Intervention de Jean-Marc Pastor

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 18 décembre 2013 : 1ère réunion
Examen du rapport sur « l'hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? » présenté par mm. laurent kalinowski et jean-marc pastor

Photo de Jean-Marc PastorJean-Marc Pastor, sénateur, rapporteur :

Je remercie Laurent Kalinowski d'avoir montré, en présentant cette première partie de notre étude, que l'hydrogène est aujourd'hui un vecteur énergétique viable et durable, qu'il peut être produit sans émission directe de gaz carbonique, puis stocké, y compris dans les réservoirs des véhicules, transporté - bien sûr le moins possible étant donnée sa faible densité - et distribué.

Je vais à présent en venir à la deuxième partie de notre étude, en commençant par un rappel rapide sur le rôle que l'hydrogène pourrait jouer dans l'intégration des énergies renouvelables variables.

Comme l'ont démontré les précédents rapports de l'Office, le développement à grande échelle des énergies variables que sont l'éolien et le solaire impose de disposer de solutions de stockage massif de l'énergie, en complément d'autres solutions, tels les « réseaux intelligents » ou l'effacement. Néanmoins, seul ce premier est en mesure de compenser, sur la durée, des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables.

Associer moyens de stockage de l'énergie et énergies renouvelables variables permet de réduire de façon sensible l'impact de ces dernières sur le réseau électrique, donc les besoins d'adaptation de celui-ci. Ces moyens de stockage ont bien entendu un coût, mais celui-ci présente l'immense avantage d'être identifiable à l'avance. Force est de constater, sur l'exemple de l'Allemagne, qu'à l'inverse le déploiement d'énergies variables sans stockage associé conduit à découvrir a posteriori leurs effets sur le réseau et l'étendue des besoins de mise à niveau correspondants. En la matière, l'hydrogène permet de compléter les outils existants tels que les batteries électrochimiques ou les stations de pompages (STEP).

Par rapport à d'autres solutions, l'intérêt de l'hydrogène est double. D'une part, il n'impose aucune contrainte en termes de localisation géographique ou de dimensionnement. D'autre part, l'hydrogène n'est pas qu'un moyen de stocker l'électricité pour la restituer un peu plus tard. Son principal intérêt est de permettre également un usage direct de l'énergie stockée pour des applications diversifiées : comme combustible pour véhicules ou pour la cogénération, pour être injecté directement dans le réseau gazier dans des pourcentages variant entre 5 à 20 %, pour enrichir des biocarburants, pour créer des carburants de synthèse, pour purifier les hydrocarbures ou encore comme composant pour la chimie. Or, ces usages directs de l'hydrogène correspondent à des besoins en énergie bien plus importants que l'électricité. Celle-ci ne représente en effet que 24 % de notre consommation finale d'énergie, trois fois moins que les hydrocarbures importés. Pour ces raisons, nous pensons que l'hydrogène produit par électrolyse à partir d'électricité est un élément important pour la transition énergétique à venir. Il peut en effet contribuer à lever les deux écueils que sont la variabilité des nouvelles énergies et le problème de la substitution des hydrocarbures.

Après ce bref rappel sur le rôle significatif que pourrait jouer l'hydrogène dans la transition énergétique, je vais vous présenter nos recommandations qui visent à créer les conditions du développement d'une filière hydrogène nationale.

D'abord, je tiens à souligner que le potentiel scientifique et industriel de notre pays dans ce domaine nous semble incontestable. Nous avons eu l'occasion de le vérifier tout au long de notre étude, au travers de nos entretiens et de nos déplacements. C'est vrai en France, au niveau national et local, mais aussi à l'étranger. Cette filière est d'ores et déjà exportatrice et ne demande qu'à développer encore ses activités à l'étranger.

Nous avons identifié deux freins majeurs à l'innovation pour cette filière. Le premier frein concerne l'absence de position claire du Gouvernement sur le rôle qu'elle pourrait jouer dans l'avenir énergétique du pays. Cette position attentiste contraste de façon saisissante avec celle de ces deux grandes puissances industrielles que sont l'Allemagne et le Japon - même si je n'oublie pas la Corée -, qui ont toutes deux décidé d'engager les efforts nécessaires au développement d'une nouvelle filière industrielle dédiée à ce vecteur. Il est vrai que ces deux pays ont chacun de bonnes raisons pour considérer que le rôle de l'hydrogène sera important pour leur économie.

Le Japon, dépourvu de ressources énergétiques propres, voit dans l'hydrogène un vecteur permettant de mettre en concurrence toutes les sources d'énergie, donc de réduire sa dépendance vis-à-vis de tel ou tel pays producteur. Pour l'Allemagne, l'hydrogène constitue une solution pour permettre l'intégration, à moindre coût, d'énergies renouvelables qui mettent à mal son réseau électrique. Mais si l'on met de côté la part d'énergie consommée sous forme d'électricité, notre pays ne se trouve pas dans une situation très différente du Japon. Et si les énergies renouvelables doivent se développer fortement, nous pourrions nous trouver assez vite dans la situation de l'Allemagne.

C'est pourquoi, avec Laurent Kalinowski, nous avons formulé plusieurs recommandations portant sur la structuration de cette filière hydrogène.

Les premières concernent la mise en place d'un triptyque constitué de trois piliers : une prise de position claire du Gouvernement, l'élaboration d'un programme de développement de la filière, ainsi que la mise en place d'un coordonnateur.

D'abord, il nous semble nécessaire que le Gouvernement affirme clairement - dès que possible et au plus haut niveau - l'importance du vecteur énergétique hydrogène pour la transition énergétique, ainsi que du développement d'une filière industrielle nationale correspondante. Cette prise de position peut sembler superflue mais elle est réellement attendue par tous les acteurs que nous avons rencontrés, y compris récemment à l'occasion de l'audition publique du 30 octobre dernier. Il s'agit d'un signal fort qui facilitera, par effet de cascade, un certain nombre de prises de décision.

S'agissant du deuxième pilier, nous pensons que le Gouvernement doit rassembler les acteurs de la filière hydrogène autour d'un projet cohérent de développement à moyen terme, associé à un financement. Ce projet visera à doter notre pays, d'ici 5 à 10 ans, de solutions compétitives sur les principaux points de la chaîne de valeur allant de la production à l'utilisation de l'hydrogène-énergie.

Enfin, s'agissant du troisième pilier, il nous semble utile, pour assurer le suivi de ces actions que soit créé un Comité national d'orientation de la filière hydrogène. Placé sous l'égide du ministère du Redressement productif, ce comité sera une instance de concertation, d'orientation et de suivi. Il intégrera notamment des représentants de l'État, de l'Ancre, de l'Office parlementaire, des principaux acteurs industriels des PME du secteur mais aussi de représentants des territoires, afin d'assurer le suivi du plan de développement défini pour la filière. Une filiale administrative du Ministère gérera le programme et l'enveloppe financière sous l'autorité de ce comité.

Ce sont là les principales mesures que nous préconisons sur cet aspect. D'autres mesures plus ciblées visent à faciliter le développement de certaines applications énergétiques. Laurent Kalinowski en a mentionné deux qui visent à préserver l'avenir dans le secteur de l'automobile, j'y reviendrai.

Le deuxième frein important que nous avons identifié pour l'innovation dans le domaine de l'hydrogène énergie est d'ordre réglementaire.

Notre pays dispose d'une réglementation très complète - pour ne pas dire complexe - et très aboutie sur l'hydrogène. Une réglementation efficace constitue un atout pour le développement d'une filière industrielle car elle fournit un cadre qui diminue l'incertitude pour les industriels et permet de faciliter l'acceptabilité sociétale, en évitant des dérives qui peuvent être fatales pour une filière naissante. Mais cette réglementation est aussi difficile et longue à adapter aux innovations, et singulièrement aux nouvelles applications énergétiques de l'hydrogène. En Allemagne, l'hydrogène et les autres gaz énergétiques sont couverts par une réglementation commune, ce qui facilite l'adaptation à des applications diversifiées. Pour simplifier, pour plus d'adaptabilité et de clarté, une réglementation commune à tous les gaz énergétiques s'impose au niveau national.

L'ensemble des industriels que nous avons rencontrés nous ont fait part de l'obstacle que constituent ces freins réglementaires et les délais associés, directement pour le développement de projets en France, et indirectement pour l'exportation. Il est en effet difficile pour un industriel d'exporter alors qu'il n'a pas de référence à présenter dans son propre pays. Il est toujours possible de passer outre cette difficulté. Par exemple, la jeune entreprise McPhy Energy spécialisée dans le stockage solide de l'hydrogène a d'abord déployé ses produits à l'étranger, jusqu'au Japon, avant d'obtenir les autorisations nécessaires en France.

Nous nous sommes bien entendu interrogés, avec Laurent Kalinowski, sur les solutions à ce problème. Nous formulons deux recommandations principales à ce sujet.

La première concerne la création d'un groupe de travail pluraliste regroupant les experts de la direction générale de la Prévention des risques et de la direction générale de la sécurité civile et gestion des crises, de l'INERIS, de l'AFNOR, des industriels et d'au moins une association de défense de l'environnement. Ce groupe de travail chargé d'instruire les demandes d'autorisation transmises par les DREAL se réunira au moins une fois par mois.

La deuxième concerne l'instauration d'un délai maximum de trois mois pour la réponse initiale sur la faisabilité d'une nouvelle demande d'installation dans le domaine de l'hydrogène énergie et de 12 mois maximum pour l'instruction complète de ce type de dossier.

Ces deux mesures, si elles s'avèrent probantes pourraient, le cas échéant, être étendues à d'autres « filières émergeantes ». La période difficile que nous traversons impose des comportements différents avec plus de souplesse et de réactivité administrative.

Nous proposons également d'autres mesures plus ciblées qu'il serait sans doute un peu long de présenter en détail aujourd'hui, mais je veux rappeler les deux mesures techniques évoquées par mon collègue, relatives au développement des solutions de prolongation d'autonomie basées sur l'hydrogène pour les véhicules utilitaires et à la réutilisation directe de l'hydrogène dans le réseau gazier, avec le « Power to gas ».

Enfin, j'en viens à la question du rôle essentiel des territoires. Malgré les efforts technologiques réalisés l'hydrogène restera du fait des coûts de transports élevés, une ressource avant tout locale, permettant de valoriser au mieux des énergies renouvelables elles-mêmes, par nature décentralisées et adaptées aux caractéristiques géographiques et climatiques de chaque territoire.

Aussi nous considérons, au-delà du seul cas de l'hydrogène, que le développement de ces nouvelles énergies doit laisser une place plus importante à l'initiative locale, seule à même d'effectuer des choix adaptés aux particularités des territoires. Ainsi le partenariat public-privé est-il à encourager, pour enclencher des projets, faire vivre des filières locales intégrant production, stockage et utilisation, ceci en complément de démarches nationales avec des opérateurs industriels de dimension nationale et internationale et sans perturber le schéma français, national, de mutualisation de l'énergie.

Cette orientation est non seulement conforme à la nature des énergies renouvelables, mais aussi cohérente avec d'autres évolutions technologiques en cours. Ainsi les « réseaux intelligents » ouvrent-ils la perspective d'une gestion dynamique des ressources et de la consommation au niveau du territoire. Le territoire, au travers de PACTE locaux, régionaux, à étendre, permet d'assurer une gestion rationnelle d'énergie par essence décentralisée.

Sur la fiscalité, afin de laisser la filière hydrogène se développer, ce vecteur énergétique doit être exclu de toute fiscalité pendant cinq ans (ou la durée du plan).

Si nous avons limité nos propositions à la création d'une filière hydrogène nationale et à l'adaptation de la réglementation, c'est afin de pouvoir mieux suivre la prise en compte de ces orientations prioritaires. Suivant la pratique de l'Office, nous serons donc conduits à nous assurer dans les prochains mois, de leur prise en compte. Je vous remercie. Nous essayerons à présent de répondre à vos interrogations.

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