Intervention de Alain Delcamp

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 décembre 2013 : 1ère réunion
Haute autorité pour la transparence de la vie politique — Audition de M. Alain delCamp

Alain Delcamp :

La question de Mme Tasca, présidente du comité de déontologie du Sénat, est assurément la plus importante. L'autonomie des assemblées est très mal comprise. Elles ont accompli un gros travail préalable, sans lequel elles auraient été dans l'incapacité d'accepter un tel contrôle. Les parlementaires ont pris en main leur propre destin, à travers des instances et des règles, le Sénat en tout premier lieu avec son comité de déontologie créé en 2009. Sur les propositions générales de ce comité, le bureau a invité la commission des lois, alors présidée par Jean-Jacques Hyest, à engager une réflexion en dehors de toute actualité. J'ai lu parfois que les règles sur la transparence étaient liées à une affaire récente : il n'en est rien ! En fait, les assemblées se sont inspirées de leurs travaux. L'autonomie du Parlement a été prise en compte dans la loi. Vous avez modifié l'ordonnance de 1958 en prévoyant que le bureau de chaque assemblée, après consultation de l'organe chargé de la déontologie parlementaire, détermine des règles en matière de prévention et de traitement des conflits d'intérêts et veille à leur respect. La compétence du Parlement en ce domaine est donc réservée.

Monsieur le président, vous avez remarqué dans votre rapport avec raison l'absence de définition du conflit d'intérêts ; c'est, sinon une zone de non droit, du moins une zone de droit à construire. Sans vouloir m'avancer au nom d'une institution qui sera collégiale, je pense que des ponts sont inévitables. C'est sain. Une autorité administrative indépendante trouve dans son indépendance même, comme l'a dit M. Nadal, les raisons de recourir à la coopération avec toutes les institutions qui poursuivent le même but ou peuvent l'aider à l'atteindre. L'acceptation de l'intervention d'un organisme extérieur par le Parlement est un signe de maturité. Son autonomie n'en sera pas affectée ; on le comprendra mieux. Le fait d'avoir un regard extérieur est peut-être un avantage. Par méconnaissance, on soupçonne le Parlement d'être juge et partie. Les citoyens verront clairement son travail considérable et sauront qu'il n'est pas un des lieux où même les tentations de corruption sont les plus grandes.

Je suis confus de ce que M. le doyen Gélard a rappelé. Il m'a toujours semblé nécessaire que ceux qui connaissent et aiment le Parlement puissent en parler : c'est une zone d'ombre dans l'enseignement, dans la perception qu'en a le public. La France a tendance à ne voir que l'exécutif : croire que le législatif n'existe plus serait une grave erreur. Il suffit de considérer vos amendements, vos votes, vos échanges avec l'Assemblée. Le public qui voit les auditions ne peut qu'être impressionné par leur sérieux. Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour que l'exécutif accepte que le Parlement soit associé à des décisions importantes pour le fonctionnement de la démocratie ? Tout ce qui s'est passé ces dernières années n'est qu'une reconquête de ses droits et pouvoirs par le Parlement.

Je pourrais, comme vous, faire état de mon scepticisme quant à l'efficacité de mesures trop complexes. On est pour la transparence ou on ne l'est pas ! Le Sénat est d'ailleurs allé plus loin que la loi finalement votée. Pour certains d'entre vous, vous avez même pris l'initiative de publier vos propres déclarations. La décision du Conseil constitutionnel, dont l'importance n'a pas été assez soulignée, a répondu à beaucoup d'attentes du débat parlementaire et a débouché sur de grands changements en matière de publicité. Si je m'interroge sur le fait qu'il n'a pas jugé compatible avec le respect de la vie privée des grands exécutifs locaux ce qui a été mis en place pour les parlementaires, la distinction entre la publication des déclarations des élus et des non-élus peut en revanche se comprendre. Enfin, la réaffirmation de la séparation des pouvoirs, tant vis-à-vis du Parlement que vis-à-vis de l'autorité judiciaire, me paraît satisfaisante.

La loi a envisagé que des membres de la Haute autorité soient eux-mêmes confrontés à des questions de déontologie : il avait même été question de suppléants notamment au cas où un membre aurait un lien direct avec l'affaire traitée. Je réfléchis à ma propre position concernant les sénateurs. Ma préoccupation est-elle excessive ? En tout cas, cela fera partie des sujets à traiter en amont, probablement par le règlement intérieur.

La loi prévoit que la commission aura un rôle de conseil. Que les Assemblées soient rassurées : le principe du contradictoire est assuré, et leur Bureau, qui sera le premier destinataire des observations de la Haute autorité s'agissant des parlementaires, fera connaître son point de vue.

La Haute autorité informera, répondra aux demandes d'avis, émettra un rapport. Au-delà, de l'administratif et de la technique, c'est surtout affaire de communication. La Haute autorité joue un rôle dans la redécouverte des principes de la démocratie : la transparence est une chose, la liberté d'action des décideurs politiques en est une autre. Les racines de la défiance doivent certes être éradiquées, comme l'a voulu le président de la République ; reste qu'un homme n'est pas que ce qu'il a, mais surtout, comme le disait Malraux, ce qu'il fait. Et qui est plus important que de se préoccuper de façon excessive de ce qu'il a. Je demeure cependant favorable à cette évolution.

La première autorité administrative indépendante a été créée en 1977, durant l'élaboration de la loi Informatique et libertés. Administrateur à la commission des lois, j'ai assisté à la naissance de l'expression elle-même au cours d'une réunion de travail dans le bureau du rapporteur, Jacques Thyraud, à laquelle participait Herbert Maisl, alors doyen de la faculté de droit d'Orléans. Le législateur avait voulu un outil qui veille à l'exécution des lois, et qui ne soit pas l'exécutif. Il était alors assez original, compte tenu du caractère rigide des institutions françaises, de définir un espace qui ne soit plus tout à fait l'exécutif sans être un prolongement du législatif. Nous avions résolu cette contradiction par le pluralisme et l'idée d'indépendance. Si l'aspect administratif a pris plus d'importance par la suite, peut-être cette nouvelle Haute autorité fera-t-elle évoluer l'équilibre entre indépendance et administration, étant entendu que sa mission est d'abord démocratique.

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