Oui, mais les choses ne se passent pas comme ça dans les faits. Pourquoi ? Parce que l'opacité fait partie de la culture administrative française et parce que les journalistes ont intégré ce fait, ils s'y sont adaptés et passent par d'autres voies que la demande officielle.
Autre exemple de Complément d'enquête. Il y a quelques années, des fauteuils vendus par Conforama, fabriqués en Chine, avaient causé des brûlures ; l'affaire était devenue européenne, parce qu'en Grande-Bretagne, grâce à la class action, des consommateurs s'étaient retournés rapidement contre le vendeur, qui avait rappelé tous les fauteuils concernés ; or, en France, l'alerte européenne a été bloquée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui est restée dans la légalité en ne faisant rien - mais, en off, un responsable de cette direction a reconnu qu'on ne ferait rien chez nous, pour ne pas déranger les entreprises françaises.
Le secret des affaires est un sérieux obstacle à l'information, systématiquement avancé dès qu'une entreprise est en jeu. Voyez les partenariats public-privé (PPP), par exemple celui passé avec Ecomouv pour l'écotaxe : les premières auditions de la commission d'enquête sénatoriale n'apportent strictement rien de nouveau - parce qu'à chaque fois, les partenaires se réfugient derrière le secret des affaires, qui est contractuellement établi. En particulier, toutes les informations financières figurent dans les annexes et dans les contrats d'assurance, sont inaccessibles au public jusqu'à la fin du contrat, donc pas avant 30 ou 40 ans... La puissance publique est engagée pour des décennies, mais le citoyen ne peut pas savoir à quel niveau, ni connaître les clauses particulières en cas de défaut ou de rupture, c'est très inquiétant...
Le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'avril dernier qui est passé inaperçu, a confirmé cette évolution inquiétante en imposant le respect de « la vie privée des entreprises », en se fondant sur le fait que la loi de 1978, qui mentionne la vie privée, vise aussi les personnes morales, et pas seulement celles des personnes physiques. Qu'est-ce que cela signifie, la vie privée des entreprises ? Est-ce que ce sera désormais le paravent pour dissimuler tous les actes des entreprises ? Ce n'est pas raisonnable, nous avons besoin de dispositifs qui garantissent l'information, sans que celle-ci tourne systématiquement au psychodrame... On nous oppose le risque d'une « dictature de la transparence » ; ce que je vois plutôt, c'est une tyrannie de l'opacité...