Je soulignerai en introduction que le terme de « monnaie » ou « de moyen de paiement », appliqué aux bitcoins est largement un abus de langage pour des raisons à la fois économiques et juridiques.
En effet, selon une définition économique généralement admise, la monnaie est un actif qui remplit trois fonctions : unité de compte, instrument d'échange, réserve de valeur. Les bitcoins et autres dispositifs similaires ne répondent que très partiellement et imparfaitement à cette définition de la monnaie.
S'ils fournissent une unité de compte, leur fonction d'échange est limitée aux seuls commerçants, principalement sur Internet, ayant pris volontairement l'engagement, qu'ils peuvent remettre en cause à n'importe quel moment, d'accepter les bitcoins en règlement de biens et services.
Leur fonction de réserve de valeur est pour le moins incertaine : leur convertibilité en monnaie légale est aléatoire et leur valeur très fortement variable.
En outre, l'émission et la gestion de bitcoin ne relèvent pas du champ des moyens de paiement reconnus par notre code monétaire et financier, et en particulier de la monnaie électronique à laquelle on pourrait être tenté de les assimiler, car ils ne sont pas émis contre la remise de fonds. Ils ne bénéficient pas de ce fait d'une garantie de remboursement au pair dans la monnaie qui a cours légal, c'est-à-dire l'euro émis par les banques centrales de l'Eurosystème, ou dans les monnaies de banque qui lui sont strictement liées, c'est-à-dire celles émises par les institutions bénéficiant d'un statut d'établissement de crédit ou d'émetteur de monnaie électronique.
Du fait de l'apparition de plateformes permettant l'achat et la vente des unités de compte virtuelles comme le bitcoin contre de la monnaie ayant cours légal ou relié à elle, un nombre croissant d'utilisateurs peuvent acquérir ces unités de compte virtuelles. De plus, du fait de la faiblesse du coût d'utilisation de ces unités de compte virtuelles, certains pourraient être tentés d'y voir une alternative attractive aux monnaies et moyens de paiement dont l'émission et la gestion est régulée, en particulier pour régler des transactions sur Internet.
Une telle perspective ne peut laisser indifférent une banque centrale comme la Banque de France, chargée par le législateur de s'assurer de la sécurité des systèmes et des moyens de paiement, car elle pourrait conduire à une fragilisation de notre système de paiement du fait du développement des dispositifs les moins disant en matière de sécurité, source de risques pour leurs utilisateurs et pour notre économie de façon plus générale.
La sensibilisation des utilisateurs de monnaies virtuelles comme les bitcoins aux dangers associés à leur utilisation est donc particulièrement nécessaire et importante. C'est pourquoi la Banque de France a, comme d'autres banques centrales et autorités publiques en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, publié le 5 décembre 2013 un document dans lequel elle souligne en particulier deux de ces dangers.
De par leur caractère anonyme, les monnaies virtuelles comme le bitcoins peuvent être utilisés pour contourner les règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Je laisserai sur ce point le soin aux intervenants suivants de développer cette problématique.
Les monnaies virtuelles comme le bitcoin font peser un risque financier fort sur les acteurs qui les détiennent. En effet, aucune autorité ne veille à la mise en place des conditions nécessaires pour assurer la sécurité des « coffres-forts » électroniques qui permettent le stockage des unités de compte virtuelles tel que les bitcoins. Dans ce contexte, les détenteurs n'ont aucun recours en cas de vol de ces unités de compte par des pirates informatiques, les « hackers ». En outre, leur convertibilité en monnaie ayant cours légal, nécessaire pour tirer les bénéfices d'une spéculation sur l'évolution de leur valeur, n'est pas garantie. Ainsi, les investisseurs ne peuvent récupérer leurs gains que si d'autres utilisateurs désirent acquérir les unités de compte virtuelles. Le système peut donc à tout moment s'effondrer lorsque les investisseurs veulent dénouer leurs positions mais se trouvent détenteurs d'avoirs devenus illiquides.
De ce fait, un commerçant ne pourra pas accepter de manière significative les paiements en unités de compte virtuelles sans s'exposer à des risques substantiels Il s'agit d'abord d'un risque de liquidité lié à la faible profondeur du « marché » d'achat/vente de ces unités de comptes en monnaie virtuelle contre une monnaie ayant cours légal ou liée strictement à celle-ci ; ensuite d'un risque financier lié à la volatilité du cours des monnaies virtuelles ; enfin, d'un risque opérationnel lié notamment à l'absence de garantie financière en cas de fraude.
Il en est de même pour les consommateurs. Ces derniers, qui disposent en réglant leurs transactions en euro des garanties associées aux moyens de paiement couverts par la directive concernant les services de paiement, notamment de remboursement en cas de paiement non autorisé, ne peuvent bien évidemment se prévaloir d'aucune garantie équivalente dans le cas d'utilisation de monnaies virtuelles.
Cette prise de conscience des caractéristiques et dangers liés à l'utilisation des monnaies virtuelles, qui n'en font pas de parfaits substituts à la monnaie légale et aux moyens de paiement scripturaux apparaît d'autant plus nécessaire qu'il existe aujourd'hui des solutions non seulement sûres mais également efficaces de paiement sur Internet. Je rappellerai à ce titre les efforts entrepris en France pour renforcer la sécurité des paiements par carte sur Internet par la mise en oeuvre de dispositifs d'authentification renforcée (code unique bien souvent reçu par SMS pour valider le paiement), sous l'impulsion notamment de l'Observatoire de la sécurité des cartes de paiement, et désormais reconnue au niveau européen par le projet de révision de la directive sur les services de paiement et les recommandations du Forum européen sur la sécurité des moyens de paiement « Secure Pay ».