Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue à mon tour l’initiative du groupe socialiste. Le Sénat lance le débat au Parlement sur les négociations transatlantiques, dans la continuité de la proposition de résolution qu’il avait adoptée en juin dernier. Je tiens à ce débat car, comme l’a souligné Jean-Yves Leconte, il ne s’agit pas d’un accord comme les autres – on l’a d’ailleurs appelé « partenariat » – et il recouvre un enjeu démocratique : il doit donc être négocié sous l’œil vigilant de la démocratie.
Je vais m’efforcer de répondre aux différents orateurs, qui ont, chacun à leur manière, posé les termes essentiels du débat.
Les interprétations sont diverses, mais je voudrais dire d’emblée qu’il ne faut pas aborder cette négociation avec ce sentiment d’infériorité qui se fait souvent jour du côté européen. Alain Richard l’a dit, nous sommes la première puissance commerciale mondiale, et nous discutons avec un partenaire qui n’a pas plus de poids économique que nous.
Certes, Jean-Yves Leconte l’a rappelé, il peut exister des écarts entre les deux rives de l’Atlantique, notamment en termes de compétitivité. Les États-Unis, depuis la survenue de la crise, ont largement pratiqué une politique de bas salaires. Ce n’est pas le choix que nous faisons en Europe ; nous ne voulons pas emprunter cette voie. Les États-Unis ont également obtenu de nombreux gains de compétitivité dans le domaine énergétique, mais nous nous engageons dans cette bataille d’une autre manière, en favorisant l’innovation au travers de la transition énergétique. Il s’agit, il est vrai, d’une politique de plus long terme, mais les différences de compétitivité que l’on peut constater aujourd’hui ne nous empêchent pas de discuter d’égal à égal avec les Américains.
M. le président de la commission des affaires économiques a mis l’accent sur l’ampleur exceptionnelle et l’enjeu économique majeur de cette négociation. Mais il y va aussi du partage de certaines valeurs et de leur traduction dans les normes, en particulier sociales et environnementales.
Confiance et vigilance seront les mots clés de mon intervention.
Nous devons d’abord avoir confiance en nous-mêmes, Européens, mais aussi en nos négociateurs.
À ce sujet, Michel Billout a demandé si nous étions suffisamment armés, du côté européen, face aux Américains et à leurs lobbyistes. Des lobbies, nous n’en manquons pas non plus en Europe ; ils sont peut-être moins voyants, mais ils n’en sont pas moins actifs ! Cela étant, j’ai moi-même soulevé cette question des moyens auprès de la Commission européenne : cette négociation mobilise toutes les directions générales, notamment celles du commerce, de l’agriculture et du développement rural, des entreprises et de l’industrie, du marché intérieur et des services. En matière de services financiers, bancaires et assurantiels, par exemple, le commissaire Barnier est très actif dans cette négociation. J’ajoute que quatre-vingts négociateurs européens ont participé au troisième cycle de négociations, au mois de décembre dernier.
Certes, ces moyens techniques et humains pourraient encore être renforcés, mais je crois aussi beaucoup en l’engagement du Parlement européen, qui a de nouveaux pouvoirs en matière commerciale en vertu du traité de Lisbonne, et des parlements nationaux. À cet égard, je veux souligner que la mobilisation sur la négociation de ce traité est beaucoup plus forte en France que dans les autres pays européens.
Nous devons avoir confiance en nos partenaires européens, au sein desquels il importe de trouver des alliés. C’est une question de méthode ; ce n’est pas toujours facile, mais on peut y parvenir en étant opiniâtres.
Nous devons avoir confiance en l’Union européenne, qui est bien sûr notre horizon commun, mais aussi confiance en la capacité de la France à prendre toute sa place dans les échanges mondiaux. Le Président de la République l’a rappelé avant-hier en présentant ses vœux aux corps constitués : « La France doit être toujours un pays en tête dans la mondialisation […] et doit aussi parfois, sans arrogance, pouvoir également montrer l’exemple. » C’est une bonne définition, qui me va droit au cœur, du rôle qui nous incombe dans cette négociation !
Je voudrais insister sur le fait que les États-Unis et l’Union européenne sont déjà partenaires en matière de commerce et d’investissements, comme l'a rappelé Jean-Pierre Chevènement. La zone euro présente ainsi un excédent de 74 milliards d’euros à l’égard des États-Unis.
Par ailleurs, on ne le souligne jamais assez, la France est la première destination des investissements américains en Europe pour les projets industriels. Les États-Unis sont le premier investisseur étranger en France, pour un montant de 88 milliards d’euros, à l’origine de 450 000 emplois. Par conséquent, nous sommes déjà des partenaires, et nous Français avons un intérêt objectif à renforcer ce partenariat.
Il est vrai que nous n’avons pas la même monnaie et que la volatilité des taux de change est un problème pour nos entreprises. Il faut tout faire pour mettre en place un système monétaire mondial ; ce sujet est débattu dans les enceintes internationales, notamment au sein du G 20.
Imaginons un instant quelles auraient été les variations des taux de change en Europe au cours des dernières années sans l’euro… Ne l’oublions jamais, l’euro nous assure la stabilité des taux de change pour près de 50 % de nos exportations. Mais surtout, ne nous trompons pas de diagnostic : les variations de taux de change ne sont pas la cause des pertes de parts de marchés de la France. La solution réside dans les gains de compétitivité, dans l’industrie notamment.
Pour faire écho aux propos d’Alain Richard, je dirai qu’il faut aller partout où se trouvent la croissance et l’innovation. L’Union européenne a ainsi conclu un accord avec la Corée du Sud, les discussions avec le Canada arrivent à leur terme et nous sommes en train de négocier un accord de libre-échange avec le Japon : ces trois grands pays sont, comme les États-Unis, des terres d’innovation. C’est aussi le cas de la France, ne l’oublions jamais, notamment dans le secteur du numérique ; j’y reviendrai. Évidemment, la conclusion de tels partenariats ne doit pas se faire au détriment de nos valeurs et de nos acquis normatifs.
Je remercie M. Bizet et Mme Bourzai d’avoir resitué le sujet dans le débat entre bilatéralisme et multilatéralisme. L’accord conclu à Bali lors de la conférence ministérielle de l’OMC nous permet d’espérer une relance du multilatéralisme. Vous avez indiqué, monsieur Bizet, avoir un faible pour le multilatéralisme : je crois que ce sentiment est largement partagé dans notre pays – y compris par moi-même –, car le multilatéralisme protège tout de même mieux le faible. Je vais maintenant m’employer à promouvoir la relance du multilatéralisme au sein du G 20, présidé cette année par l’Australie, qui souhaite introduire un volet commercial dans les discussions au sein de cette instance. Je me suis du reste engagée auprès de mon homologue australien, à Bali, à formuler des propositions.
Comme vous l’avez fort bien dit, monsieur Richard, ce n’est pas en contournant l’espace transatlantique que nous nous renforcerons. Nous devons aborder la négociation avec confiance, tout en restant, bien sûr, très vigilants.
Concernant la Chine, monsieur Chevènement, j’ai toujours dit publiquement que les négociations transatlantiques ne sauraient avoir pour but d’isoler ce pays, qui est l’un de nos grands partenaires commerciaux.