Intervention de Jean-Baptiste Carpentier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion
Enjeux liés au développement des monnaies virtuelles de type bitcoin — Table ronde

Jean-Baptiste Carpentier, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) :

Je vais encore jouer le rôle du grognon ! Nous suivons ce phénomène depuis trois ans. On poursuit une analyse stratégique sur la question.

Il faut faire un distinguo. Il y a le sujet du bitcoin et les autres. Nous essayons de faire tourner nos différents « capteurs », sur lesquels je ne peux pas m'étendre car un certain nombre de données sont classifiées.

Paradoxalement, le sujet du bitcoin, au vu des évolutions observées, est celui qui nous paraît le moins inquiétant. Par construction, c'est une monnaie hyper déflationniste, parce qu'il y a une masse globale finie et que le nombre d'utilisateurs tend à s'accroître. La valeur croît rapidement, associée d'ailleurs à une hypervolatilité. Au total, en tant qu'unité transactionnelle, le bitcoin n'est pas très aisé. En outre, il faut quelques minutes pour utiliser un bitcoin. Ainsi, entre le moment où j'achète mon bien et le moment où le marchand reçoit mon bitcoin, sa valeur a pu varier du simple au double. En l'état actuel des choses, on se retrouve un peu dans la situation, en sens inverse, de la période du Reichsmark, où on ne savait pas s'il fallait prendre une brouette ou billet pour payer.

Toute proportion gardée, on est en 1637 au moment de la spéculation sur les bulbes de tulipe. Je ne sais pas si nous assisterons à un krach du bitcoin comme celui des tulipes. Quoi qu'il en soit, en tant que monnaie transactionnelle, cela reste difficile. On nous dit que son usage s'accroît mais nous ne partageons pas la même analyse. En toute hypothèse, il s'accroît toujours dans une situation a-légale.

Je ne suis pas totalement sûr que la DGFiP soit submergée de déclarations de transactions en bitcoins. Et on pourrait même dire que le phénomène devient alors illégal car il s'inscrit clairement dans une situation d'évitement des obligations fiscales.

Le bitcoin nous apparaît donc moins comme une unité de transaction mais plutôt comme une unité de réserve ce qui, de notre point de vue, tend à réduire le risque. Ce n'est clairement pas le cas des autres monnaies virtuelles. Dans le cas du site « Silk Road », la principale monnaie utilisée n'était pas le bitcoin mais le « liberty reserve », qui était une autre unité de compte. Or certaines d'entre elles présentent une plus grande stabilité et donc une plus grande maniabilité pour un cadre transactionnel qui est totalement opaque, sauf au niveau des carrefours. C'est d'ailleurs là qu'il faut placer les radars, sous réserve qu'il existe des carrefours. Il n'est pas exclu qu'apparaisse un jour un système totalement parallèle qui fonctionnera uniquement en monnaie virtuelle.

Il est clair qu'il y a un besoin de régulation, comme nous l'avons fait ces dernières années pour d'autres activités économiques et financières. Je ne partage d'ailleurs pas tout à fait l'analyse tendant à comparer le bitcoin et le shadow banking. Celui-ci s'inscrit dans un cadre alors que les monnaies virtuelles sont encore dans une boîte noire.

La question, déjà évoquée, est de savoir si la régulation elle-même ne fera pas perdre son intérêt au dispositif. Dès qu'il y a régulation, on crée des coûts supplémentaires.

En outre, la régulation est nécessaire mais son respect sera extrêmement difficile à contrôler, compte tenu de la nature même du dispositif, de l'extraterritorialité d'un certain nombre d'acteurs et de notre difficulté à intervenir sur ce réseau.

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