Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 5 février 2014 à 14h30
Débat sur le droit à l'eau

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accès généralisé à l’eau courante fut l’un des progrès considérables qui marqua la France du XXe siècle. Ce progrès semblait être définitivement acquis, mais, aujourd’hui, le mal-logement et la précarisation le remettent en cause.

Je remercie donc le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de ce débat, tant il est évident que le droit à l’eau est aujourd’hui fragilisé dans notre pays. C’est notamment le cas pour les 85 000 personnes identifiées par la Fondation Abbé Pierre comme vivant dans des habitations de fortune.

Pour faire face au retour inimaginable des bidonvilles – on en compterait aujourd'hui environ 400 en France –, la ministre du logement Cécile Duflot a d’ailleurs annoncé le lancement d’une Mission nationale pour résorber les bidonvilles, confiée à l’opérateur public Adoma, afin d’intervenir dans les territoires les plus touchés et de mobiliser et coordonner les acteurs locaux.

Je souhaitais donc souligner en introduction que le droit à l’eau recoupe le droit à un logement décent.

L’accès à une eau de qualité constitue un autre droit essentiel. Il faut d’ailleurs noter que, d’après l’enquête annuelle de l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, publiée à la fin du mois de janvier dernier, la pollution de l’eau arrive en tête des préoccupations environnementales citées par les Français en 2013, quelque 43 % des sondés considérant qu’il s’agit d’un enjeu majeur.

Les enjeux de santé publique sont donc très importants. Aussi, nous ne pouvons que déplorer les retards accumulés pour lutter contre les contaminations aux nitrates, qui ont d’ailleurs valu à la France plusieurs condamnations européennes pour la mauvaise application de la directive « Nitrates ». Quand les gens achètent de l’eau minérale en bouteille parce que les niveaux autorisés de teneur en nitrates sont dépassés dans l’eau du robinet, comme c’est le cas notamment en Bretagne, il s'agit aussi d’une remise en cause de l’accès à l’eau pour tous !

La présence accrue dans les masses d’eau de perturbateurs endocriniens, notamment liés aux résidus médicamenteux qui se retrouvent dans les eaux usées, est également préoccupante aujourd'hui. Je pourrais encore citer le problème des anciennes canalisations en plomb, et la liste n’est pas exhaustive.

Cela étant, nous pouvons au moins nous réjouir de l’adoption définitive par l’Assemblée nationale de la proposition de loi déposée par notre collègue Joël Labbé, qui permettra de limiter les pollutions liées aux pesticides utilisés par les collectivités territoriales et les particuliers. J’en profite pour remercier de nouveau M. le ministre de l’environnement de son soutien pour l’adoption de cette loi.

Reste aussi l’urgence de la gestion économe de la ressource. En effet, certaines régions de France se trouvent déjà dans une situation de stress hydrique très préoccupante et vouée à s’aggraver avec l’accélération du dérèglement climatique. Le plan national d’adaptation au changement climatique 2011-2015 intègre un objectif d’économies d’eau, en prévoyant la réduction de 20 % des prélèvements d’ici à 2020 pour tous les usages. Toutefois, pour tenir cet objectif, des efforts importants seront indispensables, en termes d’investissements et de sensibilisation. Il faudra aussi examiner l’incidence des tarifications progressives ou « éco-solidaires », qui peuvent être un outil efficace pour inciter au changement de comportements.

Depuis la LEMA de 2006, plusieurs villes en France ont déjà instauré une tarification progressive, avec laquelle le prix de l’eau augmente par tranche de consommation, dans une démarche d’incitation à un usage économe de la ressource, en facturant plus cher les sur-utilisateurs. D’autres villes ont mis en place des systèmes de tarification sociale, notamment par le biais d’un « chèque eau ».

La ville de Dunkerque a réalisé en quelque sorte une synthèse de ces dispositifs, avec une tarification « éco-solidaire » : trois tranches de prix fixées en fonction des usages et un tarif préférentiel pour la tranche de consommation dite « essentielle » pour les bénéficiaires de la CMU-C, la couverture maladie universelle complémentaire, qui ont vu le prix au litre réduit de 70 % par rapport au tarif antérieur.

Néanmoins, ces politiques innovantes restaient relativement fragiles juridiquement. La loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes », en précisant, dans son article 27, que les ménages peuvent constituer une « catégorie d’usagers » et en ouvrant, dans son article 28, la possibilité d’une expérimentation sur la tarification sociale, permet non seulement de renforcer la sécurité juridique, mais aussi d’encourager le développement de ces expériences.

Les collectivités ont jusqu’à la fin de l’année pour se porter candidates à l’expérimentation, et plusieurs d’entre elles l’ont déjà fait, comme les villes de Lille, Brest et Grenoble. Je pense que l’État aurait avantage à étudier avec attention les résultats de ces expérimentations, monsieur le ministre.

Je souhaite aussi souligner que la préservation d’une véritable maîtrise publique de l’eau est un enjeu majeur, comme l’a souligné Christian Favier. Les élus écologistes y sont très attachés et ont milité dans de nombreuses villes pour le retour en gestion publique. Je relèverai par exemple la bataille que Raymond Avrillier a menée avec succès à Grenoble.

Je peux aussi citer le cas de Nantes, que je connais bien, où nous avons trouvé un équilibre entre le public et le privé, ce qui permet de comparer en permanence les prix et les qualités des prestations.

Les écologistes appellent également à une meilleure gouvernance de l’eau, au plus près des territoires et des citoyens. Il y a un vrai enjeu à associer davantage les usagers et les associations de protection de l’environnement aux instances de décision. Nous portons ainsi la création d’un quatrième collège « société civile » dans les comités de bassin, une mesure qui a été proposée par le député Michel Lesage dans son rapport d’évaluation de la politique de l’eau en France de juin 2013 et qui a été également évoquée lors de la dernière conférence environnementale.

Enfin, mes chers collègues, je conclurai par un mot sur deux initiatives récentes que les écologistes ont soutenues.

Il s’agit, tout d’abord, du dépôt à l’Assemblée nationale d’une proposition de loi de Jean Glavany, qui vise notamment à faire du droit à l’eau et à l’assainissement un droit de l’Homme garanti par l’État, démarche transpartisane qui montre que nous pouvons dépasser nos désaccords sur certains enjeux majeurs.

Il s'agit ensuite de l’initiative citoyenne européenne Right2Water, qui demande à la Commission européenne de légiférer afin que le droit à l’eau et à l’assainissement constitue un droit humain au sens de l’ONU et de promouvoir la fourniture d’eau et l’assainissement en tant que services publics essentiels pour tous. Je pense que cette question reviendra dans le cadre du débat mondial sur les objectifs de développement durable qui doit se conclure en décembre 2015 et qui fait suite au sommet de « Rio+20 ».

Comme notre collègue Christian Favier l’a rappelé, cette initiative a recueilli plus de 1 880 000 signatures de citoyens issus de tous les pays d’Europe. Elle témoigne de cette mobilisation européenne sur les questions de l’eau. Il y a donc bien un enjeu mondial d’accès à l’eau. C’est un combat que nous devons porter, mais aussi un enjeu fort des coopérations européennes et mondiales à tous les échelons, entre États et entre collectivités territoriales.

En conclusion, il me semblerait intéressant d’établir un lien fort entre cette problématique de l’accès à l’eau et l’accueil, à Paris, de la conférence Climat 2015.

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