Vous devez pouvoir vous appuyer sur la Délégation générale à l’armement pour la préservation de nos intérêts et le maintien de la base industrielle et technologique de défense européenne. Nous savons – l’affaire des avions ravitailleurs dont a été victime EADS le montre assez – combien les États-Unis jouent en la matière un jeu tout à fait protectionniste, qui va bien au-delà du Buy American Act : c’est un régime renforcé d’application de la préférence nationale. Ce qui vaut aux États-Unis devrait valoir pour l’Europe ! Et qui défendra cette cause, si ce n’est la France ? Nous savons trop bien ce qui se passe en Europe en la matière ; nous savons ce que veut dire la libéralisation des marchés de défense. Il faut donc garder un œil sur ces sujets, madame la ministre.
J’ai peu de temps pour vous signaler, mes chers collègues, que les aides des États et les subventions agricoles de la PAC seront également dans le collimateur de la négociation. Ce sont nos préférences collectives qui sont en cause. Je pense notamment aux OGM, aux viandes traitées aux hormones de croissance, mais aussi aux appellations d’origine contrôlée. D’autres secteurs méritent une attention vigilante, comme l’industrie, et tout ce qui l’entoure, notamment.
Dans quelques secteurs, néanmoins, cet accord pourrait avoir des effets positifs, comme la prescription de normes à l’échelle mondiale. §
J’attire également votre attention sur l’automobile, madame la ministre. La réglementation de l’ONU en la matière épargne jusqu’à présent les États-Unis. Il me semble, en outre, que nous devons veiller à préserver les dispositifs existants en faveur de la construction automobile.
Un point me préoccupe particulièrement : la réintroduction de l’Accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI. Ne nous leurrons pas, il s’agit de permettre aux firmes multinationales de contester devant les tribunaux, en se prévalant du traité, ce qui restera de la réglementation des États. Par une sorte d’effet de cliquet, le traité rendrait ainsi impossible tout retour en arrière. Quelles clauses de sauvegarde entendez-vous maintenir en ce domaine, madame la ministre ?
Je terminerai mon propos en abordant une question fondamentale, qui se situe à l’arrière-plan de la négociation : la nécessaire remise en ordre du système monétaire international.
Je propose que le gouvernement français publie un mémorandum affirmant le primat de la question monétaire sur la négociation commerciale tarifaire et non tarifaire, ou du moins un traitement simultané des deux questions. Un serpent monétaire transatlantique permettrait une remise en ordre en douceur des parités pour tenir compte du niveau réel de compétitivité et favoriser ainsi un redémarrage de la croissance, qui bénéficierait aux deux rives de l’Atlantique.
Madame la ministre, il n’est pas possible de parler de libre-échange quand les parités monétaires peuvent varier du simple au double dans le cours d’une même décennie, entre 2000 et 2010 précisément, pendant laquelle la valeur d’un euro est passée de 82 centimes de dollar à 1, 6 dollar !
Peut-être faut-il même voir plus large, et se situer dans la perspective d’une réforme du système monétaire international tout entier. Nous allons vers l’internationalisation du yuan. Il faudra donc créer un système monétaire où les principales devises mondiales pourraient fluctuer de manière ordonnée, dans des fourchettes périodiquement renégociées.
La négociation d’un accord de libre-échange transatlantique pose ainsi le problème de l’avenir de la mondialisation. Il ne faut pas l’aborder par le petit bout de la lorgnette. La France apporterait une contribution conforme à son génie si elle proposait d’introduire dans la négociation un paramètre ainsi essentiel que celui de la monnaie.
L’enjeu de cette négociation est trop important, madame la ministre, pour qu’on ne vous donne pas tous les moyens de la piloter dans l’intérêt de la France aussi bien que de l’Union européenne. Celle-ci a besoin d’une France vigilante pour ne pas passer sous les roues du char !