Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président et rapporteur de la commission, mes chers collègues, Jean Desessard, qui souhaitait intervenir dans cette discussion, n’a malheureusement pas pu être présent et m’a demandé de le remplacer.
Vous le savez, la Cour de cassation vient d’affirmer que la géolocalisation « constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge », au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. L’autorisation d’un juge indépendant est donc indispensable et celle du procureur seul ne peut permettre de recourir à cette méthode d’enquête.
Pourtant, le texte que nous examinons ne remplit pas les critères posés par cette jurisprudence, car le procureur de la République garde le pouvoir de « primo-géolocaliser », en quelque sorte, sans doute parce qu’il est plus réactif qu’un juge du siège, ou plus corvéable. Cependant, nos libertés individuelles doivent-elles s’incliner devant des raisons financières ?
Certes, ce pouvoir ne lui reste acquis que pour un délai de quinze jours au maximum et des exceptions sont prévues en cas d’intrusion dans un lieu d’habitation, mais ces garanties ne suffisent pas à protéger de manière satisfaisante la vie privée des suspects, qui sont, faut-il le rappeler, madame la ministre, présumés innocents et ne sont pas forcément « en délicatesse » avec la loi.
C’est pourquoi je salue les amendements de notre président-rapporteur qui ont été adoptés en commission la semaine dernière, ainsi que les nouveaux amendements dont nous avons débattu tout à l'heure, qui ont par exemple pour objet de relever le seuil de gravité de l’infraction pour mettre en place une procédure de géolocalisation. Je me réjouis également du dépôt par le Gouvernement de l’amendement de bon sens qui tend à ne pas appliquer ces nouvelles dispositions à des victimes, à des personnes disparues ou à des objets qui ont été dérobés à la victime. Je veux encore saluer le principe de la géolocalisation « sous X » lors de l’instruction, ou bien la saisine du juge dans les douze heures et non plus dans les quarante-huit heures.
Ces amendements, s’ils améliorent le projet de loi, ne suffisent cependant pas à rendre celui-ci adoptable par les écologistes.
Notre opposition porte sur le principe même du recours au procureur, statuant seul, pour quinze jours, même si la CEDH peut éventuellement s’en satisfaire. Celui-ci dépend en effet directement du ministère de la justice, donc du pouvoir exécutif. Nous sommes aujourd'hui dans une démocratie, mais qu’en sera-t-il demain ?
Les écoutes, notamment de journalistes, nous rappellent que la frontière est ténue entre la vie privée et la raison d’État. Le texte, dans sa rédaction actuelle, peut donc mener à des abus. Comment protéger les familles, les connaissances, les relations de personnes suspectées dans le cadre d’une enquête ? Qu’est-ce qui empêcherait de surveiller certaines personnes sous le prétexte qu’elles connaissent celui qui connaîtrait celui qui connaît…
Seul le juge des libertés, par son indépendance, est à même d’assurer une protection des données et de la vie privée, en accord avec la décision de la Cour de cassation et avec les exigences de la Cour européenne.
Pour la géolocalisation en suivi dynamique, c'est-à-dire sans intrusion physique dans un bien appartenant à un citoyen, le texte va au-delà des seuls téléphones portables et suscite des inquiétudes. Il est en effet prévu une autorisation de recourir à « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national ».
S’il faut prévoir les évolutions technologiques pour ne pas avoir à légiférer pour chaque innovation, il n’en reste pas moins vrai que le risque d’être suivi à la trace augmente dangereusement à travers des objets aussi courants que des montres connectées, des pacemakers et bientôt même des brosses à dents !
Déjà, les données fournies par nos simples ordinateurs intéressent nos gouvernants et ceux d’autres nations : en témoignent l’affaire Snowden, l’espionnage des institutions ou de dirigeants européens par la NSA – l’agence nationale de la sécurité américaine –, ou les récentes révélations sur le système d’espionnage français. Ces affaires doivent nous inciter, en tant que parlementaires, à définir des limites et des cadres juridiques stricts pour assurer la protection de nos concitoyens.
Ce projet de loi soulève donc les mêmes questions que l’article 20 de la loi de programmation militaire, même si nous avons bien compris qu’il ne s’agissait pas de la même procédure : procédure administrative dans un cas, procédure judiciaire dans l’autre. Je vous rappelle que les écologistes n’avaient pas voté cet article, qui a déjà suscité l’indignation de nombreuses organisations non gouvernementales et de réseaux de citoyens soucieux de préserver leurs libertés individuelles face à l’ingérence étatique.
Leurs prises de position et leurs avertissements doivent nous alerter, car l’inquiétude de l’opinion publique est réelle, et c’est notre rôle que d’écouter et de prendre en compte l’expression citoyenne.
Jusqu’où la protection de nos biens, l’intérêt public, la sûreté peuvent-ils primer sur nos libertés individuelles ? Accepter de telles atteintes au nom de ces valeurs, n’est-ce pas déjà reconnaître que les terroristes, les criminels ont gagné la partie puisque, comme l’a dit Benjamin Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux » ?