Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion
Enjeux liés au développement des monnaies virtuelles de type bitcoin — Table ronde

Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) :

Je vais avoir sur le sujet un propos prudent et - je ne le dissimule pas - légèrement inquiet. Il est difficile de parler des monnaies virtuelles en général : la problématique du bitcoin n'est pas la problématique du « liberty reserve », ni celle des systèmes d'échanges locaux. Il y a toutefois une caractéristique commune : ce sont des systèmes qui se sont inscrits en parallèle du monopole de fait de la monnaie légale, qui est émise par les autorités centrales. Ces systèmes parallèles étaient souvent des épiphénomènes limités, qui ne soulevaient pas de difficulté et qui étaient parfois même très sympathiques, à l'instar des monnaies locales ; ces systèmes sont souvent nés dans les communautés de gamers, de joueurs de jeux vidéo. Mais depuis plusieurs années, nous voyons émerger de véritables monnaies virtuelles, au-delà de ces cercles fermés de ces communautés virtuelles. TRACFIN a été parmi les premiers services à s'intéresser à ces questions : je vous renvoie à notre rapport annuel 2011, où nous avons appelé l'attention des différentes autorités sur ces problématiques. Nous animons actuellement un groupe de travail qui réunit les pouvoirs publics concernés, afin d'en comprendre les évolutions - qui sont extrêmement rapides.

Nous sommes relativement inquiets. Depuis 1990, l'ensemble des pouvoirs publics internationaux, sous l'égide notamment du Groupe d'action financière (GAFI), a mis en place un ensemble extrêmement complet de règles de contrôle et de normes et transparence des opérations financières, qui s'imposent aux fournisseurs de services de paiement. L'idée générale était celle d'une surveillance accrue des flux de capitaux, en contrepartie de leur libéralisation. Or l'émergence des monnaies virtuelles fait aujourd'hui apparaître un « trou noir » dans cette régulation : nous ne sommes pas dans l'illégal, mais dans l'a-légal. Les problématiques vont au-delà de la lutte contre le blanchiment. Vous avez notamment évoqué les problématiques fiscales : quel est le statut d'un compte en bitcoins ? Cela a-t-il le moindre sens de parler d'un compte détenu à l'étranger ? Quel est le statut de l'impôt sur la fortune (ISF) et de la TVA ? Comment enregistre-t-on en comptabilité une transaction en bitcoins ou en « liberty reserve » ? Quelles sont les obligations de vigilance des établissements et les questions que le banquier devra poser ? Comment assurer l'équité concurrentielle avec les acteurs soumis à la régulation, qui supportent de ce fait un certain nombre de coûts ? Peut-on envisager qu'un monde a-régulé puisse se dispenser de ces coûts ? Ce sont des questions auxquelles je ne me permets pas de répondre - c'est là le rôle des autorités ministérielles et du Parlement.

C'est un monde dans lequel nous voyons extrêmement peu de choses. Le dispositif de contrôle des flux financiers fonctionne comme le contrôle de la vitesse sur les routes, avec des radars fixes et des radars mobiles : nous avons des radars sur certaines routes, mais il existe des routes parallèles sur lesquelles nous n'en avons pas. Je suis incapable de vous dire s'il y a ou pas des excès de vitesse. De temps en temps, nous avons tout de même eu à connaître de sujets qui touchent, directement ou indirectement, à la monnaie virtuelle. Ces sujets sont en cours d'examen par TRACFIN et certains ont été transmis à l'autorité judiciaire. Par ailleurs, nous sommes en lien assez étroit avec nos homologues étrangers, qui sont pour certains en avance sur nous, et commencent à manifester une réelle inquiétude sur cette « économie ignorée » des monnaies virtuelles - laquelle a probablement dépassé le stade seulement anecdotique où nous nous trouvions encore il y a quelques mois... mais sans pour autant porter des enjeux macroéconomiques.

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