Intervention de Alexandre Faro

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 23 janvier 2013 : 1ère réunion
Table ronde « accès aux données environnementales publiques »

Alexandre Faro, avocat :

Bien que Greenpeace France soit l'un de mes clients, je m'exprimerai non pas en tant que son représentant, mais pour vous livrer mon expérience d'avocat indépendant spécialisé en droit environnemental. C'est une matière que je pratique depuis vingt ans, essentiellement au service d'associations pour la défense de l'environnement, pour des raisons d'éthique plus que par engagement militant.

Quand on parle d'accès aux documents détenus par l'administration, on n'entend pas seulement ceux qu'elle produit, mais également ceux que peuvent lui fournir les entreprises, des documents commerciaux par exemple. L'accès est assez large. Son enjeu, lorsqu'il s'agit de documents concernant l'environnement, est double : assurant une meilleure compréhension de l'impact des politiques publiques ou de certaines activités sur l'environnement, il fournit également à plus court terme des éléments dans une optique contentieuse ou précontentieuse.

Bien que la défense de l'environnement soit une urgence planétaire dont nous convenons tous, le temps ne joue pas dans le premier cas comme dans le second : la notion de délai d'accès aux informations revêt alors une importance particulière. Par exemple, pour représenter une association de riverains qui contesterait la légalité d'un permis de construire, au nom de la loi Littoral, j'aurai besoin d'accéder au dossier de l'autorisation de construire (dossier déposé en mairie ou administrations consultées, conditions de délivrance) et cela, dans le délai de recours de deux mois. Que faire si le maire qui détient ces informations refuse de les communiquer ? La loi de 1978 prévoit une saisine de la Cada, mais le délai pour obtenir la réponse du maire nous met déjà en défaut par rapport à celui de la procédure. De plus, l'avis de la Cada ne lie pas vraiment l'administration. Dans les petites communes, où les maires ont parfois une interprétation particulière du droit, un élu récalcitrant peut refuser de le suivre. Il faut alors saisir le tribunal administratif compétent. En 2011, un rapport de la Cada a évalué à 17 mois le délai moyen de jugement en pareil cas. Beaucoup d'eau aura alors coulé sous les ponts ! Le contentieux principal apparaîtra comme un combat d'arrière-garde. La maison sera déjà construite et il faudra obtenir sa destruction. S'il s'agit d'un ouvrage public, même mal planté, il sera trop tard pour le détruire.

Il y a une problématique particulière de l'urgence. Comment améliorer le système pour obtenir un accès légitime quand la jurisprudence est établie ? On pourrait imaginer un référé spécifique. En effet, un référé libertés existe quand on veut prendre une décision dans les 48 heures - l'affaire Dieudonné l'a montré -, mais il n'est pas plus adapté au cas qui nous intéresse que les référés suspension ou mesures utiles.

Vous indiquiez, monsieur le président, que le droit d'accès aux données administratives en matière environnementale était renforcé par rapport au droit commun. Le code de l'environnement prévoit des règles particulières. Nous pouvons dire merci au droit européen. La convention d'Aarhus prône l'accès le plus large possible aux documents. Une série d'articles de loi y contribuent. L'article L. 124-4 du code de l'environnement prévoit un test de préjudice : quand l'administration oppose un secret quelconque pour refuser l'accès à un document, ce refus peut être contesté devant la Cada et les juridictions, après qu'a été effectué ce test de préjudice. L'arbitrage s'opère en mettant en balance l'intérêt de la protection de l'environnement et l'intérêt général justifiant le refus, qui peut être économique ou autre. Je ne crois pas que ce texte ait réellement été mis en oeuvre. La jurisprudence ne témoigne pas d'une application concrète du dispositif - vous pourriez interroger les praticiens sur le sujet.

Une autre piste de réflexion a été ouverte après la catastrophe de 2001 parce que l'affaire AZF a secoué l'opinion publique. La circulaire du 18 octobre 2007 a demandé à l'administration détentrice de l'information gouvernementale (les actuelles Dreal) de rendre publiques sans demande préalable des informations relatives à leur mission d'inspection des installations classées. En prévoyant la mise en ligne des informations détenues par les Dreal, notamment celles concernant les manquements aux prescriptions préfectorales, la circulaire organisait pour la première fois un accès à des informations au jour le jour.

Cette très bonne initiative allait dans l'intérêt des associations de riverains et de la protection de l'environnement. Le hic est qu'une circulaire n'a pas vocation règlementaire et qu'elle est appliquée de manière variable par les Dreal, certaines informations étant publiées en ligne, d'autres non, sans cohérence d'ensemble. Il faudrait règlementer cela et, puisqu'un tel système peut fonctionner, ne serait-il pas judicieux d'élargir l'accès du public à une série de documents numérisés ?

Le nucléaire est un domaine particulier du droit environnemental ; il a sa propre police administrative. L'installation nucléaire de base (INB) a été façonnée dans le temps pour servir une politique industrielle dont le souci était de créer des centrales rapidement pour s'affranchir d'une dépendance aux hydrocarbures Le développement l'emportait sur la protection environnementale. Un retour progressif à des considérations environnementales est amorcé, sans qu'il y ait encore d'exigence suffisante en termes d'accès à l'information environnementale.

Par exemple, l'implantation d'une carrière, d'une centrale thermique ou d'un barrage hydroélectrique sera soumise au débat public et fera l'objet d'une enquête publique - autant de moments d'accès aux documents concernant le site. Une autorisation administrative sera donnée pour un certain temps, puis la question de la validité de l'installation se reposera. Les centrales nucléaires construites dans les années 70 sont aujourd'hui en fin de cycle, leur durée de vie indicative étant de 30 ans. Pour certaines d'entre elles, des autorisations de prolongement ont été données sans aucun débat public. La décision a été prise par l'Autorité de sûreté nucléaire sur des critères éminemment techniques. Ne pourrait-on pas rapprocher le droit des installations nucléaires de base de celui des sites classés ? Cela ménagerait la possibilité de rendez-vous et d'accès aux documents.

La loi de 2006 sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire (TSN) garantit l'accès à un certain nombre d'informations sur la sûreté nucléaire, mais il y a peu d'informations sur la sécurité nucléaire, même si le sujet intéresse les associations de protection de l'environnement. Si un accident technologique survient, un accès aux documents est prévu, mais pour un acte de malveillance ou de terrorisme ou un risque de prolifération, le public n'est pas informé. Sortir du nucléaire a publié une étude sur les risques en cas d'impact causé par la chute d'un avion sur une centrale. Cette information étant classée secret défense, la personne soupçonnée d'avoir divulgué les conclusions de l'étude est poursuivie devant le tribunal correctionnel. Quelle est l'étendue de l'accès à l'information environnementale ? La plus large possible, répond la convention d'Aarus.

Un autre enjeu plus complexe, car il touche au pouvoir, tient à la fabrication de l'information environnementale et à la compilation des données disponibles dans notre pays. L'Institut français de l'environnement (Ifen) compilait les données sur l'environnement et créait des indicateurs environnementaux sur les dégradations ou la biomasse disponible par exemple ; tous les quatre ans, il publiait un rapport d'étape qui dressait un bilan de l'état de la France. Pour des raisons politiques, il a été supprimé en 2004. Ce modèle d'outil utile à de bonnes décisions politiques laissait dans sa gouvernance une large place aux usagers et à la société civile. L'Ifen a été remplacé par un Service de l'observation et des statistiques (SOeS) qui subit une tutelle plus directe du ministère de l'économie.

Les associations naturalistes, comme par exemple celles pour la protection des oiseaux, sont des partenaires utiles dans la fabrication de l'information. Leurs bénévoles effectuent avec dévouement des comptages année après année. Pour des raisons budgétaires, elles dépendent souvent des soutiens publics. La diminution progressive de leurs moyens leur a fait adopter des réflexes conservateurs : elles captent l'information et la gardent comme dernière arme de négociation pour l'échanger contre des subventions. On est ainsi entré dans un système peu vertueux d'échange et de partage de l'information.

Enfin, l'accès à l'information environnementale est également facilité par ce qu'on appelait jadis les comités locaux d'information et de concertation (Clic), devenus commissions locales d'information et de surveillance (Clis), et, depuis le décret du 7 février 2012, commissions de suivi des sites (CSS). Elles ont été créées autour des grands sites industriels qui présentent un danger d'émissions pour l'environnement, et des risques sanitaires et technologiques. Elles ouvrent l'accès aux informations détenues par les industriels. Il ne s'agit pas d'organismes participatifs, leur vocation est informative.

Ces organismes informatifs subissent l'effet pervers de la gouvernance à plusieurs qui, depuis le Grenelle de l'environnement, dilue un sujet pourtant bien géré auparavant par ceux qui s'y intéressaient spontanément. Ils sont divisés en cinq collèges, répartis entre les représentants de l'Etat, les collectivités territoriales, assez peu présentes, les exploitants, les salariés, les riverains et les associations de protection de l'environnement. Ces deux derniers groupes partagent un siège, ce qui est un facteur de trouble inutile. Pourquoi ne pas créer deux sièges, l'un pour les riverains, l'autre pour les associations ? Le seul enjeu est celui de l'information. Rendons cet accès le plus large possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion