J'ai commencé ma carrière de journaliste aux Etats-Unis, entre 1997 et 2001 et j'avoue avoir subi plus qu'un choc culturel en rentrant en France. Outre-Atlantique, l'accès aux archives est un véritable service : la National Security Archive, c'est-à-dire les archives de la sécurité nationale, à l'université George Washington, met par exemple à disposition du public toutes les archives déclassifiées concernant la sécurité nationale, l'équipe y est très compétente et très active - une avocate a ainsi pu obtenir, grâce à ce service, que des documents relatifs à Guantanamo soient progressivement révélés et les passages caviardés fortement réduits.
Aux Etats-Unis, la communication des documents est un droit et c'est à l'administration de prouver qu'ils sont classifiés - tandis qu'en France, malgré la loi de 1978, l'administration cherche toujours à savoir pourquoi vous demandez un document et ne vous le communique que dans les cas qu'elle juge acceptables, le tout dans des délais qui sont peu compatibles avec ceux de l'enquête journalistique.
Pour Complément d'enquête, par exemple, j'avais cherché à obtenir l'analyse financière produite par le concessionnaire de l'autoroute A65 qui fait partie du dossier et qui, en principe, est communicable. Il s'agissait du segment Pau-Langon, chantier remporté par Eiffage, des associations s'y opposaient, une étude du ministère de l'équipement montrait que le trafic risquait d'être faible, insuffisant pour assurer la rentabilité. Le ministère de l'environnement m'a d'abord répondu que cette analyse financière était publique, puisqu'elle était sur site web de la société concessionnaire ; vérification faite, le document rendu public n'était qu'une synthèse très courte ; la Cada m'a fait la même réponse, se contentant de la synthèse sur le site ; un huissier a constaté que l'analyse financière n'était pas accessible mais seulement une synthèse ; j'ai persisté, appelant toutes les semaines le ministère et le concessionnaire pour réclamer l'analyse financière. Je ne l'ai jamais obtenue et, surtout, anecdote significative, mon interlocutrice au ministère m'a un jour littéralement ri au nez, en m'affirmant que jamais on ne me la communiquerait. J'ai un peu l'esprit de suite et j'ai suivi le dossier - bien au-delà du reportage, qui a dû se contenter de la synthèse... - et vous savez probablement comme moi ce qu'il en est : la situation de l'A65 est alarmante, faute de trafic suffisant, le déficit s'élève à 35 millions d'euros en octobre 2013, au point que l'Etat risque de devoir recapitaliser... aux frais du contribuable.
J'ai pris cet exemple pour bien souligner que l'accès à l'information n'est pas une marotte de journaliste, c'est un véritable outil de contrôle des deniers publics. Le dossier d'intention de l'A65 disposait que le concessionnaire devait rendre publique l'analyse financière, il n'en a rien été et c'est le contribuable qui en fait les frais.