aussi de qualités morales, d'expérience et d'exemple. Elle augmente à proportion de la position dans la hiérarchie. La liberté en est indissociable, mais ne peut être conciliée avec elle que par un effort permanent, par une ascèse. Je ne crois pas que le politique attende de ses collaborateurs une forme de grisaille, au contraire ; mais il a besoin de savoir qu'il peut leur faire confiance. Nous rejoignons là le thème de vos débats sur l'apparence. On ne peut servir le public, a fortiori dans un milieu où les positions publiques des fonctionnaires sont exclues, que si l'on développe sa propre éthique dans des domaines compatibles. Ainsi s'explique mon engagement dans l'université et la recherche universitaire. J'y ai quelque peu servi le Sénat en le faisant mieux connaître. Cet engagement m'a aidé à conserver une certaine distance avec la quotidienneté de ce milieu si prenant et si confortable à la fois. Il m'a donné l'occasion d'affermir quelques idées et m'a tenu en éveil pour conserver un regard encore neuf. Il demeure un aliment pour contribuer même modestement à faire évoluer ce vieux pays qui reste, comme moi comme pour vous, si je puis me permettre, ma vraie passion.

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