… et de sa main-d’œuvre, il est vrai rendue particulièrement vulnérable en raison de la crise et d’une faible protection des droits des travailleurs.
Les négociations en cours, forts du mandat donné à la commission par les États membres, doivent nous permettre de défendre nos intérêts offensifs, de valoriser les atouts de nos entreprises et de gagner de nouvelles positions outre-Atlantique.
Le troisième cycle de négociations qui vient de s’achever à Washington clôt la phase préliminaire des pourparlers avant l’entrée en phase de réelle négociation avec, dans un premier temps, l’échange d’offres tarifaires. Le débat d’aujourd’hui tombe donc à point nommé pour nous permettre de faire le point sur l’état d’avancement des négociations. Chacun est désormais normalement en mesure de connaître les positions défendues par l’autre.
Avant d’en venir aux positions de fond, à savoir nos intérêts offensifs, défensifs, les préférences collectives ou le mécanisme de règlement des différends, j’évoquerai un point problématique de la négociation en cours, lié aux spécificités institutionnelles de notre partenaire américain.
Les négociations en cours, leur incidence réelle sur nos échanges commerciaux futurs semblent, en effet, relever d’une équation à plusieurs inconnues. Si nous avons nos propres contraintes institutionnelles – approbation du futur accord de partenariat par le Conseil européen et par le Parlement européen ; ratification par chacun des vingt-huit États membres –, la situation aux États-Unis, en raison du caractère fédéral des institutions, est autrement plus complexe. Elle est de nature à impacter les retombées effectives du partenariat négocié, d’autant que les négociateurs américains ne disposent pas d’un mandat en bonne et due forme, le Congrès n’ayant pas renouvelé depuis 2007 le Trade Promotion Authority Act, le fameux TPAA. En cas de désaccord, rien n’empêcherait donc le Congrès américain de remettre en cause le travail des négociateurs. Plus grave, quand bien même Congrès et Président auraient validé le futur partenariat transatlantique, les États fédérés comme certaines administrations américaines indépendantes pourraient très bien ne pas s’estimer liés par l’accord : treize États n’ont-ils pas fait valoir par le passé leur droit constitutionnel à ne pas appliquer les règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, en matière d’ouverture de leur marché ?
Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions concernant cette difficulté institutionnelle et nous indiquer, notamment, si les pourparlers engagés ont permis d’obtenir des engagements de la part de notre partenaire américain au sujet de l’implication de l’échelon « sous-fédéral » dans le champ d’application du futur accord ?
J’en viens aux positions défendues par le Gouvernement.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, les entreprises françaises disposent de nombreux atouts à même de leur permettre de conquérir de nouveaux marchés outre-Atlantique. Les positions défendues par la France ne sont pas exclusives, bien au contraire, des intérêts que peuvent défendre par ailleurs nos partenaires européens.
Vous aviez évoqué, madame la ministre, l’intérêt d’une coopération renforcée avec nos amis allemands et polonais. Avez-vous pu rencontrer nos partenaires à ce sujet ? Une telle coopération serait de tout évidence bénéfique pour la défense de positions fortes, notamment, mais pas seulement, dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
Notre agriculture et notre industrie agroalimentaire attendent bien évidemment beaucoup de l’abaissement des barrières tarifaires américaines particulièrement élevées dans certains cas. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser les intérêts offensifs et défensifs que vous défendez en faveur, notamment, de ce secteur éminemment important pour notre pays ? La France a-t-elle d’ores et déjà défini et fait connaître la liste des secteurs pour lesquels elle entendait revendiquer l’application d’une clause de sauvegarde ?
Au-delà de la levée des barrières tarifaires, notre pays a également, me semble-t-il, tout à gagner à une levée des barrières non tarifaires, ainsi qu’à une convergence réglementaire. L’enjeu est particulièrement important. La question de la convergence réglementaire concerne, en effet, les fameuses « préférences collectives » que j’évoquais au début de mon intervention. Il nous faut éviter un nivellement par le bas des règles européennes existantes en matière environnementale et sanitaire, mais également des droits des consommateurs. La reconnaissance mutuelle, la réciprocité ne doivent pas conduire à affaiblir notre droit ; il y va de l’acceptabilité sociale du partenariat. Il est essentiel d’obtenir un accord, sinon un engagement en ce sens.
Il n’est cependant pas interdit de penser que le modèle européen, en particulier le modèle social, présente un attrait grandissant pour les Américains. La couverture universelle en matière de santé, obtenue par l’administration Obama, est un indice de cette évolution.
Où en sommes-nous, également, madame la ministre, des négociations sur l’ouverture des marchés publics ? J’ai indiqué tout à l’heure qu’une telle ouverture présentait un intérêt tout particulier pour nos entreprises, très compétitives dans de nombreux secteurs, qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, de l’eau, des services aux collectivités ou du traitement des déchets.
Ma dernière question, enfin, concerne le mécanisme de règlement des différends États-investisseurs. Bien que l’éventualité d’une telle procédure ait été strictement encadrée, à la demande de la France, la possibilité de l’inclusion d’une procédure de règlement des différends entre États et entreprises ou investisseurs figure toujours dans le mandat de négociation de la Commission européenne.
Nous aurions souhaité que cette possibilité du recours à l’arbitrage soit supprimée, comme le Sénat l’avait indiqué dans la résolution qu’il a adoptée sur ce point. Le fonctionnement des mécanismes déjà existants dans les accords de libre-échange ou les accords bilatéraux le montre assez, un tel dispositif est de nature à remettre en cause la capacité des États à légiférer, ainsi que les réglementations nationales et européennes en vigueur. Il aurait, en outre, un coût inacceptable pour les contribuables. Nous y restons opposés, même s’il est assorti de garanties.
Un premier tour de table sur cette question devait avoir lieu. Madame la ministre, avez-vous des informations plus précises sur l’état des discussions ?
Pour conclure, je dirai que l’enjeu d’un tel accord est, à l’évidence, de parvenir à un compromis win-win, ou, en français, gagnant-gagnant. Or, les discussions préliminaires le prouvent, il n’est pas sûr que les deux parties partagent véritablement les mêmes objectifs, ni que tous les pays européens en profitent réellement. Nous devons être au clair sur les objectifs de cet accord. La Commission européenne doit négocier dans cette optique : savoir ce que l’on cherche à obtenir, et non pas seulement ce que l’on serait prêt à concéder. La Commission européenne ne doit pas tomber dans le piège du principe de négociation initial posé par les Américains, selon lequel « tout est inclus, sauf si ce qui est expressément exclu ».
Quels avantages pourrait-on tirer de cet accord ? Cette question doit être posée ; elle permettrait à nos concitoyens de mieux comprendre les enjeux d’un tel partenariat. L’idée novatrice de ce dernier pourrait être – cela a été largement évoqué – l’établissement de normes mondiales pour des domaines nouveaux, encore peu réglementés, et en faire un accord modèle pour les relations commerciales internationales. Cet accord pourrait être le vecteur de progrès considérables dans les domaines de la propriété intellectuelle, mais aussi des normes sociales et environnementales.
Nous souhaitons entendre vos réponses à toutes ces questions, madame la ministre. Soyez assurée, en tous cas, de notre soutien dans vos négociations, …