Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ayant eu l’honneur de faire voter, en février 2011, une proposition de loi relative à la solidarité dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement, je suis particulièrement attentif à la mise en œuvre d’un droit d’accès à l’eau pour tous, et en particulier aux plus démunis.
Si nous devons nous battre, tous, pour faciliter l’accès à l’eau potable du milliard d’êtres humains qui n’en bénéficient pas encore, force est de constater que, dans notre pays, de plus en plus de familles rencontrent des difficultés, non pas à accéder à l’eau potable, mais à en assumer le coût.
Le constat est aujourd’hui largement partagé : il est nécessaire d’apporter, conformément aux recommandations de l’OCDE, une aide aux ménages dont la facture d’eau dépasse 3 % des revenus.
La question porte donc davantage sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer cet accès à l’eau pour tous. Comment cibler au mieux les usagers en difficulté ? Quel doit être le montant de l’aide ? Comment assurer une gestion efficace de cette aide tout en maîtrisant les coûts de gestion ?
En effet, il est essentiel de disposer d’une vision claire de l’efficacité et du coût de gestion des différents dispositifs qui pourront être mis en place par les collectivités et leurs groupements.
À la suite de la reconnaissance d’un droit à l’eau par la LEMA, deux lois prévoient différents types de dispositifs.
Je pense d’abord à la loi du 7 février 2011, issue de la proposition de loi que je viens d’évoquer. Entrée en vigueur le 1er janvier 2012, elle met en place un dispositif curatif et permet aux services d’eau et d’assainissement d’allouer 0, 5 % de leurs recettes hors taxe aux fonds de solidarité pour le logement – FSL – départementaux, afin que ceux-ci puissent aider les foyers dont la facture d’eau excède 3 % des revenus à régler leurs impayés.
Je pense ensuite à la loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dite « loi Brottes ». Ce texte permet aux collectivités qui le souhaitent d’instituer une première tranche de consommation gratuite ou de moduler la progressivité du tarif en tenant compte des revenus ou du nombre de personnes composant le foyer. Là, on est plutôt dans le domaine préventif.
Une proposition de loi a été récemment déposée par le député Jean Glavany pour compléter ces textes.
Ces premières initiatives peuvent être distinguées selon qu’elles contiennent des mesures préventives ou des mesures curatives ; c’est toute l’importance de ce débat.
Je souhaiterais examiner le sujet à la lumière de l’expérience du syndicat des eaux d’Île-de-France, le SEDIF, dont j’assure une vice-présidence et qui est, avec 4, 5 millions d’usagers et 1 milliard de litres d’eau fabriqués chaque jour, le plus important service d’eau d’Europe.
Avant d’adopter un dispositif curatif d’aide aux abonnés, nous avons examiné différentes solutions préventives en constatant qu’elles ne répondaient pas ou qu’elles répondaient mal aux objectifs visés.
Ainsi, la mise en œuvre d’une première tranche de consommation gratuite, dès lors qu’elle est applicable à tout abonné du service public, pose problème : elle bénéficie autant aux abonnés en difficulté financière qu’à ceux qui ne connaissent pas ce genre de problèmes.
En outre, la gratuité d’une première tranche de consommation d’eau applicable à tous a des conséquences sur l’équilibre économique du service ; de ce fait, elle peut rendre nécessaire l’augmentation du tarif d’autres catégories de consommateurs ou de celui des tranches de consommation supérieure. Dans cette hypothèse, l’augmentation du tarif pourrait, le cas échéant, pénaliser des abonnés vivant en immeuble ou en copropriété, mais aussi des familles nombreuses susceptibles de connaître des difficultés financières.
Par ailleurs, l’eau distribuée a un coût, qui doit être répercuté sur les usagers, même de manière réduite, afin de les responsabiliser.
La gratuité de l’eau est très difficile à envisager.
Nous vivons une période où les réflexions nationales et locales tendent plutôt vers des solutions pour financer le nécessaire renouvellement des installations et des réseaux des services publics d’eau. Or cela va représenter un poste de dépense considérable et croissant dans les années à venir.
Que faut-il alors penser d’une tarification progressive ? Elle n’est pas toujours adaptée et n’a pas systématiquement une vertu sociale. Certains services d’eau mettent en place des tarifs « grands consommateurs », dégressifs, dont les bénéficiaires sont notamment de grands ensembles sociaux, immeubles ou copropriétés, lorsque les abonnements ne sont pas individualisés.
Le tarif dégressif avantage donc en priorité les familles résidentes dans ces grands ensembles, et le passage à une tarification progressive serait source de renchérissement, d’abord, pour ces usagers ou pour les établissements publics.
La tarification progressive est également susceptible de poser des difficultés d’application, comme le rappelait le rapport du Gouvernement au Parlement sur la mise en place d’une allocation de solidarité eau. En effet, en habitat collectif la répartition du bénéfice de l’aide dans le calcul des charges devient complexe à mettre en œuvre et très peu visible pour la plupart des ménages.
Quant à l’option de la tarification sociale, nous-mêmes n’avons pu la retenir eu égard à l’impossibilité de calibrer un tarif en fonction des revenus de centaines de milliers d’abonnés.
La mise en œuvre d’un tarif social est encore plus difficile pour les usagers précaires : quel montant de la facture d’eau peuvent-ils individuellement accepter compte tenu de leur maigre budget ?
Le message qu’il importe de retenir, c’est qu’il ne peut pas y avoir de réponse uniforme au niveau national en matière de tarification sociale. On doit se fonder sur la réalité locale : caractéristiques sociales et économiques de la population, types d’habitat, prix des services d’eau, état des ressources, etc
Pour notre part, nous avons mis en place un programme d’aide essentiellement curatif, pour aller là où se situe la difficulté. En l’occurrence, l’objectif des élus du SEDIF était, et de manière unanime, d’assurer l’accès à l’eau de tous les usagers en difficulté, qu’ils soient directement abonnés ou consommateurs en immeuble collectif, notamment ceux qui n’ont pas de compteur, en mettant nos communes au cœur du dispositif. Aujourd'hui, 1 % des recettes de vente d’eau, soit 2 millions d’euros, est consacré à ce dispositif.
Plusieurs types d’aides financières sont alors proposés.
Il y a ainsi des chèques d’accompagnement, c'est-à-dire des chèques prépayés d’un montant de 10 euros, 20 euros ou 30 euros, qui permettent de payer la part eau de la facture dépassant les 3 % du revenu. Ces chèques dématérialisés sont mis à la disposition des centres communaux d’action sociale – CCAS –, pour être distribués aux abonnés confrontés à des difficultés.
Les communes doivent jouer un rôle important, car elles sont plus à même de juger la situation des ménages. Les CCAS attribuent souvent un montant d’aide lié au reste-à-vivre : entre 100 euros et 200 euros en moyenne.
À ce jour, le public visé est l’abonné au service public de l’eau dont la facture totale annuelle excède 3 % des ressources du foyer.
Ce dispositif permet d’apporter une aide immédiate aux abonnés en incapacité de régler leur facture d’eau. Souple et rapide, il paraît bien adapté aux besoins urgents des bénéficiaires.
Au total, entre 2011 et 2013, 6 000 dossiers auront été traités, pour près d’un million d’euros d’aides distribuées.
Une étude est en cours pour étendre le dispositif au bénéfice des usagers non abonnés.
Après trois ans de mise en œuvre, nous enregistrons une très forte montée en puissance de cette aide solidaire. Cela traduit une excellente appropriation du dispositif par les CCAS et son bien-fondé auprès des abonnés en difficulté des services de l’eau.
Ainsi, en trois ans, sur une population desservie de 4, 5 millions d’habitants, ce sont déjà près de 16 000 familles qui ont été aidées par l’ensemble des dispositifs FSL et chèques services, pour un montant d’aide de plus de 2 millions d’euros.
Les leçons que nous pouvons tirer de cette expérience conduite à grande échelle nous le montrent : plutôt que d’imposer un système unique et compliqué de solidarité à toutes les communes et à toutes les populations, mieux vaut inciter les collectivités à choisir entre les dispositifs préventifs ou curatifs qui correspondent le mieux aux besoins de leur population.
La réalité sociale vécue dans les grands ensembles urbains est souvent différente des problèmes ressentis en milieu rural, ne serait-ce que par le prix de l’eau, qui n’est pas identique partout.
L’autre conclusion est qu’il convient de maintenir et de systématiser le principe d’une contribution des distributeurs d’eau à ces dispositifs d’aide. En effet, pour que la solidarité soit décisive, il faut qu’elle puisse reposer sur une collecte de fonds substantielle. Or la solidarité ne peut pas reposer que sur les seuls usagers.
Mes chers collègues, l’accès à l’eau est un droit imprescriptible, que nous avons tous le devoir de faire respecter. La coopération internationale et la coopération décentralisée sont un des moyens les plus efficaces pour le faire vivre dans les pays qui en sont privés. Mais nous avons aussi le devoir de prendre les mesures nécessaires pour que, sur notre territoire national, chaque famille puisse faire face à ses dépenses d’eau. C’est notre mission de mettre en œuvre les mécanismes d’entraide ; c’est notre honneur de faire vivre cette solidarité ! §