Intervention de Martine Orange

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 29 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de mmes martine orange mathilde mathieu et M. Jérôme Hourdeaux journalistes à médiapart

Martine Orange, journaliste à Médiapart :

Je m'intéresse aux données statistiques et de prévisions dans le domaine économique et financier. Or nous constatons que la fiabilité des chiffres publiés baisse de manière spectaculaire. Les méthodologies changent, les séries statistiques sont rompues, de telle sorte qu'il devient difficile d'obtenir des séries cohérentes, comparables sur longue période. Même pour des données classiques, concernant le chômage, l'emploi, l'activité économique, les chiffres ont perdu en fiabilité. Des séries brutes sont présentées, d'où il faut extraire les chiffres pertinents.

Sur le médicament, domaine où Médiapart a beaucoup enquêté, avec le scandale du Médiator, l'agence de santé publie des chiffres depuis 2010. Nous n'avons rien avant cette date, ce qui empêche par exemple de reconstituer l'évolution des prix des médicaments.

Bercy est une administration à part. L'élaboration d'un budget suppose des précisions, des évaluations. Obtenir une note de la direction de la prévision tient maintenant du scoop ! Il est très difficile d'accéder aux évaluations du ministère du budget ou du ministère de l'économie et des finances, qui devraient normalement faire partie du débat public, parce qu'elles fondent des décisions aussi importantes que des hausses d'impôts, par exemple.

Parfois, le ministre annonce qu'il commande un rapport sur telle ou telle question, ainsi Pierre Moscovici, en décembre 2012, sur les PPP (partenariats public-privé), dont la Cour des comptes venait de souligner les dérives. Un an après, j'ai demandé ce qu'il en était et l'on m'a répondu que cela ne me regardait pas. C'est dommage : il serait intéressant de connaître ce que Bercy reprend des analyses de la Cour des comptes.

Le secret fiscal, compréhensible pour les particuliers, l'est moins pour les entreprises. Ainsi, en 2010 ou 2011, la commission des finances de l'Assemblée nationale a demandé au conseil des prélèvements obligatoires un rapport sur des niches fiscales bénéficiant aux entreprises, dont le bénéfice mondial consolidé, qui a été supprimé depuis. À l'époque huit à dix entreprises seulement en bénéficiaient. Impossible de savoir lesquelles, en vertu du secret fiscal, pour une niche de 600 millions d'euros, alors même que les entreprises sont tenues de divulguer des informations fiscales dans leur rapport annuel et plus encore sur le site de la SEC (Securities Exchange Commission) aux États-Unis. C'est ainsi que j'appris que Total et Vivendi en bénéficiaient. Pourquoi invoquer le secret fiscal, qui n'existe pas pour les entreprises ? Ainsi Renault, dont l'État est actionnaire, se félicite-t-elle dans son rapport annuel que son taux de fiscalité soit de 8 % seulement. Il serait intéressant de comprendre comment elle arrive à ce taux. On ne saisit même pas la Cada, quand le secret fiscal est invoqué, puisque l'on sait que l'avis sera négatif.

Tout rescrit fiscal accordé à une entreprise ou à un particulier fait jurisprudence. Or je vous mets au défi de trouver sur le site de Bercy l'endroit où les rescrits sont confinés. Seulement la moitié d'entre eux sont publiés et la plupart sont illisibles. Le jour où le groupe Lagardère a vendu toutes ses participations dans EADS, il a bénéficié d'un rescrit, l'exemptant de l'impôt sur les plus-values. Je n'ai jamais pu obtenir ce rescrit, portant sur 800 à 900 millions d'euros. Là encore, le secret fiscal pose problème.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion