Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget que nous allons examiner donne de la politique industrielle et des moyens qui lui sont consacrés une image imparfaite et incomplète. Les enseignements de son analyse étant fort intéressants, il constitue néanmoins un instrument très important de l'action des pouvoirs publics en faveur de l'industrie.
Ce budget ne donne qu'une image imparfaite et incomplète des moyens de la politique industrielle.
Imparfaite, à cause du rattachement indu de dépenses sans lien évident avec cette politique : les prestations sociales versées à d'anciens mineurs, par exemple, ou l'aide au transport de la presse, pour ne citer que les principales.
Incomplète, car la politique industrielle, c'est aussi la politique de l'Etat actionnaire, et les moyens qui lui sont consacrés comprennent des crédits qui ne figurent pas dans ce budget : les dépenses de personnel et de fonctionnement des services du ministère délégué notamment, ou le produit des privatisations réaffecté à certaines opérations, comme la participation à l'augmentation du capital d'EDF.
La nouvelle loi organique relative aux lois de finances améliorera la lisibilité des dépenses, mais pas autant qu'on aurait pu l'espérer : les prestations à différents retraités ont, par exemple, été incluses dans la nouvelle mission dédiée au développement économique. La persistance d'une absence d'identification des moyens de personnel et de fonctionnement des services de l'industrie empêchera de discerner, de façon précise, qui fait quoi dans l'immense ministère de la rue de Bercy.
Néanmoins, l'examen de ce budget suscite beaucoup d'intérêt ; il permet de se pencher à la fois sur le passé et l'avenir de notre industrie, sur ses succès et sur ses échecs.
Le passé et l'avenir : l'image que donne ce budget de l'industrie va de Germinal à la science fiction avec, d'un côté, le traitement des séquelles de notre passé minier, qui suppose encore d'indemniser les victimes d'affaissement de terrain, et, de l'autre, les recherches, très prospectives, sur la fusion thermonucléaire ou la nouvelle révolution annoncée par la convergence des nanotechnologies, de la biologie, des technologies de l'information et des sciences de la cognition.
Au titre des succès, je citerai la réussite, par exemple, de la création, par la loi de finances de l'année dernière, du statut des jeunes entreprises innovantes.
Je mentionnerai également la résistance de notre industrie micro-électronique à la concurrence américaine et japonaise, grâce à de grands programmes européens, JESSI puis MEDEA, élaborés dans le cadre de la procédure Eurêka.
Je n'oublierai pas, non plus, la localisation, à Grenoble, à Sophia-Antipolis, et en d'autres lieux, d'ensembles attractifs d'activités dont le succès a inspiré le dispositif des pôles de compétitivité proposé dans la présente loi de finances.
Nous enregistrons donc des succès, mais aussi des difficultés et des contre-performances.
Pourquoi, par exemple, la construction navale et l'industrie textile ont-elles connu, en France, une détérioration plus forte qu'en Italie ou en Allemagne ?
La diminution du chômage dans notre pays suppose de « limiter la casse » dans les secteurs les plus traditionnels et de créer le maximum d'emplois dans les activités nouvelles. Or, pour prendre l'exemple des biotechnologies, il semble que nous soyons, sur ce plan, en retard sur la Grande-Bretagne et l'Allemagne, malgré les progrès que nous sommes en train d'accomplir.
Telles sont quelques-unes des questions que l'analyse de ce budget, qui est un instrument important, permet de se poser.
Ses crédits atteignent près de 2, 4 milliards d'euros, total auquel s'ajoutent les 145 millions d'euros de moyens des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement - DRIRE - regroupés en un agrégat spécifique, et auquel devraient être jointes, je l'ai dit, les dépenses de personnel et de fonctionnement des services de l'industrie.
Les actions du ministère ont trois grandes finalités : le soutien aux secteurs ou aux zones en difficulté, l'accès à l'énergie, dans une perspective de développement durable, et les aides à la modernisation et au développement des entreprises, à travers, notamment, l'innovation et la recherche industrielle.
La ventilation des crédits ne correspond pas parfaitement à cette répartition thématique et c'est inévitable.
Le salut des entreprises en difficulté passe en partie, en effet, par l'innovation : les trois cinquièmes des dépenses de l'Agence nationale de valorisation de la recherche - ANVAR - sont ainsi consacrées à la consolidation et au développement d'entreprises préexistantes et 42 % desdites dépenses concernent les industries de base, les équipements et les biens de consommation.
Par ailleurs, des établissements, comme le Commissariat à l'énergie atomique - CEA - et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - ADEME -, dont les actions sont a priori plutôt orientées vers le domaine de l'énergie, interviennent également dans d'autres secteurs de recherche et de développement industriels : la micro-électronique et les technologies de la santé, pour le premier, la mise au point de technologies non polluantes, pour la seconde.
Si vous le voulez bien, je me limiterai, pour chaque finalité, à vous faire part de mes principales observations, vous renvoyant à mon rapport écrit pour les analyses chiffrées.
En ce qui concerne les aides aux secteurs et aux zones en difficulté, je reviens, dans ce rapport, sur le problème de la dette de Charbonnages de France, qui dépasse encore aujourd'hui 3, 5 milliards d'euros.
La Cour des comptes, dès la fin de l'année 2000, avait suggéré sa reprise par l'Etat, ce qui aurait permis de faire des économies, grâce à des conditions de refinancement plus favorables. Notre président avait interrogé à ce sujet Mme Nicole Fontaine. Il semble que le statu quo ait prévalu et que ce passif soit venu aggraver la dette publique, car l'activité de Charbonnages de France a cessé de pouvoir être considérée comme marchande dès lors que le produit de ses ventes est descendu en dessus du seuil de 50 % de ses coûts de production.
Mon rapport écrit rappelle également les critiques de la même haute magistrature concernant les politiques de restructuration et de conversion industrielles dont elle jugeait, en 2003, les instruments trop dispersés et insuffisamment efficaces. Un nouveau dispositif mieux adapté a été mis en place comprenant un appel au financement bancaire, une garantie publique et le recours, pour une durée limitée, à un prestataire de conseil.
Les crédits de l'industrie ont, dans ces domaines, une influence qui, certes, peut être parfois importante, mais qui tend à devenir secondaire par rapport au rôle des crédits des affaires sociales pour le reclassement des salariés des entreprises sinistrées.
De toute façon, les actions de médiation et de coordination, menées souvent à l'échelle locale, parfois en marge des cadres institutionnels, importent davantage que l'utilisation de fonds publics, laquelle n'est pas à négliger pour autant.
S'agissant de la situation de nos établissements qui interviennent dans le domaine de l'énergie, je note qu'ils ne sont pas épargnés par la rigueur budgétaire.
Le CEA, acteur essentiel de la recherche industrielle, a subi des annulations en 2003 et des mises en réserves de crédits en 2004, alors que de nouvelles missions lui sont confiées, notamment en matière de valorisation de la biomasse ou de lutte contre les menaces nucléaires, biologiques ou chimiques. Il a été obligé d'affecter le produit de la vente de son siège parisien au financement de ses charges de démantèlement et d'assainissement, en attendant d'y consacrer une partie de la vente de ses participations au capital d'AREVA.
Je vous dirai à titre tout à fait personnel que l'avenir de notre économie, et donc de notre société, passe par la recherche, la découverte, le développement, la matière grise, tout ce qui ne doit surtout pas être délocalisé. Je me pose donc des questions quant à la rigueur dont on fait preuve vis-à-vis du CEA.
Par ailleurs, la situation budgétaire de l'ADEME demeure tendue, en dépit d'une certaine remise à niveau de ses crédits de paiement pour résorber sa dette, et l'Institut français du pétrole voit sa dotation diminuer de 8 %, contrairement à ce que prévoit son contrat d'objectifs.
La « sanctuarisation » des crédits de recherche ne devrait-elle pas concerner l'ensemble du budget civil de recherche et de développement - BCRD -, dont le ministère de l'industrie est le deuxième contributeur, et non pas seulement le ministère de la recherche ?
Concernant précisément le soutien que ce budget apporte à la recherche industrielle, mais aussi à l'innovation et, plus généralement, à la modernisation de nos PMI, je me félicite de la rationalisation du dispositif d'aide correspondant, sous l'égide de l'ANVAR.
A propos du rapprochement de cette agence avec la banque des PME, je souhaite le maintien du système des avances remboursables, qui présente l'avantage de ne pas alourdir le passif des entreprises en création, tout en contribuant à satisfaire leurs besoins de trésorerie.
Peut-être conviendrait-il d'aller plus loin dans la restructuration des aides, en déconcentrant les aides à la modernisation des PMI, qui continuent d'être gérées, en direct, par la direction générale des technologies de l'information et de La Poste.
La dualité des DRIRE pose problème.
Leur mission de développement économique régional a été considérablement réduite par le transfert à l'ANVAR de la responsabilité de la procédure ATOUT de diffusion des techniques.
Au cours de l'examen du présent budget en commission des finances, un certain nombre de mes collègues élus locaux ont critiqué l'action de ces directions, leur reprochant de privilégier leurs responsabilités environnementales aux dépens de la contribution qu'elles devraient apporter au développement économique régional.
La protection de l'environnement est, certes, indispensable, mais, comme en toutes choses, il ne faut pas être excessif, et je pourrais citer un ou deux exemples de mesures qui n'ont pas favorisé notre économie. Heureusement, l'action de la DRIRE s'avère, en de nombreux cas, fort positive.
Indépendamment de cette question, peut-on envisager que les services déconcentrés de l'Etat soient regroupés au niveau régional, d'un côté, au sein d'un pôle économique animé par l'ANVAR, et, de l'autre, au sein d'un pôle environnement sous l'égide de l'ADEME ?
J'évoquerai enfin le problème de l'autonomie, indispensable pour la commission des finances, des ressources des autorités de régulation. Le rapporteur général avait déposé à ce sujet, en juillet dernier, un amendement concernant la commission de régulation de l'énergie, à l'occasion de la discussion du projet de loi sur le statut d'EDF et de Gaz de France.
Vous lui aviez fixé rendez-vous, pour faire le point sur cette question, qui concerne aussi l'autorité de régulation des télécommunications - ART -, à la date de la discussion de la prochaine loi de finances. L'échéance est atteinte : où en est-on ?
En conclusion, mes chers collègues, je vous demande d'adopter ce budget parce qu'il constitue l'un des instruments d'une nouvelle politique industrielle que j'approuve.
Il donne la priorité à la modernisation et au développement de nos entreprises par l'innovation et la recherche.
La nouvelle politique industrielle à laquelle il participe repose sur un triptyque « réseaux - pôles - filières » : réseaux de recherche partenariale, pôles de compétitivité, développement de filières, dans le domaine du médicament, par exemple, à partir des biotechnologies et, je l'espère, dans celui de la valorisation de la biomasse, à travers la promotion des biocarburants et de l'agrochimie.
Cette constitution d'une véritable filière agro-industrielle mériterait d'ailleurs, à mon sens, de faire l'objet d'un grand programme interministériel. Je sais que de nombreuses réflexions sont actuellement engagées sur le sujet, dont certaines, d'ailleurs, me surprennent parfois, mais je suppose, monsieur le ministre, que nous aurons l'occasion d'en reparler. Cette nouvelle politique, et c'est là son mérite et sa force, fait confiance aux initiatives des acteurs locaux du développement industriel et les incite à unir leurs efforts.
Elle utilise non seulement les subventions budgétaires, mais aussi les allégements de charges fiscales et même sociales.
Ses promoteurs s'efforcent, avec un certain succès, de la faire accepter par Bruxelles.
Nos industries d'excellence, l'espace, l'aéronautique, le nucléaire, intègrent des technologies avancées, plus qu'elles ne les diffusent dans l'ensemble du tissu industriel.
Tel n'est pas le cas des biotechnologies et des nanotechnologies, bases du développement futur de notre industrie. Le rattrapage du retard pris par la France et l'Europe dans la maîtrise de ces nouveaux outils est une priorité urgente et absolue. Notre gouvernement l'a bien compris, mais je voulais néanmoins terminer mon propos en soulignant ce point, en raison de son extrême importance.