Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 9 janvier 2014 à 10h00
Débat sur les négociations commerciales transatlantiques

Nicole Bricq, ministre :

Mme Bourzai a aussi parlé de l’élevage. Je fais mien l’engagement très clair pris par le Président de la République, lors du salon de l’élevage de Cournon-d’Auvergne, que l’agriculture ne serait pas la variable d’ajustement de la négociation.

La vigilance sera aussi de mise dans le domaine du numérique. M. Gattolin, Mme Goulet et M. Bizet l’ont souligné, il s’agit d’un domaine extrêmement important, même si l’on en a moins parlé que de l’exception culturelle au sens « classique » de l’expression.

Nous avons en face de nous des géants, ceux qui sont rassemblés derrière l’acronyme GANA : Google, Apple, Netflix et Amazon. Je l’ai dit très tôt : le numérique ne peut être le butin de guerre de la négociation. Parce qu’elle compte dans ce domaine de nombreuses start-up et PME extrêmement innovantes, la France porte, plus que d’autres, ce message en Europe. Notre pays peut également s’appuyer sur le Conseil national du numérique, un organisme unique en son genre à l’échelon européen, qui me remettra très bientôt ses propositions, défensives et offensives. La France a donc un réel rôle à jouer en la matière.

Mme Goulet est allée plus loin en évoquant la protection des données personnelles. Nous devons rassurer les citoyens – c’est aussi notre rôle et celui de l’Union européenne – sur cette question.

Dans le cadre de l’élaboration des accords de libre-échange, l’Europe ne négocie pas sur la protection des données personnelles. Toutefois, il faut appuyer résolument la proposition présentée par Mme Reding, au nom de la Commission européenne, de renforcer le dispositif de protection dont nous disposons déjà, le safe harbor : il prévoit que les données transmises par les consommateurs aux fournisseurs de services internet ne peuvent pas être revendues sans leur autorisation expresse et que le transfert de données vers un pays tiers ne peut avoir lieu que si ce dernier assure un niveau de protection adéquat de ces données.

Mme Reding, dont nous avons tous appris à connaître l’énergie, entend donc renforcer cette protection. Nous devons appuyer fermement le projet de la Commission, dont la France souhaite l’adoption rapide. Le Parlement européen sera saisi de ce sujet le 11 mars prochain.

Le mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs devra faire l’objet d’une vigilance particulière de notre part. Pour l’instant, son inscription dans le mandat est assortie d’une condition suspensive. S’il devait finalement être inclus dans l’accord, la Commission européenne serait tenue de revenir vers les États membres, qui devraient alors approuver cette évolution à l’unanimité. Telle est la règle.

Au nom de la France, je me suis fermement opposée à la mise en place d’un mécanisme qui remettrait en cause la souveraineté des peuples à légiférer, par le biais soit de directives ou de règlements européens, soit des législations nationales des États membres. Nous avons des alliés sur ce sujet important, auquel je sais les Allemands très attentifs : je rencontrerai très prochainement mon nouvel homologue d’outre-Rhin, notamment pour aborder avec lui la question.

La vigilance doit aussi prévaloir en ce qui concerne les services publics. L’Union européenne a inscrit dans le mandat donné à la Commission européenne la préservation du bon fonctionnement des services publics. Nous veillerons au respect de ce principe.

Il faudra faire preuve de vigilance en matière de protection de l’environnement, des travailleurs et des consommateurs. L’acquis réglementaire des États membres ne saurait être remis en cause. S’agissant de nos préférences collectives, je le rappelle, l’Union européenne se réserve la possibilité de prendre des mesures pour protéger la santé et la vie des personnes, des animaux et des végétaux. Le mandat est clair.

La question de la responsabilité sociale et environnementale a été évoquée. Avec certains partenaires –nous ne sommes pas isolés en Europe, même s’il est parfois difficile de trouver des alliés –, nous voulons essayer d’établir une référence mondiale dans ce domaine, qui vaille tant pour l’OCDE et les pays développés que pour les pays émergents ou pré-émergents. Il s’agit là d’un véritable enjeu. Lors de mon déplacement aux États-Unis, au printemps dernier, j’ai pu constater à quel point les ONG environnementales ou les syndicats de travailleurs plaçaient en nous beaucoup d’espoirs pour faire évoluer les normes américaines, qui ne sont pas du tout du même niveau que les nôtres.

M. Daniel Raoul m’a tout à fait légitimement interrogée sur l’état d’avancement des négociations.

Les trois rounds de négociations préliminaires sont achevés. Nous entrons à présent dans le vif du sujet, sans que nos interlocuteurs américains se soient beaucoup dévoilés à ce stade : pour l’instant, c’est plutôt wait and see.

Toutefois, de premiers points d’achoppement ont d’ores et déjà été identifiés.

Le dialogue sur la convergence réglementaire a laissé apparaître des divergences de vues très fortes entre les États-Unis et l’Europe, chacun affirmant le bien-fondé de sa position.

Pour l’heure, les discussions sur les services n’ont qu’un caractère général. L’Union européenne attend des éclaircissements sur les contradictions entre les engagements fédéraux de libéralisation et les législations des États fédérés. Les Américains s’opposent à l’inclusion des services financiers, ce qui était prévisible. L’Union européenne propose que l’importance de la régulation du secteur des services financiers soit reconnue et qu’il y ait un engagement à appliquer les standards agréés au niveau international.

M. Michael Froman, le négociateur américain, n’est guère disert sur la question des autorités de régulation. Aux États-Unis, ces autorités sont très nombreuses et indépendantes. J’ignore quelle est la capacité de persuasion de l’État fédéral à leur égard, d’autant que toutes ne sont pas fédérales…

En outre, les Américains temporisent par rapport aux demandes européennes en matière d’ouverture des marchés publics, ce qui n’est pas surprenant, eu égard au Buy American Act.

Néanmoins, le calendrier se précise. Les premiers échanges sur le rythme de baisse des droits de douane devraient avoir lieu en février. Surtout, une réunion très importante, au niveau politique cette fois, se tiendra au cours de la troisième semaine du même mois, entre le commissaire européen Karel De Gucht et le négociateur américain. Il s’agira d’une étape importante. Nous devrons alors nous revoir, comme je l’ai déjà indiqué à l’Assemblée nationale.

À mes yeux, il faut mener la négociation dans la plus grande transparence possible, sachant que l’on ne peut tout de même pas tout mettre sur la table.

Je partage les propos de M. Richard sur la nécessité de la cohérence. Je garde en effet un très mauvais souvenir du conseil informel de Dublin. La présidence irlandaise avait invité les négociateurs américains, et il était facile de comprendre, en écoutant les conversations dans les couloirs, que les Européens n’étaient pas d'accord sur grand-chose…

(Sourires.) Cela étant, nous ne pouvons pas emprunter un chemin solitaire. Pour atteindre notre but ou, à tout le moins, nous en approcher le plus possible, nous avons besoin, certes, de transparence, mais également d’alliés. Sur la réciprocité avec les pays tiers, je puis vous dire que ce n’est pas évident ; il a été rappelé lors de deux Conseils européens qu’il fallait avancer sur cette question. Le règlement sera adopté ce mois-ci, je l’espère, par le Parlement européen, avec un rapporteur allemand. Ensuite, les États seront au pied du mur : il leur appartiendra de se déterminer. Le concept de réciprocité n’est pas nécessairement cher à tous nos partenaires, en particulier au principal d’entre eux… On nous accuse de protectionnisme, mais il ne faut pas être naïf : les États-Unis, bien qu’ils se fassent le champion du libre-échange, sont tout de même très protectionnistes !

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