Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été indiqué, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui a pour objet de mettre notre droit en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la géolocalisation. Il s’agit de compléter le code de procédure pénale et le code des douanes et de préciser dans quelles conditions les services concernés peuvent « géolocaliser » des véhicules, des individus, des objets dont ces derniers sont porteurs, et ce en temps réel.
Eu égard aux inquiétudes, nombreuses, qui ont été exprimées au sujet du vote de l’article 20 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, voté en décembre dernier, le groupe UMP a naturellement examiné avec un intérêt particulier le contenu du présent texte.
La question qui se pose à nous est, en effet, celle des justes moyens à mettre en œuvre pour tenir compte des deux arrêts du 22 octobre 2013 de la chambre criminelle de la Cour de cassation sans entraver le travail des services de police et l’action de la justice.
La Cour de cassation considère qu’une mesure de géolocalisation constitue une « ingérence dans la vie privée », une atteinte grave, donc, à la vie privée de la personne géolocalisée. Par conséquent, cette mesure ne peut être légalement mise en œuvre que dans les conditions prévues par l’article 8, alinéa 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit alors, premièrement, être prévue par une loi présentant les qualités requises par la jurisprudence de la Cour européenne et, deuxièmement, être proportionnée et nécessaire.
Or, si la question juridique soulevée par la Cour de cassation ne consiste pas en une remise en cause du fondement légal du recours à la géolocalisation – elle s’attaque plutôt à la compétence de l’autorité prenant la décision –, les arrêts précédemment évoqués ont pu, de fait, entraîner une vraie paralysie dans l’action des forces de police, la Chancellerie ayant donné des instructions dans le sens du respect desdits arrêts.
Ainsi, par une circulaire du 29 octobre 2013, le ministère de la justice étend l’interdiction des mesures de géolocalisation à « toutes les enquêtes diligentées sous la direction du procureur de la République : flagrances, recherches des causes de la mort ou de la disparition ou d’une personne en fuite ». La Chancellerie demande par ailleurs aux parquets d’appliquer la même règle de droit aux balises, de les bannir de leurs enquêtes et de laisser ce système de suivi des déplacements de voitures aux seuls juges d’instruction.
Cette « mise en arrêt » des enquêtes ayant recours à la géolocalisation a provoqué une grave déficience dans l’exécution des missions de sécurité et de justice.
Certaines affaires illustrent parfaitement ces problèmes de procédure auxquels sont actuellement confrontées les forces de l’ordre.
À Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, le 24 octobre 2013, par exemple, une femme et son enfant sont séquestrés à domicile, puis enlevés avant d’être relâchés dans la rue. Les enquêteurs demandent au parquet à pouvoir identifier les téléphones ayant activé les bornes sur l’itinéraire des malfaiteurs pour établir un éventuel lien avec une autre affaire. Mais ce « bornage » leur est refusé.
Le 3 novembre 2013, là encore dans le département des Hauts-de-Seine, une poste est « braquée ». La police identifie des suspects, mais il lui faut vérifier par des moyens techniques leur présence à l’heure et sur les lieux du crime. L’identification géographique des données de connexion des mobiles des voyous lui est refusée.
Nous ne pouvons nier l’effectivité et la nécessité de la géolocalisation. Celle-ci est devenue indispensable aux forces de police et de gendarmerie par les deux techniques qu’elle met en œuvre : le suivi dynamique d’un terminal de télécommunication et l’utilisation d’une balise installée sur un objet ou un moyen de transport.
La géolocalisation remplit trois fonctions : retrouver une personne disparue, quelle qu’en soit la raison, ou une éventuelle victime, retracer les déplacements d’une personne et, enfin, remplacer la filature.
Certes, il n’existe actuellement pas de restriction à l’utilisation de la géolocalisation, mais les moyens limités des forces de l’ordre et la pertinence même du recours à ce dispositif les conduisent à utiliser principalement cette technique dans le cas très particulier de la criminalité de réseaux ou de trafic.
Au même titre que les techniques fondées sur l’analyse des traces d’ADN, cet outil est devenu essentiel. Il est particulièrement apprécié par les policiers pour ce qu’il représente d’irréfutable.
Pour autant, l’intervention du législateur est indispensable dès lors que les enquêtes préliminaires, ouvertes sous l’impulsion des enquêteurs, représentent près de 90 % des procédures de géolocalisation et qu’il est fait recours à celle-ci dans plus des deux tiers des enquêtes.
Conscient de l’importance de cette intervention du législateur dans le domaine de la géolocalisation pour redonner aux forces de l’ordre les moyens d’exercer leur mission, notre collègue François Pillet avait d’ailleurs déjà rédigé une proposition de loi avant même le dépôt du présent projet de loi par le Gouvernement.
Cette proposition de loi comportait trois dispositions. Premièrement, les officiers de police judiciaire étaient autorisés à prendre toute mesure permettant la localisation et l’établissement des déplacements d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Deuxièmement, la légalité de la décision de géolocalisation prise par le procureur de la République devait être contrôlée par le juge des libertés et de la détention. Troisièmement, il fallait rendre applicable cette géolocalisation dans le cadre des enquêtes préliminaires, qui, je le répète, représentent 90 % des cas d’espèce.
Le dispositif proposé par notre collègue permettait ainsi d’établir un équilibre entre intérêt général et protection des libertés publiques.
Aujourd’hui, avec son projet de loi, le Gouvernement souhaite aller dans le même sens, et nous saluons cette initiative. Le texte qu’il propose a d’ailleurs été parfaitement enrichi en commission des lois, comme M. le rapporteur vient de l’indiquer. Il faut en remercier ce dernier, ainsi que les membres de la commission.
La géolocalisation sera désormais possible dans le cadre d’une enquête relative à une infraction punie d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans – seuil que nous avons défini en commission des lois, alors que le texte initial envisageait trois ans –, ainsi que dans le cadre d’une enquête en recherche des causes de la mort, des causes de la disparition et en recherche d’une personne en fuite.
L’option de soumettre systématiquement de telles mesures à l’autorisation préalable d’un juge n’a pas été retenue. Lors d’une enquête dirigée par le parquet, le procureur de la République pourra autoriser une mesure de géolocalisation « pour une durée maximum de quinze jours consécutifs », le terme « consécutifs » étant un ajout de la commission.