Intervention de Catherine Tasca

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 janvier 2014 : 1ère réunion
Contrôleur général des lieux de privation de liberté — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteure :

La proposition de loi que j'ai eu l'honneur de déposer, avec les membres du groupe socialiste et apparentés, modifie la loi du 30 octobre 2007 instituant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Son inscription à l'ordre du jour du Sénat est une nouvelle marque de l'attention particulière que notre assemblée accorde à la situation des personnes privées de liberté et de notre attachement à l'existence d'une autorité de contrôle indépendante chargée de veiller au respect de leurs droits fondamentaux. Le Sénat avait voté dès avril 2001 une proposition de loi de M. Jean-Jacques Hyest instaurant un Contrôle général des prisons. Il y a trois ans, lors du débat sur le Défenseur des droits, le Sénat s'est opposé à l'absorption du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans la nouvelle institution. M. Patrice Gélard, rapporteur de ce texte, avait fait valoir que les missions étaient différentes, et qu'il convenait de dresser le bilan de l'action du Contrôleur général avant toute nouvelle évolution institutionnelle.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a été créé par la loi du 30 octobre 2007. M. Jean-Marie Delarue a été nommé à cette fonction le 13 juin 2008 et l'institution a commencé à fonctionner en septembre 2008. Pour respecter nos engagements internationaux, sa compétence n'est pas limitée aux seuls établissements pénitentiaires mais a été étendue à l'ensemble des lieux susceptibles d'accueillir des personnes privées de liberté par décision d'une autorité publique : locaux de garde à vue, centres de rétention administrative, hôpitaux psychiatriques accueillant des malades hospitalisés sans leur consentement, etc... Aux termes de la loi, il est compétent pour veiller au respect de l'ensemble des droits fondamentaux des personnes, et pas seulement pour éviter les risques de torture, comme le prévoient nos engagements internationaux. Il bénéficie de garanties d'indépendance, peut être saisi très largement, et peut également s'autosaisir. Il dispose de larges prérogatives, comme la faculté de procéder à des visites d'établissements, y compris de façon inopinée.

Après cinq ans et demi, le bilan est remarquable : plus de 800 établissements visités - conformément à l'engagement pris par M. Delarue d'effectuer 150 visites par an - dont la quasi-totalité des établissements pénitentiaires d'ici cet été. Malgré des moyens budgétaires modestes, le Contrôleur s'est rendu à plusieurs reprises dans des départements et collectivités d'outre-mer, où certains établissements fonctionnent dans des conditions bien dégradées - c'est un euphémisme - comme notre commission s'en est souvent émue.

Le Contrôleur général peut être saisi par toute personne intéressée. Dans le silence de la loi, Jean-Marie Delarue a pris la décision de répondre à tout courrier qui lui était adressé et, le cas échéant, d'envisager les suites à leur donner en effectuant des enquêtes et en vérifiant, sur place, la réalité des allégations. Les saisines représentent depuis 2012 environ 4 000 courriers par an : il s'agit d'une charge de travail très importante.

Enfin, le Contrôleur général a pleinement fait usage de la faculté de publier des avis ou des recommandations, ce qui a parfois été mal ressenti par les membres de l'administration pénitentiaire, qui y ont vu une remise en cause de leur travail, comme aux Baumettes. Ces personnels exercent leurs fonctions dans des conditions difficiles et sont confrontés à des manques de moyens. On peut toutefois se réjouir de cette publicité qui a contribué à porter dans le débat public des questions rarement évoquées auparavant. Son expertise a en outre été utile au législateur, par exemple lors de la réforme de la garde à vue.

Ce bilan très positif est largement à mettre au crédit de la personnalité de Jean-Marie Delarue. En 2007, le rapporteur Jean-Jacques Hyest estimait que le premier titulaire des fonctions de Contrôleur général « devrait réunir la compétence et l'expérience nécessaires pour bénéficier d'un crédit incontestable auprès de l'opinion publique tout en suscitant la confiance des administrations et des responsables des lieux soumis à son contrôle ». M. Delarue a pleinement répondu à cette feuille de route, alliant une intransigeance sur les principes et un souci permanent de l'écoute et du dialogue, en particulier avec les responsables et le personnel. Il a su donner à la loi du 30 octobre 2007 toute sa portée. Il a mis en place, dans le silence de la loi, des pratiques conformes à une conception exigeante et ambitieuse de sa mission. Son mandat arrivera à son terme en juin 2014 et n'est pas renouvelable. L'examen de cette proposition de loi est l'occasion de réaffirmer notre attachement au principe d'une autorité autonome. En pratique, les missions du Défenseur des droits, qui recherche des solutions à des litiges particuliers, et du Contrôleur général, de contrôle et de prévention, sont complémentaires.

Cette proposition de loi comporte diverses mesures destinées à protéger les interlocuteurs du Contrôleur général. Jean-Marie Delarue a souvent souligné la qualité du dialogue instauré avec les responsables des lieux de privation de liberté ; dans la grande majorité des cas, ses équipes ont pu accéder aux documents dont ils avaient besoin. Des difficultés ponctuelles se sont toutefois présentées, notamment pour l'accès à des images de vidéosurveillance à l'occasion d'enquêtes portant sur des faits précis par exemple. Le principal obstacle réside dans les risques de « représailles » dont peuvent faire l'objet ceux - détenus ou membres du personnel - qui s'adressent au Contrôleur général ou acceptent de s'entretenir avec ses équipes. De tels comportements sont des initiatives individuelles ignorées des responsables d'établissements ou des représentants du personnel. Ils n'en sont pas moins inacceptables. La proposition de loi crée un délit d'entrave à l'action du Contrôleur général - comme il en existe pour le Défenseur des droits ou pour la CNIL - et renforce, sous peine de sanctions pénales, les dispositions de la loi pénitentiaire sur le secret des correspondances entre les personnes détenues et le Contrôleur général.

M. Jean-Marie Delarue insiste sur le fait que l'efficacité de son action est liée au nombre et à la qualité des informations qui lui parviennent. Il se heurte encore maintenant à un certain nombre de restrictions, légales ou pratiques, en particulier lorsque ses enquêtes portent sur des faits précis. C'est pourquoi le texte lève, de façon encadrée, l'interdiction d'accéder à des informations couvertes par le secret médical, lequel limite en pratique la portée de son contrôle, s'agissant par exemple d'allégations de mauvais traitements ou d'abus de mesures de contention en hôpital psychiatrique. Comme le Défenseur des droits, le Contrôleur général pourra y accéder à la demande expresse de la personne concernée ou lorsque les faits concernent des sévices commis sur un mineur ou une personne incapable de se protéger. Le Contrôleur général pourra prendre connaissance des procès-verbaux de déroulement de garde à vue, à l'exception des auditions des personnes, bien sûr, couvertes par le secret de l'instruction. Il pourra mettre en demeure les intéressés de lui répondre dans un délai fixé.

La procédure applicable aux enquêtes est précisée, afin de lever tout risque d'ambiguïté : les ministres devront désormais répondre systématiquement aux observations dans le délai posé par le Contrôleur ; celui-ci devra être informé des suites données à ses démarches auprès du procureur de la République ou de l'autorité chargée du pouvoir disciplinaire ; enfin, ses avis seront systématiquement publiés, ce qui consacre dans la loi la pratique à l'oeuvre depuis 2008.

En ma qualité de rapporteure, au terme des auditions, je vous proposerai quatre amendements. L'un d'entre eux élargit la compétence du Contrôleur général aux mesures d'éloignement forcé d'étrangers en situation irrégulière. La directive « retour » de 2008 nous impose en effet de prévoir « un système efficace de contrôle du retour forcé », incluant l'ensemble des phases de transfert, y compris le voyage en avion, jusqu'à la remise de l'intéressé aux autorités du pays de destination. Il m'a paru nécessaire de donner une traduction législative à cette obligation et de la confier au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Le ministère de l'Intérieur y est favorable. Dans un souci de cohérence juridique, j'ai souhaité que cette extension de compétence comprenne les éloignements vers les États membres de l'Union européenne comme vers les pays tiers.

Le secret médical est un sujet très sensible pour une partie des professionnels de santé, qui jouent un rôle essentiel dans les lieux de privation de liberté. J'avais pris initialement le parti de me caler sur les dispositions applicables au Défenseur des droits, qui s'appuient sur le consentement exprès de la personne. Une autre option, qui m'a été suggérée lors des auditions, aurait été de s'inspirer de la loi Kouchner de mars 2002, concernant les contrôles de l'IGAS : un accès non conditionné au consentement de la personne mais réservé aux seuls membres de l'inspection titulaires d'un diplôme de médecin. Je vous propose une solution intermédiaire. Le peu de temps qui nous est imparti nous empêche de procéder à des consultations approfondies des représentants du corps médical. Il me semble délicat de passer outre le consentement de l'intéressé. Je vous propose en revanche d'en assouplir les modalités et d'exiger son accord, non sa demande expresse, afin de ne pas attirer inutilement l'attention sur les démarches entreprises par une personne privée de liberté... Pour apaiser les craintes du corps médical, je vous propose de prévoir que seuls les collaborateurs médecins du Contrôleur général pourront prendre connaissance d'informations couvertes par le secret médical, à charge pour eux d'en extraire les informations utiles au contrôle. Jean-Marie Delarue, dont l'équipe comprend trois praticiens hospitaliers, serait prêt à se rallier à cette solution.

Deux remarques conclusives : j'ai pu mesurer l'amertume du personnel et des directeurs de l'administration pénitentiaire après certaines recommandations du Contrôleur général. Très largement favorables à l'existence d'un contrôle, ils ressentent toutefois les critiques sur le fonctionnement d'un établissement comme une mise en cause de leur travail. Ce sentiment ne doit pas être négligé, car le bon fonctionnement des établissements repose avant tout sur le personnel, dont une grande majorité s'acquitte de ses fonctions avec conscience professionnelle et probité.

Il me paraît par ailleurs essentiel de mieux faire connaître les fonctions du Contrôleur général, en particulier auprès des auxiliaires de justice. Les saisines émanant d'avocats, d'associations ou d'autres autorités administratives indépendantes sont peu nombreuses, alors que ces différents acteurs pourraient sans doute faire parvenir au Contrôleur des éléments fort utiles à l'exercice de sa mission.

Je vous propose d'adopter la proposition de loi, sous réserve de ces quatre amendements ; Mme Benbassa en a en outre déposé un quasiment identique à l'un des miens.

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