Le secteur des semences, premier maillon de la chaîne de production végétale, avec un chiffre d'affaires entre 2,6 et 2,9 milliards d'euros par an, employant 9 000 personnes, dont un quart dans la recherche, joue un rôle important en France, qui est le troisième exportateur mondial. A côté des grandes entreprises, il existe des petits sélectionneurs qui sont essentiels, notamment sur les marchés de niche. La proposition de règlement de la Commission européenne sur la commercialisation des semences a été présentée dans le cadre du paquet sanitaire de mai 2013, qui visait à regrouper plus de 70 textes en cinq règlements. Il ne traite pas des questions de propriété intellectuelle sur le végétal, mais celles-ci structurent l'économie de la filière semencière. C'est pourquoi la proposition de résolution examine les nouvelles règles présentées par la Commission européenne pour la production et la mise à disposition du marché des semences, mais va également plus loin en rappelant l'attachement au système de propriété intellectuelle particulier sur les semences qui repose sur le certificat d'obtention végétale (COV), plus ouvert que le brevet. Un tel rappel est nécessaire à l'heure où le brevet grignote du terrain : l'Office européen des brevets (OEB) attribue ainsi des brevets sur des gènes ou sur des plantes présentant des caractéristiques particulières - la facilité de coupe pour le brocoli, par exemple - respectant la lettre des textes mais pas leur esprit, et contredisant le principe de non brevetabilité du vivant.
La commercialisation des semences, rappelons-le, n'est autorisée que si celles-ci sont enregistrées au catalogue officiel des espèces et variétés. Une variété ne peut être enregistrée qu'après des tests montrant qu'elle est homogène, stable et distincte de celles existant déjà ; et, sauf pour les variétés fruitières ou potagères, si elle a été soumise à un test de valeur agronomique et technologique (VAT). Les semences vendues doivent aussi faire l'objet d'une certification officielle qui en garantit la qualité aux agriculteurs-utilisateurs.
La nouvelle réglementation européenne adapte sans les changer ces deux principes et harmonise les dispositions sectorielles dans un règlement unique, qui concerne même le matériel forestier de reproduction. Alors que l'enregistrement des semences se fait aujourd'hui au niveau des États membres, le catalogue commun des espèces et variétés n'étant qu'une compilation des catalogues nationaux, les opérateurs pourront demain obtenir une inscription directe au catalogue européen. Actuellement chargé de gérer seulement le système de protection des obtentions végétales, l'Office communautaire des variétés végétales (OCVV), rebaptisé Agence européenne des variétés végétales (EAPV) pourrait enregistrer des demandes d'inscription au catalogue et les instruire. Une même variété aurait une dénomination unique dans l'ensemble de l'Union.
La durée de validité des inscriptions au catalogue passerait de dix à trente ans, et de cinq à trente ans pour les renouvellements d'inscription. Cela ne fait pas obstacle à un retrait du catalogue avant terme, notamment lorsque personne n'effectue la maintenance de la variété. En outre, les critères permettant d'estimer la VAT des variétés nouvelles seraient enrichis de critères environnementaux : sensibilité moindre aux organismes nuisibles, meilleure adaptation aux conditions climatiques ou moindre consommation de ressources. Pour alléger les tâches des autorités d'enregistrement, la réalisation de l'examen technique préalable à l'enregistrement des nouvelles variétés, notamment les tests de DHS, seraient confiés aux demandeurs.
Les dérogations au cadre général de l'enregistrement des semences, pour le maintien d'une biodiversité cultivée, seraient en outre plus larges qu'aujourd'hui : l'enregistrement ne serait pas exigé pour les matériels destinés uniquement à la conservation des ressources phytogénétiques ; les variétés traditionnelles agricoles pourraient être enregistrées sans tests DHS, sur la base d'une simple description officielle reconnue ; des matériels hétérogènes, ne pouvant prétendre à une définition en tant que variété, pourraient être enregistrés pour préserver la diversité biologique des espèces ; la Commission européenne pourrait édicter des règles simplifiées par des actes délégués pour les matériels de niche ; afin de ne pas pénaliser les petits acteurs de la recherche variétale et les collectifs d'agriculteurs-sélectionneurs, les micro-entreprises seraient exonérées du paiement des redevances lors de l'enregistrement. Ces dérogations visent à donner un cadre légal aux pratiques alternatives des agriculteurs.
La proposition de résolution présentée par Jean Bizet et Richard Yung valide globalement le projet de règlement avec quelques réserves : la durée d'inscription au catalogue resterait fixée à dix ans, et cinq ans pour les renouvellements, considérant qu'un délai de trente ans inciterait moins à l'innovation variétale et ralentirait le renouvellement variétal ; les possibilités d'établir des dérogations aux règles d'enregistrement des semences et de certification pour les opérateurs non professionnels seraient restreintes ; la VAT des variétés nouvelles candidates à l'inscription au catalogue ne serait pas définie directement au niveau européen mais national, les caractéristiques agricoles et climatiques de chaque État-membre, voire de chaque région au sein d'un même État-membre, devant être prises en compte ; les matériels forestiers de reproduction seraient exclus du champ du règlement ; enfin, une réserve plus générale porte sur l'ampleur du recours à des actes délégués pour compléter ou adapter le règlement de base, ce qui donne un pouvoir excessif à la Commission européenne.
Partageant globalement l'appréciation des auteurs de la proposition de résolution, je suggère toutefois de ne pas prendre position sur la question de la durée de validité des enregistrements au catalogue : une inscription pour une durée longue évite de multiplier les démarches administratives et les agriculteurs souhaitant utiliser une variété ancienne ne seront pas pénalisés par une disparition prématurée de celle-ci du catalogue. La proposition de résolution me paraît également trop sévère sur les dérogations au cadre général, justifiées pour les matériels de reproduction qui ne relèvent pas du cadre normé des semences certifiées. Les mélanges, les variétés dites population, les échanges de semences entre non professionnels à des fins de conservation de la biodiversité cultivée me semblent très utiles. Il faut organiser la coexistence d'une agriculture de masse, assez standardisée, et d'une agriculture plus rustique et plus diversifiée qui, d'ailleurs, ne concerne pas les mêmes territoires. Enfin, la proposition de résolution pourrait exiger que les tests sur les variétés végétales soient effectués dans le cadre d'un service public de l'enregistrement et de la certification, sans trop déléguer de tâches aux industriels eux-mêmes, faute de quoi les résultats des tests pourraient être suspectés de partialité. J'aurai donc des amendements sur ces points.
La seconde partie de la proposition de résolution concerne la propriété intellectuelle sur les semences. Les variétés végétales obtenues par les procédures de sélection classiques sont couvertes par le COV, dispositif original qui ne bloque pas l'arbre de progression technologique : un obtenteur peut utiliser tout le matériel protégé pour créer de nouvelles variétés, qu'il pourra à son tour protéger par un COV. L'article 53 de la convention sur le brevet européen comme l'article 4 de la directive de 1998 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques excluent de la brevetabilité les variétés végétales ou les races animales, ainsi que les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, c'est-à-dire les méthodes d'obtention des végétaux consistant en des phénomènes naturels, tels que le croisement par voie sexuée et la sélection. Sont également exclues de la brevetabilité les techniques modernes d'assistance à l'amélioration des plantes, comme l'utilisation de marqueurs moléculaires génétiques.
Mais cette exclusion de la brevetabilité est loin de couvrir l'ensemble du secteur végétal : les inventions biotechnologiques peuvent en faire l'objet, dès lors qu'elles répondent aux trois conditions générales du droit des brevets, nouveauté, activité inventive du demandeur et application industrielle. Sont ainsi brevetables les « inventions ayant pour objet un procédé microbiologique, ou d'autres procédés techniques, ou un produit obtenu par ces procédés », soit les plantes obtenues par transgénèse, mutagénèse ou fusion cellulaire, les gènes et séquences de gènes, même s'ils existent à l'état naturel, lorsqu'ils sont produits ou isolés à partir d'un procédé technique qui ne résulte pas directement d'un croisement classique.
Sont donc brevetables les inventions ne portant pas sur une espèce particulière de plante : l'OEB a ainsi pu délivrer un brevet concernant un type de brocoli spécialement adapté pour la facilité de la moisson, qui ne couvre pas une variété de brocoli mais une caractéristique technique susceptible de s'appliquer à toute une série de variétés végétales. Une autre affaire concerne la tomate. L'attribution des deux brevets est contestée et pose une question juridique de fond sur laquelle la grande chambre de recours de l'OEB devrait se prononcer à la mi-2014. Les plantes obtenues par des procédés non brevetables sont-elles susceptibles de bénéficier d'une protection par un brevet européen ? Dans l'attente de la réponse, l'OEB a suspendu l'instruction de toutes les demandes de brevets portant sur des plantes obtenues par un procédé essentiellement biologique.
Ce grignotage du brevet dans le secteur végétal suscite un émoi certain, qui explique cette seconde partie de la proposition de résolution européenne. Nous y rappelons notre attachement au COV, et souhaitons circonscrire davantage le brevet, comme l'avait fait le Parlement européen par une résolution en 2012. Nous tirons à notre tour le signal d'alarme. Le brevetage de gènes natifs constitue une réelle menace sur l'innovation variétale, les entreprises créant des variétés nouvelles par voie conventionnelle finissant par dépendre systématiquement de brevets et ne bénéficiant plus en pratique de l'exception du sélectionneur du système du COV. Il existe là un véritable risque de verrouillage de l'innovation variétale, qui conduirait à une concentration de l'industrie semencière. L'information des sélectionneurs sur les brevets déposés par d'autres est mal assurée, ils peuvent devenir des contrefacteurs sans même le savoir ! Nous souhaitons que cette information conditionne la recevabilité des actions en contrefaçon. Je propose d'être encore plus explicite et de demander clairement de circonscrire davantage la notion de contrefaçon en matière de propriété intellectuelle dans le secteur végétal, pour éviter les situations absurdes.
Enfin, la résolution suggère d'exclure explicitement la brevetabilité de plantes issues de précédés essentiellement biologiques ainsi que des gènes natifs. Je partage pleinement ce refus d'appropriation étendue sur le secteur végétal. Si des droits de propriété intellectuelle doivent être accordés afin d'encourager la recherche, le risque est grand, à l'inverse, de la décourager si l'on pousse le curseur de la protection trop loin. Je vous recommande donc d'adopter la proposition de résolution qui nous est soumise, assortie de quelques amendements.