Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget des charges communes pour 2005 représente, à lui seul, 20, 1 % des crédits du présent projet de loi de finances.
En exécution, ce budget représente traditionnellement 30 % des dépenses nettes du budget général, car il bénéficie, en cours de gestion, du transfert des crédits pour charges de pensions en provenance des autres fascicules budgétaires.
Ce budget est, tout d'abord, celui de la charge de la dette, qui représente 33, 6 % des crédits des charges communes, ensuite, celui des remboursements et dégrèvements d'impôts pour 54, 2 % du total et, enfin, celui des pensions de personnel pour 9 %.
C'est dire l'importance d'un budget qui n'existera pourtant plus en 2006. Nous vivons ainsi les derniers moments du budget des charges communes. A compter de la loi de finances pour 2006, en effet, en application de la LOLF, et conformément à la nouvelle nomenclature budgétaire proposée par le Gouvernement, les dotations et chapitres des charges communes seront répartis entre pas moins de quinze missions.
Cela démontre le caractère encore hétéroclite des chapitres inscrits au budget des charges communes et la nécessité d'une mise en cohérence que permettra la LOLF. Les principales missions destinées à remplacer le budget des charges communes permettront de saisir, de façon plus lisible, les enjeux d'un fascicule budgétaire trop méconnu : engagements financiers de l'Etat, dégrèvements et remboursements d'impôts, provisions, pouvoirs publics, régimes sociaux et retraites.
Grâce à cette nouvelle présentation, la dette pourra devenir, plus qu'elle ne l'est aujourd'hui, et comme elle devra l'être toujours, l'enjeu d'un vrai débat politique à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances.
Il convient en effet que le Parlement prenne mieux en compte dans ses débats le poids budgétaire de la charge de la dette. Nette des recettes d'ordre, elle serait en progression de 3, 1 %, à 39, 5 milliards d'euros en 2005, soit 14 % des dépenses de l'Etat. C'est probablement l'un de ses premiers budgets.
Trois éléments me paraissent particulièrement inquiétants.
Premièrement, dette et déficit s'entretiennent mutuellement. Il s'agit, en effet, de déséquilibres jumeaux puisque, chaque année, il faut rajouter le déficit de l'année à la dette courante précédente. Or l'apurement des dettes précédentes ne se fait que par création de nouveaux emprunts. C'est un système « boule de neige » qui s'alimente tout seul.
Deuxièmement, les comptes de la nation montrent que la progression de l'endettement de l'Etat s'accompagne d'une dégradation de ses comptes de patrimoine. Vous trouverez dans mon rapport écrit un graphique intéressant sur ce sujet, qui montre que ce phénomène n'est pas nouveau et ne fait que s'aggraver. Le patrimoine net de l'Etat est devenu fortement négatif.
Troisièmement, la dette négociable est détenue aujourd'hui, à hauteur de 44 %, par des non-résidents, ce qui signifie que 44 % de la dette de l'Etat français sont dus à des personnes dont le domicile est situé hors de France. Certes, on nous dit qu'une grande partie d'entre elles résident à l'intérieur de l'Union européenne. Mais il n'empêche qu'elles ne doivent pas avoir la même disposition d'esprit que nous vis-à-vis de l'Etat français.
La remontée, même limitée, des taux d'intérêt, prévue par le consensus des économistes, rendra les choses plus difficiles en 2005 qu'en 2003 et 2004. Ces dernières années, l'Etat avait bénéficié de conditions extraordinairement favorables pour son financement, grâce à la baisse des taux. On aboutit d'ailleurs à une curieuse constatation : 2003, pourtant marqué par un déficit record, a été le seul exercice au cours duquel où le poids de la dette s'est allégé, car l'effet de la baisse des taux et l'effet calendaire ont été tels qu'à raison de 2 milliards d'euros pour l'un et de 100 millions d'euros pour l'autre ils ont entraîné une diminution de la charge de la dette pour l'année.
Mais pendant ce temps, la dette a continué à augmenter. L'effet calendaire est d'ailleurs aggravant à cet égard : à partir du moment où l'émission des titres afférents à la nouvelle dette a lieu dans le courant de l'année, le poids n'en apparaît que l'année suivante. Par conséquent, plus on s'engage dans une accélération de l'endettement, plus l'effet calendaire se fait sentir, ce qui masque la réalité de la situation dans laquelle on se trouve.
Selon les simulations de l'agence France Trésor, une augmentation supplémentaire de 100 points de base aurait un coût supplémentaire de 910 millions d'euros en 2005, à volume d'émission inchangé, et de 1, 95 milliard d'euros en 2006, ce qui montre que le problème de la dette, qui est déjà gravissime, se posera de manière encore plus cruciale dans les années qui viennent.
C'est dire l'importance d'une gestion performante de la dette. Il convient à ce sujet de saluer le professionnalisme des équipes de l'agence France Trésor. Il convient également de veiller à ce que la dette du budget annexe de l'aviation civile, gérée en direct par la direction générale de l'aviation civile, et celle de Charbonnages de France, gérée par cet établissement, ne soient pas intégrées dans une organisation générale de la dette publique française, puisque ces deux endettements ne bénéficient pas de l'effet de masse que représente l'ensemble du système géré par l'agence France Trésor.
Il y a là quelques sources de déficit supplémentaire. L'écart devrait être de l'ordre de 20 points de base pour l'aviation civile et de 15 points de base pour Charbonnages de France, soit autant que l'on n'aurait pas à ajouter.
J'aborderai rapidement les dégrèvements et remboursements d'impôts. Leur poids financier est considérable, 68, 3 milliards d'euros, en augmentation de 2, 6 % en 2005, sans qu'ils fassent l'objet d'un réel débat lors de l'examen du projet de loi de finances.
C'est la raison pour laquelle je regrette que la nouvelle nomenclature proposée par le Gouvernement - et ce problème se reposera d'ailleurs probablement l'année prochaine - en application de la LOLF, n'ait pas prévu une présentation des crédits de dégrèvements par nature de dépense, au lieu de les regrouper ensemble dans une mission « fourre-tout ».
Tous les dégrèvements n'obéissent pas, monsieur le ministre, à la même logique. Quelle est la cohérence, par exemple, d'une inscription des restitutions liées à la prime pour l'emploi dans une mission « dégrèvements et remboursements » ?
S'agissant du poids budgétaire des dégrèvements liés à la prime pour l'emploi, qui équivaut à près de 2 milliards d'euros en 2005, vous trouverez une étude dans mon rapport écrit. La répartition des foyers bénéficiaires par décile, c'est-à-dire en l'occurrence par tranche de 280 000, tend à montrer que le montant de la prime pour l'emploi est sensiblement le même, quel que soit le décile de revenu auquel on appartient.
Cela mérite, me semble-t-il, un examen attentif. Je vous pose la question, monsieur le ministre : la prime pour l'emploi joue-t-elle vraiment son rôle ?
Ma dernière observation concernera les charges de pensions des fonctionnaires. Le hors bilan lié aux charges de retraite représente, selon le compte général de l'administration des finances, 850 milliards d'euros, soit 55 % du PIB, évidemment pas exigible en une seule année. Ce montant considérable tient compte pourtant de la réforme des retraites de la loi du 21 août 2003. En 2005, les charges de pensions devraient représenter 35, 75 milliards d'euros, soit presque autant que la charge de la dette.
La progression des crédits de retraite sera de 5, 8 % en 2005, après une hausse de 4, 7 % en 2002, de 3, 94 % en 2003 et de 5, 27 % en 2004. Cette progression a lieu hors la vue du Parlement. Car, jusqu'à présent, en loi de finances initiale, les crédits sont répartis entre les charges communes et les différents fascicules ministériels. C'est le phénomène que j'ai signalé au début de mon exposé du retour des charges de pensions des fascicules ministériels vers les charges communes en cours d'année.
Le taux de cotisation implicite de l'Etat employeur est de 60, 2 % de la masse salariale, ce qui est sans équivalent.
Pour cette raison, je crois qu'il faut se féliciter de la création d'un compte d'affectation spéciale « pensions » à compter du 1er janvier 2006, qui constitue en quelque sorte une caisse des retraites de la fonction publique, certes sans personnalité juridique, avec, en dépenses, les retraites servies aux anciens fonctionnaires et, en recettes, les cotisations patronales et salariales, sur le modèle du privé. On y verra probablement beaucoup plus clair avec cette nouvelle articulation.
La création de ce compte n'entraîne évidemment pas en soi une amélioration du financement des pensions de retraites de la fonction publique, mais permet une plus grande transparence et une plus grande visibilité sur un sujet peu connu de nos concitoyens et qui mériterait sans doute d'être beaucoup plus largement diffusé, médité et commenté, surtout compte tenu du poids budgétaire qu'il représente.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a décidé de vous recommander, mes chers collègues, l'adoption des crédits inscrits au titre des charges communes.
Je présenterai maintenant brièvement l'article 73 rattaché au budget des charges communes. Cet article vise à instaurer un dispositif de départ anticipé pour les fonctionnaires de l'Etat ayant eu une carrière longue, à l'instar de la récente amélioration des droits des affiliés du régime général d'assurance vieillesse qui ont commencé tôt leur activité professionnelle. Il s'agit donc d'une mesure d'équité, qui vise à offrir les mêmes conditions de retraite au public et au privé.
Le coût de la mesure, évalué à 70 millions d'euros en 2005, devrait atteindre 190 millions d'euros en 2006. En rythme de croisière, il devrait représenter environ 340 millions d'euros. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une montée par étapes sur trois ans. A titre de comparaison, le coût est de 1, 3 milliard d'euros pour les salariés du privé en 2005.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des finances préconise l'adoption de l'article 73.