Intervention de Paul Moreira

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 29 janvier 2014 : 1ère réunion
Audition de Mm. Paul Moreira et edouard perrin journalistes à premières lignes

Paul Moreira, journaliste :

Certainement, comme dans toute organisation humaine, il ne faut pas être naïf. Cependant, la transparence me paraît plus équilibrée que la fausse opacité...

Pendant la guerre du Golfe, le gouvernement américain imposait un blocus sur toute information relative aux soldats américains blessés ou tués, jusqu'à ce qu'une photo soit publiée, représentant une cinquantaine de cercueils enveloppés du drapeau américain. D'où venait cette photo ? De l'armée, et c'était un universitaire américain qui en avait obtenu la publicité à l'issue d'une bataille juridique, en fondant sa demande sur le Freedom of information Act - avec des délais d'instruction très rapides, c'est aussi une différence d'avec la situation française où des droits peuvent être reconnus, mais avec des conditions de réalisation qui leur enlèvent quasiment toute effectivité.

Notre but, avec cette pétition, c'était donc d'abord de montrer les bienfaits de la liberté d'informer, pour la démocratie elle-même, et d'identifier les points de blocage en France. C'est l'historien Antoine Prost, membre de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), qui me semble avoir donné une explication de ces blocages, lors du colloque du vingt-cinquième anniversaire de la Cada. A propos des demandes de communication de pièces administratives, il indique que « l'avis est généralement négatif quand les dossiers demandés mettent en cause des tiers encore vivants. Le cas n'est pas rare pour les dossiers relatifs à l'Occupation ou à la guerre d'Algérie : permettre d'identifier l'auteur d'une dénonciation qui a envoyé quelqu'un en camp de concentration, ou le chef d'un commando qui a commis plusieurs assassinats n'est pas envisageable si le demandeur est la victime ou l'un de ses descendants, sauf si l'on peut anonymiser toutes les indications relatives aux tiers en sorte qu'ils ne puissent être identifiés, ce qui retire à la communication beaucoup de son intérêt ». C'est énoncer là le mécanisme d'occultation à l'oeuvre au sein même de la Cada : le document n'est pas communicable dès que le nom d'un fonctionnaire vivant y apparaît, ou si le fonctionnaire a des descendants. Avec une telle approche, on comprend comment fonctionne le refoulement historique de l'Occupation ou de la guerre d'Algérie.

En 1997, deux archivistes de la Ville de Paris, Brigitte Lainé et Philippe Grand, avaient transmis une liste des Algériens jetés à la Seine le 17 octobre 1961 à l'association « Au nom de la mémoire », présidée par David Assouline qui la rend aussitôt publique : cette liste dénombrait des dizaines de morts, alors que selon la version officielle, celle du préfet de police au moment des faits, Maurice Papon, il n'y avait eu que deux Algériens morts le 17 octobre 1961. A l'automne 1997, Maurice Papon comparait devant la cour d'assises de la Gironde pour crimes contre l'humanité pendant la Seconde Guerre mondiale ; le 17 octobre 1961 est évoqué, des voix s'élèvent dans l'opinion pour demander un accès aux archives. Le Premier ministre, Lionel Jospin, et sa ministre de la Culture, Catherine Trautmann, vont dans le sens de l'ouverture et c'est en se réclamant d'eux que Philippe Grand et Brigitte Lainé, contre l'avis de leur hiérarchie, communiquent la liste qu'ils ont trouvée dans les archives de la Ville de Paris. L'affaire fait grand bruit, la liste est un véritable scoop... mais les deux archivistes sont sévèrement sanctionnés, littéralement mis au placard dans leur activité.

En 2007, l'association européenne Access Info, écrit une lettre au Conseil de l'Europe en s'alarmant du caractère restrictif de la Convention européenne sur l'accès aux documents administratifs. Dans Le Nouvel Observateur du 24 octobre 2007, Michel Rocard explique pourquoi il signe cette lettre : « parce que je crois à la transparence, (...) et je crois qu'une restriction de ce droit comporte des dangers ».

Depuis 2007, notre campagne est quelque peu suspendue et notre site, dormant. J'ai réalisé cependant à l'époque un documentaire pédagogique pour présenter, sous forme de saynètes, des situations précises d'accès aux documents administratifs en France et en Suède : le contraste est flagrant et parle de lui-même. En France, la relation entre les citoyens et l'Etat reste marquée par l'évidence de l'opacité.

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