Intervention de Manuel Valls

Réunion du 15 janvier 2014 à 14h30
Interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et le mandat de représentant au parlement européen — Adoption en nouvelle lecture d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission modifiés

Manuel Valls, ministre :

Merci, monsieur Bas !

Une seconde fois, l’occasion m’est donnée de constater devant vous cette évidence : nos concitoyens sont profondément attachés à l’engagement du Président de la République de mettre fin au cumul entre les fonctions exécutives locales et le mandat de parlementaire, de tous les parlementaires, députés comme sénateurs.

Les Français, je le crois, sont attachés à ce qui constitue une avancée pour nos institutions. Ils sont attachés à ce renforcement de notre démocratie, qui est aussi, n’en doutons pas, un renforcement et de la place et du rôle de ses élus.

À ce souhait, l’Assemblée nationale a déjà répondu positivement à deux reprises, et ce à une majorité très large. L’évidence est donc en marche. Sa concrétisation est toute proche.

Face à l’évidence, deux attitudes sont possibles : l’accepter ou l’ignorer. Et l’ignorer, c’est bien sûr un risque, car vous devez savoir, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’évidence, lorsqu’elle a une telle force, finit par s’imposer.

La force de cette évidence, que je veux détailler, ce sont d’abord les réalités nouvelles de la fonction d’élu, aussi bien pour les parlementaires que pour celles et ceux qui sont à la tête d’exécutifs locaux.

Les mandats de maire, adjoint au maire, président ou vice-président d’une collectivité territoriale sont devenus plus passionnants et exigeants avec les lois de décentralisation successives. Il s’agit de gérer des enjeux importants, vous le savez, qui font le quotidien d’une collectivité : équipements publics, infrastructures, développement économique, rayonnement culturel, attractivité d’un territoire, solidarité ou encore tranquillité publique. Tout cela demande bien sûr du temps et de l’engagement. Tout cela demande d’être au contact permanent des habitants et en prise directe avec leurs attentes, leurs aspirations, afin d’y répondre efficacement.

Je connais, pour les avoir assumées, le degré d’implication que demandent les responsabilités locales. Par ailleurs, lors de mes déplacements dans nos territoires, comme la semaine dernière dans les départements bretons, je rencontre des élus mobilisés ayant toutes et tous une volonté affirmée de servir au mieux la collectivité dont ils ont la confiance.

Ce lien de confiance, fondement même de notre fonctionnement démocratique, il faut toujours veiller à le renforcer, à l’approfondir. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici même, mais je veux le répéter de nouveau devant vous : ne feignons pas d’ignorer ce sentiment de défiance qui, de manière insidieuse, agit au cœur de notre société, vient en saper les repères, en contester les règles et les fondements.

Voilà deux jours, le CEVIPOF a publié son « baromètre de la confiance politique ». Ses enseignements ne peuvent que nous inciter à agir. Trop de nos concitoyens pensent en effet que notre démocratie ne fonctionne pas bien. Je veux en particulier attirer votre attention sur le risque de défiance qui pèse sur le Parlement. Je n’accepte pas les caricatures que l’on en fait et vous savez mieux que moi les faux procès que l’on peut instruire à l’encontre du Sénat. Mais j’invite aussi chacun à être à l’écoute des aspirations de notre époque.

La politique, que beaucoup voudraient réduire à un jeu politicien, a une importance vitale, ne l’oublions pas ! Nous tous connaissons cette petite musique qui se fait entendre et qui affirme que, finalement, la politique ne sert à rien. Les taux d’abstention aux différentes élections en sont l’illustration inquiétante. Or c’est la politique qui donne du sens – une signification et une direction – à l’action des hommes. C’est elle qui organise, qui met en mouvement. Qu’elle soit forte, et les espoirs peuvent naître et grandir. Qu’elle soit affaiblie, en revanche, et les doutes, la désunion, les populismes, les extrémismes ne tardent pas à prospérer. En tant que démocrates, en tant que républicains, nous ne pouvons l’accepter.

Nous avons tous une responsabilité, au-delà des sensibilités politiques, et plus encore dans cette période de crise, qui est aussi une crise de confiance, d’identité, pour que notre démocratie ne perde jamais de son éclat, pour que son utilité ne soit en aucune manière remise en cause. Pour cela, elle doit être lisible, compréhensible, proche de nos concitoyens.

Les élus locaux ont une lourde charge, une responsabilité immense. Je refuse, comme vous, que l’on dénigre, que l’on minimise leur rôle. De même, je refuse les attaques qui visent l’Assemblée nationale ou le Sénat qui sont le cœur, les bastions de notre démocratie.

L’évidence que j’évoquais tient aussi au fait que le rôle des parlementaires a évolué et s’est complexifié. Faire la loi, contrôler l’action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques sont des missions essentielles pour notre démocratie. Ces missions, plus encore depuis la réforme constitutionnelle de 2008, impliquent investissement, rigueur et connaissance approfondie des enjeux. Assumer un mandat national réclame un investissement à plein temps dont le rythme – au fond, vous le savez bien ! – est incompatible avec l’exercice de responsabilités au sein d’un exécutif local.

Ce projet de loi est une évidence pour nos concitoyens. Il est désormais une évidence pour une large majorité des députés, plus de trois cents. Il sera bientôt une évidence pour tous les élus, car il renforcera leur lien avec les citoyens – compte tenu des nouvelles étapes annoncées hier par le Président de la République en matière de décentralisation, il faut bien l’avoir en tête.

Les Français savent qu’ils ont besoin de leurs élus, mais ils savent aussi parfaitement ce qu’ils attendent d’eux : de la présence, de l’écoute, de la capacité de décision.

Ce projet de loi est une évidence pour notre démocratie et il doit donc s’appliquer à tous les élus, sans exception.

Votre assemblée a déjà adopté le principe de non-cumul du mandat de député et de député européen avec un mandat exécutif local à deux reprises : en première lecture, puis à nouveau lors de l’examen en commission des lois, préalable à notre discussion d’aujourd’hui. Aucun des amendements déposés en vue de ce débat ne propose de revenir sur ce principe. Dès lors, il vous appartient de l’étendre également aux sénateurs : voilà le cœur du débat, et je respecte la diversité des points de vue.

Ce principe, parce qu’il répond à une aspiration démocratique, doit s’appliquer sans distinction aux deux chambres, à l’ensemble des parlementaires. En optant par deux fois pour un statut particulier pour ses membres, le Sénat a voulu ignorer ou feindre d’ignorer la force de l’évidence. Ce faisant, je crois qu’il s’affaiblit aux yeux de l’opinion, mais aussi au sein de nos institutions.

J’ai évoqué la défiance de beaucoup envers la politique ; j’ai évoqué l’antiparlementarisme qui, s’il n’est pas nouveau, gagne malheureusement du terrain, certains allant jusqu’à réclamer la suppression de votre assemblée. Alors, ne leur fournissez pas un argument pour porter plus avant leur critique !

Si les sénateurs ne peuvent s’exclure des règles applicables aux autres parlementaires, c’est qu’ils sont, justement, des parlementaires à part entière, c’est qu’ils appartiennent à une chambre à part entière. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire mon attachement aux institutions de la Ve République et au bicamérisme. Cet attachement me conduit, une nouvelle fois, à m’opposer à l’illusion d’un Sénat à part, qui s’exonérerait des mouvements de fond de la société.

Les avocats ardents d’un statut différencié s’appuient, eux aussi, sur une évidence – oui, le Sénat représente les collectivités territoriales ; oui, c’est la particularité de cette assemblée ! –, mais ils en tirent de mauvaises conclusions. Vous me pardonnerez de le dire aussi directement.

Lors du débat en première lecture, j’ai pu entendre diverses exégèses de l’article 24 de la Constitution. Ces interprétations ne doivent pas nous égarer. La lettre du texte et la jurisprudence du Conseil constitutionnel sont très claires : si le Sénat représente les collectivités territoriales, c’est parce qu’il est élu par un collège composé « essentiellement » d’élus locaux. Il n’est dit nulle part que cette représentativité découle de l’exercice d’un mandat ou d’une fonction quelconque, parallèlement au mandat parlementaire. Représenter les collectivités, ce n’est pas nécessairement en diriger une !

Croire le contraire est dangereux, et dangereux pour le Sénat lui-même. Un statut différencié reviendrait, en effet, à créer une brèche dans notre modèle de bicamérisme équilibré à la française. À terme, nous risquerions de remettre en cause la place même du Sénat au sein de nos institutions. En effet, l’originalité de notre modèle tient bien à ce que la Haute Assemblée exerce des prérogatives législatives très proches de celles de l’Assemblée nationale. Les sénateurs sont élus par les élus locaux ; ils ne représentent pas directement telle ou telle collectivité.

Si ce choix a été fait, c’est parce que le Sénat est la seconde chambre d’une République décentralisée – qui vous est chère, monsieur le président ! – et non d’un État fédéral : il ne peut être comparé au Bundesrat allemand. C’est justement en raison de ce choix que le Sénat examine l’ensemble des lois de la République, tandis que la seconde chambre allemande ne se prononce que sur un tiers environ des lois fédérales.

Autre évidence, en créant un statut particulier pour les sénateurs, vous courez le risque d’instaurer un statut à part pour le Sénat, de le cantonner à certaines prérogatives. Ce n’est pas, me semble-t-il, votre ambition ; en tout cas, ce n’est pas la mienne !

J’ai entendu, enfin, les réticences exprimées ici, mais également à l’Assemblée nationale. J’ai entendu aussi – et je vais les entendre à nouveau – des mots que je n’accepte pas : ceux d’« élus hors sol » ou d’« apparatchiks ». Ces mots sont pour moi indignes d’être prononcés par les parlementaires que vous êtes, respectueux de nos institutions. Et puis, qui sont ces fameux apparatchiks ? Que leur reproche-t-on exactement ? Qu’on le dise !

Non, les parlementaires de demain ne seront pas coupés de leurs électeurs ! Comment penser, en effet, idée bien saugrenue, que les députés seront, dans leur circonscription, coupés des citoyens ? Comment penser, également, que les sénateurs seront, dans leur département, coupés des élus locaux qui les auront élus et des habitants dont ils partagent l’existence ?

La proximité est importante pour la vitalité démocratique, elle doit le demeurer. Cessons aussi de contrefaire la réalité : ceux qui souhaiteront s’investir dans une collectivité en exerçant un mandat de conseiller municipal, départemental ou régional, le pourront toujours. Le principe de non-cumul s’applique aux responsabilités au sein d’un exécutif et non à l’exercice d’un mandat local ! Un débat, pour être serein, doit avant tout être honnête.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avec ce débat, nous arrivons au terme d’un long processus, un processus législatif, engagé en juillet dernier devant l’Assemblée nationale et un processus politique, plus long encore, validé à la suite de différents rendez-vous démocratiques, notamment à l’occasion de la dernière élection présidentielle.

Si le non-cumul des mandats est aujourd’hui une évidence pour tant de nos compatriotes, c’est qu’il s’inscrit dans un mouvement de fond et qu’il répond à une exigence légitime vis-à-vis des élus, une exigence qu’il faut entendre et que 40 % des sénateurs ont déjà entendue, puisqu’ils ne sont pas concernés par les incompatibilités prévues par ce texte – ils sont tout aussi légitimes et au fait des attentes de leurs électeurs que leurs autres collègues.

Je sais que le débat qui nous attend n’aura rien d’évident. J’espère toutefois que, à son issue, le Sénat contribuera lui aussi à faire souffler sur nos institutions un vent agréable de modernité. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion