La commission des affaires européennes a adopté le 10 décembre dernier ma proposition de résolution sur les biocarburants. Le débat sur les biocarburants a été relancé en 2012 lorsque la Commission européenne a proposé de modifier deux directives sur la question. Le Parlement européen a approuvé et amendé cette proposition le 11 septembre dernier mais les 28 ministres de l'énergie n'ont pas trouvé d'accord le 12 décembre. Il revient donc à la Grèce, qui préside le Conseil de l'Union européenne, de trouver un compromis. Grâce à la présente proposition de résolution, le Sénat contribuera au débat en incitant notre Gouvernement à faire valoir ses positions auprès des autres États membres.
La directive « Énergies renouvelables » d'avril 2009 fixe à chaque État membre un objectif de 10 % d'incorporation de carburants d'origine renouvelable dans les transports à l'horizon 2020. Les biocarburants doivent également respecter des critères de durabilité et entraîner dès 2017 une réduction d'au moins 50 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles. La directive « Qualité des carburants » d'octobre 1998 prévoit d'ici à 2020 une réduction d'au moins 6 % des émissions de gaz à effet de serre sur l'ensemble du cycle de vie par unité d'énergie produite à partir de combustibles fossiles. Cette réduction des émissions de gaz à effet de serre peut être obtenue grâce à l'utilisation de biocarburants ou de carburants de substitution, mais aussi par la réduction des opérations de brûlage à la torche et de dispersion des gaz dans l'atmosphère sur les sites de production.
La France a adopté une attitude volontariste dans la mise en oeuvre des objectifs européens, fixant pour 2010 un objectif d'incorporation des biocarburants de 7 % et prenant plusieurs mesures : exonération partielle de la taxe intérieure de consommation pour les biocarburants jusqu'à fin 2015 ; prélèvement supplémentaire de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les carburants contenant peu de biocarburants ; lancement en 2009 du supercarburant 95 E10, compatible avec la plupart des véhicules à essence, et de carburants destinés à des véhicules dédiés tels que le super éthanol E85 ou le gazole B30. Toutefois, les objectifs ne sont pas encore atteints : le taux d'incorporation était de 6,83 % en 2012 et n'a guère progressé depuis 2010.
Or les évolutions proposées par la Commission européenne remettent en question cette politique. La Commission a cherché à analyser l'impact du changement d'affectation des sols indirect sur les émissions de gaz à effet de serre. Ce paramètre, connu par le sigle CASI en français ou ILUC en anglais, permet d'évaluer le bilan environnemental des biocarburants : si la production de biocarburants sur des terres agricoles en Europe a pour effet la déforestation ou la destruction de prairies dans d'autres parties du monde pour compenser la perte de production agricole, des quantités considérables de CO2 stockées dans ces forêts et prairies risquent d'être libérées dans l'atmosphère.
La Commission a donc proposé que l'objectif d'incorporation de 10 % ne soit pas atteint uniquement avec des biocarburants de première génération, qui peuvent se substituer à des cultures alimentaires. Elle suggère aussi d'imposer une plus forte réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les nouvelles installations. Elle accorde une pondération supérieure, dans le calcul de la contribution aux objectifs d'incorporation, aux biocarburants à faibles émissions liées aux changements d'affectation des sols indirects. C'est le principe du double comptage pour certaines huiles usagées ou graisses animales, et même du quadruple comptage pour des biocarburants avancés tels que les algues ou certains déchets. Enfin elle oblige les États membres et les fournisseurs de carburants à notifier, pour les biocarburants, les émissions estimatives dues aux changements d'affectation des sols indirects.
Les débats ont porté tout particulièrement sur la limitation de la contribution des biocarburants conventionnels, ou de première génération, à la réalisation des objectifs pour 2020. La Commission a proposé de limiter cette part à 5 %, soit la moitié seulement de l'objectif global de 10 % d'incorporation des carburants d'origine renouvelable. Cette cible étant quasiment atteinte, il s'agit donc d'une stabilisation de la production. Le Parlement européen a relevé ce plafond à 6 %, tout en incluant un sous-objectif de 2,5 % pour les biocarburants avancés. Au sein du Conseil des ministres, la présidence lituanienne a proposé un seuil de 7 %, auquel se sont opposés certains pays. Les débats ont aussi porté sur le principe de notification des émissions liées au changement d'affectation des sols indirect, certains pays soulignant la fragilité des études scientifiques sur cette question. Il n'y a pas eu d'accord.
Les positions ne sont pas définitivement tranchées. Gardons-nous des simplifications excessives. Les biocarburants ne sont pas le moyen miracle pour assurer la transition énergétique dans les transports ; il ne s'agit pas non plus d'un mal absolu dont il faudrait sortir en urgence. Je crois en une approche intermédiaire prenant en compte les différents aspects de la politique des biocarburants : l'objectif de réduction des émissions de CO2, la dimension agricole, industrielle de cette politique, et son aspect stratégique.
Cette dimension stratégique n'est pas souvent évoquée : pourtant la production de carburants sur notre sol, par des technologies que nous maîtrisons, est un gage d'amélioration de notre indépendance énergétique dans le secteur crucial des transports. Un jour sans doute les véhicules électriques et les biocarburants avancés permettront d'atteindre cet objectif avec un meilleur bénéfice environnemental. D'ici-là les biocarburants de première génération sont incontournables, même si le taux d'incorporation ne peut guère dépasser 30 % pour le biodiesel. L'objectif de 10 % pour l'ensemble des carburants d'origine renouvelable, ou de 7 % pour les biocarburants de première génération, est un pas important.
La filière bioéthanol représente selon les professionnels 8 900 emplois directs ou induits et une valeur ajoutée de 815 millions d'euros sur 15 sites de production. Les cultures destinées aux biocarburants de première génération occupaient en 2009 une portion de la surface agricole utile de 5,5 % environ, en grande majorité du colza pour le biodiesel. La production de biocarburants occupe près des deux tiers de la surface cultivée en oléagineux mais seulement une faible partie en blé, maïs et betteraves. Les cultures destinées aux biocarburants produisent également des tourteaux de colza et des drèches de blé, qui vont à l'alimentation animale : on a réduit ainsi sensiblement les importations de tourteaux de soja américains.
En outre, la production d'éthanol constitue un débouché intéressant lorsque le prix du blé est déprimé : elle stabilise ainsi le revenu des céréaliers. Comme l'indique la Cour des comptes, les intérêts de ces derniers rejoignent ceux des sociétés de production d'éthanol, dont ils sont souvent actionnaires. La filière bioéthanol a beaucoup investi depuis 2005 dans des unités de production et elle vend aux autres pays européens, concurrençant l'éthanol américain. Les producteurs mettent aussi en avant leurs efforts importants, depuis dix ans, pour réduire la consommation d'eau et d'énergie dans les processus de fabrication.
Les industriels réclament surtout des règles stables et cohérentes. La mise au point de nouveaux modèles automobiles, en particulier, prend plusieurs années. La proposition de résolution rappelle donc que le développement des biocarburants a été motivé par la volonté de combattre le changement climatique, mais aussi de diminuer la dépendance énergétique, de redresser la balance des paiements et de créer des emplois dans le cadre d'une croissance durable. Elle souligne que les plafonds d'incorporation ne doivent pas compromettre les investissements déjà réalisés dans les biocarburants de première génération. Pour autant il est indéniable que les biocarburants de première génération n'ont pas tous les avantages qu'on leur prêtait à l'origine - c'est d'ailleurs pour cela que certains proposent de leur donner le nom d'« agro-carburant ».
La production de biocarburants devra demeurer secondaire, à l'échelle mondiale, par rapport à la production alimentaire. Les experts de la FAO estiment que, depuis 2004, les biocarburants ont joué un rôle significatif dans l'augmentation et la volatilité des prix des matières premières agricoles à court terme. De plus, ils introduisent une certaine corrélation entre les marchés agricoles et les marchés de l'énergie - corrélation plus ou moins stricte, cela reste à déterminer. La part de la surface agricole utile consacrée aux biocarburants est inférieure à 1 % dans le monde. Il ne serait pas acceptable qu'elle augmente au point de déclencher des crises alimentaires et toute politique des biocarburants devrait être coordonnée avec la politique alimentaire.
De même, la question des changements d'affectation des sols indirects doit être prise au sérieux. La part des biocarburants dans la déforestation et la destruction des prairies, sujet très controversé, fait l'objet d'études scientifiques. Une synthèse de l'Ademe, en avril 2012, fait état d'un consensus scientifique sur la réalité des changements d'affectation des sols, mais souligne la difficulté à mesurer son ampleur. La Commission européenne reconnaît les limites des modèles numériques qu'elle utilise. Le travail d'évaluation doit donc se poursuivre. Cela ne facilite pas la tâche du législateur. La proposition de résolution aborde donc les risques potentiels liés au changement d'affectation des sols indirect mais aussi les incertitudes sur l'ampleur du phénomène et ses effets.
Le carburant le plus respectueux de l'environnement, celui qui induit le moins de dépendance énergétique, c'est encore celui qu'on ne consomme pas ! L'amélioration technique des moteurs et des moyens de transport collectifs est une priorité. La recherche doit également se poursuivre sur les biocarburants avancés, de deuxième voire de troisième génération, qui n'ont pas d'impact sur la production alimentaire. Les projets ne manquent pas en France. Notre pays a une carte à jouer sur le plan industriel. Toutefois, ces filières n'en sont qu'au premier stade de leur développement et leur contribution en 2020 ne pourra être que partielle. La proposition de résolution propose donc de soutenir avec réalisme le sous-objectif consacré aux biocarburants avancés, ainsi que le mécanisme de comptage multiple.
Les débats au sein de notre commission des affaires européennes ont fait émerger un consensus autour du plafonnement à 7 % du taux d'incorporation des biocarburants de première génération. Les politiques environnementales comme les politiques agricoles ou industrielles se construisent dans la durée. Les incertitudes demeurent sur les effets de la production des biocarburants. Des changements de cap brutaux désorganiseraient la filière sans justification scientifique.
Il convient donc de combiner les différentes ressources dans un « bouquet » pour assurer la transition énergétique dans les transports : biocarburants de première génération, développement du véhicule électrique, amélioration des carburants avancés afin que ceux-ci représentent une alternative réaliste.