… de mener les travaux de concertation nécessaires avec les ministères de l’intérieur et de la défense, ainsi qu’avec les enquêteurs spécialisés, enfin de tenir moi-même une séance de travail à la direction de la police judiciaire afin d’élaborer un texte de loi bien plus sécurisé juridiquement, plutôt que de faire adopter un amendement qui aurait pu être assez facilement censuré, ce qui nous aurait fait perdre non pas un mois, mais bien davantage. Surtout, des procédures auraient fait apparaître ce dispositif comme absolument insupportable.
Nous avons donc pu soumettre ce projet de loi au Conseil d’État. Les débats y ont été tout à fait fructueux et intéressants.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que nous vous présentons définit le dispositif, à commencer, bien sûr, par les cadres procéduraux eux-mêmes, de façon suffisamment précise pour sécuriser les procédures.
Nous indiquons très clairement que, dans le cas d’une information judiciaire ou d’une enquête préliminaire, d’une enquête de flagrance, d’une enquête pour recherche des causes de la mort, d’une enquête pour recherche des causes de la disparition, d’une enquête pour recherche d’une personne en fuite, la géolocalisation est un acte qui peut être décidé dans le cadre des procédures en vigueur.
Il nous a également paru important de définir le champ infractionnel. À cette fin, nous avons lu très attentivement les arrêts. Il apparaît donc qu’il faut tenir compte de la gravité de l’acte – donc de la peine encourue – et veiller au respect du principe de proportionnalité, c’est-à-dire que l’ingérence de l’autorité publique doit être strictement nécessaire à la sûreté publique. Nous avons tenu compte de ces deux éléments pour définir le champ infractionnel.
Nous avons retenu deux quantums de peine : un quantum de trois ans, lorsqu’il s’agit de poser une balise dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans un entrepôt, et un quantum de cinq ans pour une intrusion plus forte, c’est-à-dire pour la pose d’une balise dans un lieu d’habitation ou des locaux professionnels.
Nous estimons, en effet, que la pose de ces instruments de géolocalisation constitue une intrusion dans des lieux privés, qui se fait à l’insu de la personne concernée. En ce sens, la géolocalisation s’apparente à la sonorisation, sur laquelle nous reviendrons, bien plus qu’à la perquisition. Les précautions à prendre en matière de sécurité juridique sont donc liées davantage à une intrusion qu’à une situation de perquisition, pour laquelle la personne concernée est présente au moment où l’on pénètre dans son domicile.
Votre commission a choisi d’adopter une disposition qu’elle a estimée plus protectrice des libertés individuelles, et qui l’est en effet objectivement. Vous avez retenu un système unique, plus simple, qui repose sur un seul quantum, à savoir une peine encourue de cinq ans.
Monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes sensibles à votre souci de préserver des libertés individuelles ; c’est d'ailleurs la vocation première de la Chancellerie. Toutefois, je dois vous dire ce dispositif nous pose problème : nous ne voudrions pas que certaines enquêtes dont l’efficacité reposerait sur la géolocalisation ne puissent utiliser cette technique.
Ainsi, en cas d’atteintes à la personne telles que des menaces de mort, pour lesquelles la peine encourue est de trois ans, ni les parquets, ni les juges d’instruction, ni les enquêteurs n’auraient la possibilité d’effectuer un acte de géolocalisation, alors qu’il est évident que ce dernier pourrait être utile à leur enquête et permettre, éventuellement, d’empêcher la personne ayant proféré des menaces de mort de les mettre à exécution.
De même, avec la décision prise par votre commission, les délits d’évasion, qui sont punis de trois ans, échapperaient à la géolocalisation, alors que, d’évidence, il apparaît souhaitable que celle-ci puisse être décidée en pareil cas.
En conséquence, le Gouvernement vous présentera un amendement visant à retenir, si vous y consentez, mesdames, messieurs les sénateurs, un quantum de cinq ans de peine de prison encourus pour les atteintes aux biens et de trois ans pour les atteintes aux personnes. En effet, tout en protégeant les libertés individuelles, il nous faut aussi protéger les victimes, c’est-à-dire donner aux enquêteurs les moyens d’agir en ce sens. Nous vous avons transmis le texte de cet amendement et dont nous en débattrons tout à l'heure, lors de l’examen des articles.
Par ailleurs, nous avons retenu un régime procédural, car il importait d’en définir un. Pour ce faire, nous avons étudié très scrupuleusement le contenu de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que des deux arrêts de la Cour de cassation. Il apparaît que ces derniers n’interdisent pas que les magistrats du ministère public autorisent un acte de géolocalisation. En fait, ils évoquent « le contrôle », et non « l’autorisation ». Par conséquent, si le contrôle du juge est nécessaire, il n’est pas interdit que l’autorisation soit donnée par un magistrat du ministère public.
C’est ainsi que nous avons interprété ces arrêts, d’autant que, lorsqu’ils ont été rendus, il n’existait pas de cadre législatif. Dès lors que, avec ce projet de loi, nous introduisons un tel cadre, nous sommes fondés à considérer que nous pouvons rester dans la logique et l’architecture classiques de la procédure pénale. Or cette dernière retient une gradation dans le niveau de décision, selon la nature de l’acte et l’atteinte éventuelle à un droit ou à une liberté.
Ainsi, les officiers de police judiciaire peuvent prendre l’initiative d’un acte qui ne présente aucun caractère coercitif ni intrusif. S’ils commettent une atteinte limitée à l’exercice d’un droit ou d’une liberté, ils doivent recevoir l’autorisation d’un magistrat ou agir sous le contrôle étroit du ministère public. S’ils commettent une atteinte grave, il faut soit une autorisation, soit le contrôle d’un magistrat du siège. Vous le voyez, le principe de la gradation des atteintes est respecté.
Nous avons donc retenu ces dispositions et estimé que, tels qu’ils ont été rédigés, les arrêts de la Cour de cassation considèrent la géolocalisation non pas comme un simple acte technique de filature, sachant que cette dernière relève de l’initiative des officiers de police judiciaire, mais comme un acte constituant une atteinte grave à la vie privée. Dans la mesure où elle est une filature sans faille et que, pour ce qui est notamment de la géolocalisation par le téléphone portable, il y a non seulement une intrusion, mais aussi un suivi de la personne, y compris dans des lieux clos, la Cour de cassation considère que la géolocalisation est une atteinte à la vie privée.
Nous nous sommes demandé si les magistrats du ministère public pouvaient autoriser un acte de géolocalisation. Du point de vue constitutionnel, ils font partie de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a réitéré à plusieurs reprises cette interprétation. Vous le savez, je suis moi-même très fortement attachée à l’appartenance des magistrats du ministère public à l’autorité judiciaire, qui fonde leur légitimité au sein de la direction de la police judiciaire.
Nous en avons débattu à plusieurs reprises, et récemment encore à l’occasion de l’examen de la loi du 25 juillet 2013, qui redéfinissait les attributions du garde des sceaux, ainsi que les relations entre la Chancellerie, les parquets généraux et les parquets. Par conséquent, appartenant à l’autorité judiciaire, les magistrats du ministère public sont parfaitement fondés à autoriser une géolocalisation.
C’est ainsi que ce texte prévoit que les procureurs puissent décider d’une géolocalisation et que cet acte a une durée de quinze jours, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une enquête de flagrance. En l’espèce, nous nous sommes fondés sur la durée d’une enquête de flagrance prolongée. Au terme de ces quinze jours, c’est le juge des libertés et de la détention qui peut décider de la prolongation éventuelle de cette mesure.
Nous avons évidemment tenu compte, comme je l’indiquais tout à l’heure, de la gradation des atteintes : lorsqu’il s’agira de procéder à une intrusion dans un lieu d’habitation, a fortiori de nuit, y compris dans le cadre d’une information, il faudra une décision du juge des libertés et de la détention. En effet, étant extérieur à l’enquête, celui-ci constitue à ce titre une autorité impartiale.
Enfin, sachez que, dans le cas d’une enquête préliminaire ou de flagrance, la durée de la géolocalisation est d’un mois renouvelable, tandis que, dans le cas d’une information judiciaire, elle est de quatre mois, renouvelables également. Bien entendu, le renouvellement se fait après un réexamen du dossier.
De ce point de vue, nous avons donc construit un système équilibré, après des discussions très riches avec le Conseil d’État. Cependant, nous avons constaté que la commission des lois du Sénat avait choisi d’introduire des modifications qui, à nos yeux, ont quelque peu déséquilibré ce dispositif. En effet, monsieur le président de la commission, vous avez choisi de permettre aux officiers de police judiciaire de décider d’une géolocalisation sans autorisation des magistrats.
Certes, dans certaines situations, un officier de police judiciaire doit pouvoir très rapidement procéder à la pose d’une balise en raison d’un risque de dépérissement des éléments de preuve ou une d’urgence incontestable. Nous avons donc abordé et traité ce point, qui a été soulevé très vite par le ministère de l’intérieur, de façon tout à fait sérieuse, au regard de la sécurité juridique, en prévoyant la possibilité pour le magistrat du ministère de public de donner son autorisation par tout moyen, y compris verbalement. Or, nous le savons bien, pour l’avoir vérifié à l’occasion de la préparation de ce texte, un parquetier est joignable à tout moment et dans toutes nos juridictions pour donner oralement une autorisation.
Je le répète, la commission des lois a choisi d’aller plus loin en permettant que la décision de recours à la géolocalisation soit prise par l’officier de police judiciaire sans l’autorisation d’un magistrat.