Intervention de Jean-Michel Cornu

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion
Enjeux liés au développement des monnaies virtuelles de type bitcoin — Table ronde

Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la fondation Internet nouvelle génération :

Effectivement, cela soulève donc deux questions différentes, l'une étant davantage du domaine classique du régulateur, l'autre étant plus complexe et relevant du domaine technologique.

S'agissant de la place de la France, il convient de distinguer bitcoin de l'ensemble des monnaies, y compris des nouvelles monnaies virtuelles et décentralisées. Une autre monnaie virtuelle a été développée par un Français, sous le terme d'OpenUDC. Fondée sur la théorie relative de la monnaie, laquelle a, d'ailleurs, été également en partie développée en France, elle se distingue de bitcoin sous deux aspects en termes de création monétaire, même si elle est également décentralisée et unique.

S'agissant du mécanisme de création monétaire dans le système bitcoin, 50 bitcoins ont été créés toutes les dix minutes pendant quatre ans, comme cela a déjà été dit. Ce n'est pas tout à fait vrai mais on considère que l'état d'un calculateur va pouvoir effectuer un certain nombre de calculs en dix minutes. Au fur et à mesure des années, il va évidemment falloir réaliser des calculs un peu plus complexes pour que cela continue de durer à peu près dix minutes. Cela correspond ainsi à environ 2,6 millions de bitcoins par an.

Ces bitcoins sont affectés à toute personne qui ouvre un compte. À chaque fois qu'est justifié un « paquet » de transactions, le détenteur du compte reçoit une rémunération qui était de 50 bitcoins pendant les quatre premières années de sa création et de 25 bitcoins maintenant.

Ainsi, 2,6 millions de bitcoins pendant quatre ans aboutissent à environ 10,5 millions de bitcoins à l'issue de cette période, auxquels s'ajoutent près de 5 millions de bitcoins avec la création de 25 bitcoins tous les dix minutes pendant les quatre années suivantes, pour aboutir, au final, à un maximum de 21 millions de bitcoins. C'est le mécanisme de création monétaire propre à bitcoin.

Pour OpenUDC, le mécanisme de création monétaire retenu se fonde, non plus sur la puissance de calcul de l'ordinateur, mais sur un système de dividende universel. Chaque personne appartenant à ce système reçoit, selon la fréquence de son choix, chaque semaine ou chaque mois, vous pouvez choisir, une part de la création monétaire. Ces mécanismes sont dont un peu différents.

Ensuite, et c'est particulièrement important, notamment lorsqu'on parle de rareté, il convient de distinguer le protocole, d'une part, de ses paramétrages, d'autre part.

Le protocole peut être libre et il est d'ailleurs publié. J'ai moi-même analysé une partie du code du protocole bitcoin pour pouvoir répondre à vos questions aujourd'hui, c'est un peu technique mais c'est possible. Ensuite, il y a le paramétrage de ce protocole. Le code est libre et visible par tous, actuellement mis en oeuvre dans un logiciel téléchargeable lorsqu'on souhaite obtenir le système bitcoin.

En revanche, les choix de paramétrage de bitcoin ont été faits par une personne anonyme se présentant sous un nom à consonance japonaise - on ne sait d'ailleurs pas s'il n'y a derrière qu'une seule personne ou plusieurs -, qui s'est depuis retirée du système.

Cette personne ne reçoit pas de rémunération directe. Mais les premiers bitcoins échangés, « genesis », c'est-à-dire le premier « paquet » de transactions, ont été échangés avec lui et/ou les personnes appartenant à ce groupe, qui n'ont pas à être rémunérés puisqu'existe un avantage aux « premiers arrivants ».

Bitcoin correspond donc non seulement à un protocole mais également à des paramétrages de ce protocole.

Le système OpenUDC en est à un stade moins avancé. Il est possible d'y développer des monnaies, c'est-à-dire des paramétrages (de ce protocole) ayant des caractéristiques différentes. Certaines de ces caractéristiques sont communes et d'autres peuvent varier, notamment le choix de la fréquence de rémunération des utilisateurs (par mois ou par semaine) ou encore son caractère convertible ou non en une autre monnaie.

C'est pourquoi il me semble très important de distinguer les mécanismes monétaires des protocoles appliqués, lesquels peuvent eux-mêmes être biaisés. Le fait d'avoir des logiciels libres dans tous ces nouveaux systèmes, et y compris d'ailleurs dans les SEL ou d'autres systèmes d'échanges de monnaies comme « Open money », ou le système « Flowplace », dans lequel la France est également active, permet d'en connaître les paramétrages. C'est cette transparence qui offre la possibilité de savoir si cette monnaie entre dans un système qui convient au législateur ou, au contraire, un système qui nécessiterait régulation.

Les « radars » pourraient donc également être installés sur ces paramétrages, si on ne sait pas les mettre sur les transactions, pour déterminer les systèmes qui paraissent acceptables et ceux qui ne le sont pas.

Le « grand architecte » de bitcoin a établi un paramétrage une fois pour toute, avant de s'en éloigner. Aucune gouvernance n'est prévue puisqu'elle est a priori prévue dans le code du système lui-même. Comme le disait Lawrence Lessig en parlant d'Internet, il a été mis de la liberté dans le code, c'est-à-dire que le système même offre lui-même de la liberté, des opportunités, des contraintes et des difficultés.

Pour procéder à une régulation, il n'est donc pas nécessaire d'être un spécialiste de la technique mais bien, en revanche, de l'architecture du système. Par analogie avec l'augmentation de la largeur des rues opérées à Paris, il n'est pas nécessaire de savoir comment construire un bâtiment pour comprendre comment rendre plus difficile la formation de barricades. On a ainsi procédé à une régulation de la société.

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